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Les assureurs se ruent sur les objets intelligents

Les objets connectés portables suscitent un grand intérêt chez les assureurs. AFP

Les données récoltées par les objets intelligents pourraient transformer la manière de souscrire à une police d’assurance. Cette industrie se prépare à une véritable révolution.

«Les technologies portables (wearables en anglais) ont le potentiel de provoquer une mini-révolution dans la manière de contracter une assurance-vie, a récemment expliqué Neil Sprackling, le directeur général de Swiss Re, à Networking news. Si des gens sont prêts à utiliser des objets connectés et nous transmettent volontairement des informations sur leur santé, nous pourrons calculer les risques impliqués par ce processus de manière plus efficace et plus conviviale pour le client.»

Les analystes de marché s’attendent ainsi à ce que la demande pour les bracelets connectés qui monitorent la santé, comme le fitbit ou le jawbone, va exploser lors des prochaines années. De nouveaux outils qui permettent de mesurer le rythme cardiaque, la pression sanguine, le rythme du sommeil et d’autres indicateurs de santé sortent par ailleurs à une vitesse sans précédent.

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Certains des appareils sortis ces derniers temps arrivent même à détecter des maladies, comme le glaucome et le diabète, ou peuvent aider à surveiller l’état de santé de patients qui souffrent déjà de ces problèmes.

Et les assureurs se précipitent pour profiter de cet afflux de données personnelles médicales. Ces nouvelles informations vont leur permettre de proposer des polices d’assurance personnalisées, en offrant des rabais aux personnes qui ont un mode de vie plus sain. Ces appareils vont même pouvoir encourager les gens à contracter une assurance-vie en éliminant le besoin de passer des tests médicaux chronophages et en diminuant le travail administratif engendré par le processus.

Pas de technologie portable= pas d’assurance maladie

Neil Sprackling estime que les assureurs vont massivement exploiter les données fournies par les objets intelligents dans deux ans environ. Mais Oliver Werneyer, le manager en charge de l’innovation à Swiss Re, pense que leur rôle sera encore plus important que cela.

«Nous pourrions obtenir les informations médicales d’un patient, les données sur son activité physique, son alimentation et son assurance maladie en l’espace de quelques millisecondes»

«Nous pourrions obtenir les informations médicales d’un patient, les données sur son activité physique, son alimentation et son assurance maladie en l’espace de quelques millisecondes», a-t-il écrit sur un blog l’année passée. Il pense qu’il y aura aussi des sanctions si les gens ne portent pas d’objets connectés.

«Pas de technologie portable=pas d’assurance maladie, a-t-il écrit. Cette interdiction pourrait devenir réalité dans 5 à 10 ans. Si vous ne disposez pas d’un objet connecté qui monitore votre santé, il sera impossible de souscrire à une assurance vie. Si le système n’est pas implémenté dans les 5 à 10 prochaines années, je suis convaincu qu’il sera mis en place dans les 20 prochaines années.»

Lors d’une conférence sur les technologies portables à Berne en janvier dernier, Hanspeter Thür, le préposé à la protection des données en Suisse, a soulevé des interrogations sur la potentielle discrimination des personnes qui ne porteront pas ces objets connectés.

Danger de discrimination

Santésuisse, l’association des assureurs maladies en Suisse, a indiqué que la loi interdit à ses membres d’offrir des réductions aux porteurs de technologies portables quand ils souscrivent à des plans d’assurance maladie basique. Une interdiction confirmée par Michaela Kozelka, la porte-parole de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).

«Les assureurs doivent fournir l’assurance maladie obligatoire à tous les citoyens, relève-t-elle. Les primes ne dépendent pas de l’état de santé ou des risques d’une personne assurée de contracter une maladie. Ce genre de technologie n’influence pas l’assurance maladie de base.»

Les assureurs privés, cependant, seraient libres d’offrir de telles réductions. «Les consommateurs sont libres de contracter une assurance maladie ou une assurance-vie privée, et la compagnie d’assurance est libre d’adapter ces produits et sa politique de prime pour s’adapter aux envies des consommateurs, explique Sabine Alder, la porte-parole de l’Association suisse d’assurances. C’est aux consommateurs de décider s’ils veulent acheter ce produit ou non.»

Zurich Assurances est enthousiaste à la perspective d’utiliser ces données pour mieux identifier les risques impliqués par ses clients, mieux communiquer avec eux et traiter leurs demandes plus efficacement. «Il y a plusieurs domaines dans lesquels les nouvelles technologies peuvent améliorer l’expérience client, souligne Benno Keller, directeur de la recherche chez Zurich Assurances. Cela peut nous permettre de détecter des problèmes de santé avant même que notre client ne nous en parle.»

Comment partager?

