Les enjeux du procès en appel d’UBS pour évasion fiscale en France
Le procès en appel d’UBS, condamnée en première instance à une amende de 4,5 milliards d'euros dans une affaire d’évasion fiscale en France, débute lundi. Il sera suivi de près par les actionnaires de la banque et les militants anti-corruption, pour qui des sanctions sévères sont le seul moyen d'assainir le système financier.
En février 2019, la justice française avait condamné UBS à une amende de 3,7 milliards d’euros pour complicité d’évasion fiscale et lui avait ordonné de payer 800’000 euros supplémentaires de dommages et intérêts (pour un total de 4,9 milliards de francs suisses). La banque avait immédiatement annoncé qu’elle ferait appel. Le procès, qui commence le 8 mars devant la cour d’appel de Paris, devrait durer plus de deux semaines.
L’un des principaux axes de défense de la banque consiste à dire qu’elle s’est conformée à la réglementation fiscale de l’époque. La directive de l’Union européenne (UE) sur l’épargne n’obligeait alors pas les banques à communiquer les données de leurs clients à d’autres pays. L’échange automatique d’informations fiscales entre la Suisse et l’UE est entré en vigueur en 2017, soit après les infractions jugées.
Les avocats d’UBS contestent que la banque ait délibérément cherché à attirer des fraudeurs fiscaux et estiment que le verdict de première instance est entaché d’irrégularités juridiques. Certains pensent que les poursuites et le jugement du tribunal français avaient des motivations politiques.
C’est aussi l’avis du journaliste Nicholas Shaxson, de l’ONG britannique Tax Justice Network, mais il n’y voit pas une mauvaise chose. «Les représentants politiques et l’électorat sont de plus en plus choqués par l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent», dit-il. «Je m’attends par conséquent à voir des amendes plus conséquentes. Des sanctions de cette ampleur sont absolument essentielles pour mettre fin à ce type de comportements. Elles n’ont pas été assez souvent utilisées.»
Il est déconcertant pour beaucoup de constater que l’argent sale paraît toujours omniprésent dans le système financier, malgré la fin annoncée en grande pompe du secret bancaire en 2017. Une affaire de détournement de fonds publics vénézuéliens mettait récemment en cause une banque suisse sur huit.
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Des lors, certains s’interrogent: la Suisse a-t-elle la volonté politique ou les moyens juridiques d’endiguer les activités illicites de la place financière?
«Les lacunes de la responsabilité pénale des entreprises en Suisse sont nombreuses et considérables», déplore Martin Hilti, le directeur de Transparency International Suisse. «Pour lutter efficacement contre la corruption et le blanchiment d’argent, mais aussi d’un point de vue social et constitutionnel, la situation actuelle en Suisse est extrêmement insatisfaisante.»
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D’autres pays n’ont aucun problème à imposer des sanctions sévères aux banques suisses. En 2009, UBS a été condamnée aux Etats-Unis à une amende de 780 millions de dollars pour évasion fiscale. La justice américaine a par la suite infligé une amende de 2,6 milliards de francs à Credit Suisse, tandis que la célèbre banque privée Wegelin a fait faillite sous le poids d’une condamnation similaire.
Pour finir, 80 banques suisses ont préféré admettre leur culpabilité et payer près de 1,4 milliard de dollars aux Etats-Unis pour solder des délits d’évasion fiscale passés.
L’amende prononcée par la justice française est assez conséquente pour fâcher de nombreux actionnaires d’UBS. En 2010, alors que la banque était engluée dans la crise des subprimes et des déboires avec le fisc américain, les actionnaires avaient refusé en assemblée générale de décharger les administrateurs de la banque de leurs responsabilités légales.
Pour Nicholas Shaxson, dont le livre Treasure Islands retrace l’histoire des paradis fiscaux, il serait naïf de croire que les banques vont changer leur comportement de leur plein gré, même si les régulations sont devenues plus sévères.
«Il y a eu des avancées significatives en matière de transparence financière, mais les banques vont continuer à essayer d’exploiter les failles», pointe-t-il. «Le jeu du chat et de la souris avec les forces de l’ordre va se poursuivre. La répression accrue du blanchiment d’argent ne va pas changer la nature profonde des banques mais elle va affecter leur manière de travailler.»
UBS persiste à affirmer que sa condamnation pour des faits d’évasion fiscale ne repose sur aucune base légale. S’accrocher à cette défense est un pari. UBS pouvait se permettre d’ignorer la satisfaction des ONG à l’annonce du verdict à Paris il y a deux ans, mais aucune entreprise ne peut prospérer durablement avec des actionnaires en colère et frustrés.
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