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Le parquet fédéral montre les dents à la Russie

Bombardement en Ukraine
Les bombardements comme celui de ce centre commercial près de Kiev le 17 mars, constituent-ils des crimes de guerre? La task force mise sur pied par Berne devra «collecter et sauvegarder les éventuels moyens de preuves auprès des réfugiés arrivant en Suisse». Copyright 2022 The Associated Press. All Rights Reserved.

Longtemps soupçonné de connivence envers le Kremlin, le Ministère public de la Confédération (MPC) affiche désormais sa détermination. Une task force se chargera de collecter les preuves de crimes de guerre auprès des réfugiés ukrainiens. L'entraide judiciaire avec la Russie est suspendue. Le sort du banquier Oleg Shigaev, dont la justice suisse venait de valider l'extradition vers Moscou, devrait être réexaminé.

Le parquet fédéral ne restera pas les bras croisés face au drame ukrainien. Le 22 mars, l’autorité a annoncé la création d’une task force dirigée par le nouveau Procureur général Stefan Blättler.

Dans une prise de position adressée à Gotham City, le parquet explique que cette unité aura pour objectif «d’examiner les possibilités du MPC en lien avec le conflit entre la Russie et l’Ukraine» et «d’en éclaircir tous les aspects possibles».

Ce groupe de travail se concentrera sur la collecte d’informations sur d’éventuels crimes de guerre, et l’entraide judiciaire avec la Russie est suspendue. Ces deux initiatives sont identiques à celles déjà mises en placeLien externe par les ministres européens de la Justice le 4 mars dernier.

Ces mesures européennes avaient été prises deux semaines avant l’exclusionLien externe de la Russie du Conseil de l’Europe, prononcée le 16 mars.

Dans sa prise de position du 22 mars, le MPC explique que «l’accent est actuellement mis sur le droit pénal international et la loi sur les embargos, mais la situation est également analysée en permanence dans le domaine de la criminalité économique».

La task force fédérale, qui rassemble des responsables de division et plusieurs procureurs spécialisés, sera «renforcée si nécessaire».

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Un de ses premières tâches sera de «collecter et sauvegarder les éventuels moyens de preuves auprès des réfugiés arrivant en Suisse, afin de pouvoir répondre rapidement et de manière ciblée à d’éventuelles demandes d’entraide judiciaire ultérieures, émanant notamment de la Cour pénale internationale ou d’États requérants».

Le parquet indique que «des procédures pénales propres doivent pouvoir être ouvertes rapidement dès que des auteurs présumés de crimes relevant du droit pénal international se trouvent sur le territoire suisse», ou «si des Suisses commettent des crimes de guerre à l’étranger. En l’état, aucune procédure pénale n’a été ouverte sur la base de ce qui précède», précise le MPC.

Entraide suspendue

Restait à trancher la question de l’entraide judiciaire. En réponse à nos questions, le parquet indique qu’il s’est adressé à l’Office fédéral de la justice (OFJ) «pour lui demander de prendre une décision concernant le traitement de l’entraide judiciaire en rapport avec l’Ukraine et la Russie».

«Dans l’attente de cette décision, le Procureur général a décidé, à titre de mesure provisoire, que le MPC suspendait le traitement des demandes d’entraide judiciaire en provenance ou à destination de la Russie.»

De manière surprenante, le MPC précise que cette mesure vise également Kiev. «Les demandes d’entraide judiciaire à l’Ukraine sont également suspendues pour le moment. Ceci pour la triste raison que le pays est actuellement confronté à d’autres enjeux et que le droit de la guerre y est actuellement en vigueur.»

Interrogé à son tour, l’OFJ a confirmé à Gotham City, le 22 mars dans la soirée, la suspension de l’entraide judiciaire avec la Russie.

«L’entraide judiciaire internationale en matière pénale se fonde sur le respect des principes de l’État de droit et des droits de l’homme, explique sa porte-parole. Avec le retrait de la Russie du Conseil de l’Europe, c’est un cadre institutionnel important, garant du respect des droits de l’homme, qui disparaît.»

«Dans ce contexte, la Suisse suspendra jusqu’à nouvel ordre l’entraide judiciaire avec la Russie. La Suisse aspire à une procédure coordonnée au niveau international, en particulier avec les pays partenaires européens, et entretient les contacts correspondants. Dès que la situation permettra une réévaluation, l’Office fédéral de la justice, en tant qu’autorité de surveillance, informera les autorités d’entraide judiciaire.»

Interrogé au sujet du statut de l’entraide avec l’Ukraine, l’OFJ précise pour sa part que la suspension «ne s’applique qu’à la Russie».

Contenu externe

Deus ex machina

Dans l’immédiat, la décision des autorités suisses viendra chambouler le destin du banquier russe Oleg Shigaev, établi à Genève et accusé de fraude dans son pays. Après plusieurs allers et retours, le Tribunal fédéral (TF) avait finalement autorisé son extradition vers la Russie en septembre 2021.

Les juges de Mon Repos s’étaient appuyés sur des garanties fournies à l’OFJ par la Russie sur le respect des droits fondamentaux accordés au détenu après sa livraison. Moscou avait notamment promis qu’il pourrait purger sa peine dans un pénitencier «à l’ouest de l’Oural» et que l’ambassade suisse pourrait lui rendre visite.

L’homme s’était planté un couteau dans le ventre à l’arrivée des policiers genevois venus l’emmener le 13 septembre. Il avait par la suite entamé une grève de la faim, et son extradition avait été reportée.

L’assaut russe sur l’Ukraine au matin du 24 février 2022 aura probablement changé son destin. Ses avocats, Patrick Hunziker et Jean Donnet, confirment à Gotham City avoir déposé une demande de réexamen de la situation de leur client la semaine dernière.

Contorsions désagréables

Même si elle survient trois semaines après celle de leurs homologues européens, la décision du parquet fédéral et de l’OFJ de couper les ponts avec la Russie est un retournement notable. Et comme le montre le cas du banquier Shigaev, ce changement soudain de doctrine imposera des contorsions désagréables au plus haut niveau de l’ordre judiciaire.

En effet, la justice suisse aurait trop longtemps entretenu la «fiction d’une justice russe indépendante et digne de confiance». C’est ce qu’affirme Rudolf Wyss, l’ancien vice-directeur de l’Office fédéral de la justice, dans les colonnes de la NZZLien externe.

Il rappelle que «l’intense coopération de la Suisse avec la justice russe» dans le domaine de l’entraide judiciaire a «régulièrement fait les gros titres des médias au cours des dernières décennies». Selon lui, cette bienveillance envers «les plus hautes autorités judiciaires de Russie a contribué à protéger de véritables criminels».

Sous l’ère de l’ancien procureur général Michael Lauber, le Ministère public de la Confédération avait été très critiqué pour sa proximité parfois suspecte avec les autorités russes. L’épisode de l’inspecteur de la police fédérale invité à des chasses à l’oursLien externe par ses homologues russes avait également marqué les esprits.

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