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Les gardiens de la libre circulation

L’inspecteur Stefan Hirt (au centre) contrôle deux carreleurs allemands. swissinfo.ch

La libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne est en vigueur depuis dix ans. Pour éviter un dumping salarial et social, des inspecteurs veillent au respect des mesures d’accompagnement acceptées par les partenaires sociaux. swissinfo.ch a accompagné l’un d’eux sur le terrain.

«Salut, nous nous sommes déjà vu en 2009.» Stefan Hirt salue aimablement, mais sans trace de familiarité, deux carreleurs allemands. Ces deux ouvriers étrangers sont présents à Vinelz, au bord du lac de Bienne, pour couvrir de dalles foncées le rez-de-chaussée d’une maison préfabriquée.

L’homme à la stature imposante – il mesure deux mètres – s’identifie comme inspecteur du Contrôle du marché du travail du canton de Berne et ouvre son ordinateur portable sur une étagère de fortune installée dans le hall d’entrée. Il veut vérifier si l’employeur allemand des deux hommes a corrigé les problèmes constatés lors d’un précédent contrôle, il y a trois ans.

Une fois les cartes d’identité vérifiées, l’inspecteur commence à interroger les deux carreleurs. Dans le masque de son logiciel, Stefan Hirt saisit les renseignements volontiers livrés par les deux ouvriers: séjour de cinq jours en Suisse, salaire horaire de 14,70 euros pour l’un et de 14 euros pour l’autre, dix heures de travail par jour, compensation des heures supplémentaires.

L’employeur allemand prend par ailleurs en charge le logement et le petit-déjeuner, attribue 15 euros (18 francs) pour les frais de repas de midi et du soir. Les deux ouvriers ont droit à 30 jours de vacances par an. Le temps nécessaire pour le transfert entre l’Allemagne et la Suisse est considéré comme temps de travail, même si ce n’est qu’à partir de la frontière suisse.

Enfin, les adaptations salariales sont prises en charge par l’employeur. Celles-ci compensent la différence entre un salaire usuellement pratiqué dans un pays étranger et le salaire minimum prévu par les conventions collectives de travail en Suisse.

Sanctions possibles

«La somme pour couvrir les frais journaliers est probablement trop basse», affirme Stefan Hirt qui, après un bon quart d’heure, est à nouveau derrière le volant de sa voiture. L’inspecteur exigera en outre de l’employeur de prouver qu’il verse les adaptations salariales telles que prévues par la loi.

Ses rapports et documents seront ensuite transmis à la commission paritaire, composée de représentants des employeurs et des syndicats. Si des violations de la Loi fédérale sur les travailleurs détachés étaient constatées, l’employeur risquerait alors des sanctions allant de l’avertissement à l’amende, en passant par une interdiction d’envoyer des travailleurs détachés en Suisse.

«Notre tâche principale est de contrôler que la Loi sur les travailleurs détachés est respectée», explique Stefan Hirt. Charpentier de formation, celui-ci bénéficie d’une longue expérience des chantiers. Inspecteur depuis plusieurs années, il connaît également la loi sur le travail sur le bout des doigts.

Outre Stefan Hirt, chef par intérim, le Contrôle du marché du travail du canton de Berne peut compter sur cinq autres inspecteurs, dont une femme.

Des milliers de contrôles

En 2011, le service a contrôlé presque 3400 travailleurs détachés. Des violations de la loi ont été constatées dans pratiquement un cas sur deux. Pour Stefan Hirt, la tâche des inspecteurs est importante pour sauvegarder le marché suisse du travail. «Nos contrôles permettent de garantir qu’il existe des conditions équitables dans l’adjudication des appels d’offre, souligne-t-il. Mon souhait, c’est qu’à l’avenir, mes enfants puissent vivre ici de leur propre travail.»

En l’absence de contrôle, les entreprises suisses feraient de plus en plus appel à des travailleurs provenant de l’étranger, en particulier d’Europe de l’Est, ce qui tirerait les salaires vers le bas. De plus, elles sous-traiteraient plus facilement des travaux à des entreprises des pays de l’Union européenne.