Mais Benno Keller estime que plusieurs questions restent ouvertes. Parmi les plus importantes figurent la sécurité des données et la manière dont les gens sont prêts à partager leurs données médicales avec les assureurs et les autres acteurs du monde de la santé.

«Si tout le monde est d’accord de partager des données, alors une grande partie du marché peut se reposer sur ces outils, explique Benno Keller. Mais il est capital de savoir si les clients veulent vraiment donner ces informations. Jusqu’à quel point vont-ils accepter d’être surveillés et seront-ils d’accord de souscrire à une assurance de cette façon?»

«Ces outils peuvent être dangereux si nous ne les utilisons pas de manière correcte et si nous ne sommes pas bien informés»

Hanspeter Thür estime que la loi doit urgemment être modifiée pour prévenir l’abus de ces données. «Ces outils peuvent être dangereux si nous ne les utilisons pas de manière correcte et si nous ne sommes pas bien informés», a-t-il déclaré à swissinfo.ch en janvier. «La Suisse peut, bien entendu, améliorer ses lois en matière de protection des données, ce qui est nécessaire, mais pas suffisant si la Suisse fait cela seul – nous avons besoin d’une action au niveau européen», a-t-il poursuivi.

«Nous disposons déjà de beaucoup de données sur nos clients, affirme Benno Keller. Mais, avec les nouvelles technologies, ces informations seront transmises via internet. Des mesures de sécurité additionnelles sont requises.»

Vie privée ou argent comptant

La protection de ces données est également sur le point de devenir une industrie importante. Pryv, une compagnie technologique basée à Lausanne, développe des logiciels qui collectent, stockent et garantissent la sécurité des données récoltées par des entreprises et des individus.

L’année dernière, Pryv a conclu un deal avec Misfit Wearables pour gérer les données récoltées par cette société américaine et son appareil de monitoring du sommeil. Pryv est aussi en contact avec deux compagnies d’assurances – mais ne voulait pas encore donner leur nom à ce stade des négociations.

Pour Pierre-Mikael Legris, le PDG de Pryv, la question n’est pas de savoir si les gens devraient partager des données, mais comment ils pourront contrôler leur distribution. «Nous sommes déjà entrés dans l’ère où nos données voyagent tout autour du globe, a relevé Pierre-Mikael Legris.  Le problème est maintenant de savoir à qui ces informations appartiennent et comment gérer les droits de distribution.»

«Nous ne pouvons pas échapper à la valorisation des données, mais si vous le faites correctement, vous pouvez créer des avantages pour vous-même plutôt que pour les autres, avance Pierre-Mikael Legris. Et il est surprenant de voir combien de personnes qui se soucient de la protection de leurs données sont prêts à accepter de les donner lorsqu’on leur offre un rabais de 10% sur un produit.»

Une mode?

D’autres questions se posent également: Est-ce que les technologies portables sont là pour longtemps ou s’agit-il simplement d’une mode qui va rapidement disparaître? Et à quel point est-ce que les données obtenues par les technologies portables sont fiables? Pouvez-vous reposer sur vos clients pour les utiliser correctement pendant de longues périodes afin d’obtenir des informations utilisables?

Contenu externe

Cette question est cruciale pour les sociétés qui fournissent des assurances-vie, dont les contrats durent plusieurs dizaines d’années. «C’est assez incroyable le nombre d’objets connectés qui terminent dans un tiroir après quelques mois», souligne Andreas Caduff, le CEO de Biovotion, une firme qui développe des outils de monitoring de la santé.

Mais ce n’est pas un problème pour Biovotion, une spin-off de l’EPFZ. La startup prépare le lancement de produits qui monitorent les problèmes de santé chroniques, comme les troubles cardiovasculaires ou le diabète. Leurs patients ont donc plus de chances d’utiliser leur outil sur le long terme, contrairement aux amateurs de nouvelles technologies ou les amateurs de fitness.

Besoin d’un écosystème

Andreas Caduff reconnaît que ces données médicales présentent beaucoup de valeur pour les assureurs. Mais il se bat pour un partage plus large de ces données afin qu’elles prouvent leur efficacité à long terme.

«Se contenter d’attacher un objet connecté à un individu, qu’il soit sain ou malade, n’est pas suffisant. Il faut que l’objet soit incorporé à un écosystème de soins professionnels, de docteurs, d’assureurs et d’autres participants du monde médical. C’est la seule manière de générer des bénéfices financiers, y compris pour le porteur de l’appareil.»

«Les assureurs adoptent ces nouveaux outils graduellement, pour ensuivre voir quelles composantes sont vraiment intéressantes, ajoute-t-il. Ils ne veulent pas rater ce train, mais ils ne savent pas vraiment comment en profiter. Une approche plus convaincante, adoptée par certains assureurs, est de préparer un écosystème dans sa totalité et le lancer d’un seul coup dès qu’il est prêt.» 

(Traduction de l’anglais: Clément Bürge)

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