Les actionnaires paieront pour la réputation d’UBS
Après avoir dû avouer des pertes de plus de 15 milliards de francs suisses, la plus grande banque helvétique se bat pour restaurer la confiance de sa clientèle privée.
Mais ce sera aux actionnaires de payer le prix de cette «réaction de panique». Et même s’il a dit renoncer à son bonus pour cette année, le patron Marcel Ospel essuye le feu de la critique.
UBS, la dixième banque mondiale, s’est brûlé les doigts dans la crise des «subprimes» américaines. En octobre, elle y admettait des pertes de 4,2 milliards de francs. Et lundi, elle annonçait devoir encore consentir à des amortissements supplémentaires pour 11,3 milliards.
Mardi, la banque explique qu’elle aurait pu absorber ces pertes avec ses réserves, mais qu’elle a choisi d’augmenter son capital afin de préserver la confiance et d’éviter de voir ses riches clients aller placer leur argent ailleurs.
UBS va donc accroître son capital de 19,4 milliards de francs. Le gros de la somme, soit treize milliards seront levés grâce à un emprunt convertible. GIC, société d’investissement gérant les réserves de changes de la ville-Etat de Singapour, va souscrire 11 milliards, et un investisseur du Moyen-Orient, dont le nom reste secret, les deux milliards restants.
Singapour entre donc pour 9% dans le capital d’UBS. La banque émettra aussi des actions, et payera les dividendes en actions plutôt qu’en cash. Des stratégies qui divisent les experts comme la presse.
«Ces deux nouveaux actionnaires arrivent dans des conditions dictées par l’urgence, qui leur sont extrêmement favorables. Et bien sûr, les autres actionnaires devront en payer le prix», explique à swissinfo le professeur Manuel Ammann, de l’Institut de banque et de finance de l’Université de St-Gall.
«Et quant à la mise en circulation de nouvelles actions, cela entraîne forcément un partage des bénéfices entre davantage de personnes. Et cela ressemble fort à une réaction de panique», ajoute le spécialiste.
La pression sur Ospel
La presse est plus sévère encore avec le management de la banque. Pour le quotidien économique «L’Agefi», «il y a quelque chose qui choque plus que les pertes et le camouflet de devoir payer au prix fort une recapitalisation nécessaire: la suffisance du management d’UBS».
«La Tribune de Genève» et «24heures» ne croient pas aux «discours lénifiants qui accompagnent les mauvaises nouvelles». Pour les deux quotidiens lémaniques, «Oui, l’UBS va mal. Brusquement. Subitement».
Le «Financial Times», lui, s’en prend directement à Marcel Ospel. Pour le quotidien international des affaires, l’homme fort d’UBS, «terminator par excellence», qui croit si fort au management à l’américaine, doit en appliquer les méthodes à lui-même et «se virer avec élégance».
«Le Quotidien Jurassien» commence par rappeler que «le petit client de la banque, celui qui doit donner moult garanties pour le moindre prêt demandé à UBS, (…) est en droit d’estimer qu’il y a scandale dans la maison».
Et pour le journal aussi, «Marcel Ospel doit partir. Pour la crédibilité de la banque. Tout en haut de l’échelle, le président d’UBS est coresponsable de ce gâchis».
La «Neue Zürcher Zeitung» se contente quant à elle de «s’étonner» qu’une telle banque n’ait pas réussi a mieux gérer les premiers signes de la crise des «subprimes».
«United Bank of Singapore»
«UBS: United Bank of Singapore ?». «Le Temps» et «Blick» ont eu la même idée quant à la déclinaison des trois lettres du sigle.
Le quotidien romand ne craint pas spécialement «l’asiatisation», mais il s’inquiète pour la place financière suisse et relève que les investissements dans les emplois et la formation bancaire vont «forcément s’orienter davantage vers l’Asie». Sans oublier la baisse annoncée des rentrées fiscales pour la Suisse.
Le tabloïd alémanique est plus sceptique sur cette participation asiatique et voit un «danger à ce que la banque tombe un jour en mains étrangères». «Blick» va même jusqu’à faire de ce lundi «un deuxième grounding de la marque Suisse», en référence à la débâcle de Swissair.
Plus de 3’100 milliards
A l’opposé, Andreas Venditti de la Banque cantonale de Zurich, voit dans le fait qu’UBS ait été capable de trouver ces gros investisseurs «un signe de confiance».
«Ils ont pris ces mesures drastiques pour maintenir la confiance à leur secteur gestion de fortune», explique l’analyste à swissinfo. La gestion de fortune est en effet le joyau de la couronne UBS et la banque craint que l’effritement de la confiance en une de ses divisions n’affecte celle qui lui rapporte le plus.
La banque gère en effet plus de 3’100 milliards de francs dans le monde, ce qui en fait le plus gros gestionnaire de fortune de la planète. Et rien que cette année, UBS a déjà accueilli 155 nouveaux milliards, confiés par des clients fortunés.
Où cela s’arrêtera-t-il ?
Manuel Ammann croit quant à lui que les actionnaires veulent donner une nouvelle chance à Marcel Ospel, comme le signalerait la hausse de l’action UBS enregistrée dès lundi en fin de séance.
«Sa position a été affaiblie, et il pourrait se voir maltraité à la prochaine assemblée des actionnaires, admet le professeur. Mais la réaction à la corbeille semble indiquer que les actionnaires pensent que le pire est derrière».
Dont acte… Mais UBS détient encore des créances hypothécaires à risque aux Etats-Unis pour 33 milliards de francs. Et si le pire était à venir ?
swissinfo, Matthew Allen
(Traduction et adaptation de l’anglais: Marc-André Miserez)
Issue de la fusion en 1997 de la Société de Banque Suisse (SBS) et de l’Union de Banque Suisse, UBS est la plus grosse banque helvétique et la dixième mondiale.
En 2000, la première grande acquisition du nouveau groupe a été PaineWebber, le quatrième plus gros courtier des Etats-Unis, venu combler un vide stratégique et régional dans les affaires de gestion de fortune d’UBS.
Par contre, les acquisitions des «hedge funds» Long Term Capital Management et Dillon Read Capital Management ont tourné au désastre. Tous deux se sont effondrés sous le poids de leurs dettes.
En juillet de cette année, deux mois après la chute de Dillon Read, le CEO Peter Wuffli partait abruptement, sans donner de raison claire. Et en octobre, UBS annonçait déjà 4,2 milliards de pertes dans les «subprimes» et 1’500 suppressions d’emplois, y compris chez les cadres.
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