Les conditions de travail des salariés détachés sont relativement faciles à contrôler. L’entreprise qui les envoie en Suisse doit s’annoncer auprès des autorités cantonales. Les inspecteurs connaissent parfaitement le lieu où ces salariés se trouvent et la durée de leur mandat.

La situation est différente pour les travailleurs en provenance de l’étranger qui se déclarent indépendants. Dans ces cas, on assiste à une augmentation des infractions. Mais démontrer que ce sont des violations des normes légales est extrêmement difficile.

2,50 francs de l’heure

La prochaine étape de Stefan Hirt se trouve dans les environs de Lyss. Il doit contrôler une entreprise suisse qui a fait construire un système de transport pour matériaux de construction par une société allemande. L’ouvrier allemand responsable de l’assemblage de l’infrastructure gagne 14,50 euros de l’heure.

Ce père de famille de 45 ans travaille pour la même entreprise depuis 1996. Il ne reçoit pas de treizième salaire, mais seulement une gratification de 500 euros à Noël. Il ne sait pas s’il recevra quelque chose pour rembourser les frais relatifs à son séjour à l’étranger. La seule chose dont il est sûr, c’est que ses heures supplémentaires seront payées.

Après quelques minutes d’inspection, Stefan Hirt en arrive à la même conclusion que pour les deux carreleurs: il demandera à l’entreprise allemande de fournir des informations détaillées sur son règlement pour le remboursement des frais et les adaptations salariales.

Malgré un remboursement des frais réduit à sa portion congrue, les travailleurs allemands rencontrés durant la journée sont traités royalement en comparaison d’un groupe de charpentiers lituaniens que Stefan Hirt avait contrôlés à la fin 2010 dans le Jura bernois. Ceux-ci travaillaient pour un salaire horaire de 2,50 francs. Et le peu qu’ils avaient à manger, ils l’avaient apporté de leur pays, raconte-t-il.

«Ils m’ont fait vraiment de la peine, parce qu’ils ne recevront jamais le salaire qui leur revient de droit», regrette l’inspecteur. En revanche, pour les deux carreleurs allemands, la semaine passée en Suisse leur rapportera un plus de 300 euros par rapport à leur salaire hebdomadaire habituel, soit pratiquement le double. Suisse-Allemagne 2:1, donc, du moins en ce qui concerne le salaire des carreleurs.

Suivant les recommandations de la Chambre du peuple, le gouvernement a décidé d’améliorer le pilotage des mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes, introduites en 2004, afin de protéger les salariés travaillant en Suisse du dumping social et salarial.

Un employeur étranger qui détache des travailleurs en Suisse est tenu de respecter les conditions de travail et les salaires.

Le Département fédéral de l’économie (DFE) devra renforcer son soutien aux organes d’exécution (commissions paritaires et tripartites) et consolider leur collaboration avec les autorités cantonales.

Quatre postes de travail vont être ajoutés aux cinq existants au DFE.

Les cantons devront améliorer leur transparence sur les cas avérés de sous-enchère salariale.

Selon un récent sondage, 62% des petites et moyennes entreprises alémaniques jugent que la libre circulation est «plutôt une chance» et 21% y voient «plutôt un risque».

En 2010, les inspecteurs du travail ont effectué 18’000 contrôles auprès d’entreprises suisses (100’000 personnes) et 16’000 auprès d’entreprises étrangères et de travailleurs étrangers indépendants détachés en Suisse (plus de 40’000 personnes).

38% des entreprises qui ont détaché des travailleurs n’ont pas respecté les conditions salariales stipulées dans les conventions collectives de travail (CCT). Ce taux était de 25% en 2009. Dans les branches sans CCT, 12% des entreprises étrangères ont proposé des salaires inférieurs, contre 6% pour les entreprises suisses.

En 2010, 147’000 résidants de brève durée (jusqu’à 90 jours) ont été annoncés: 50% par un employeur suisse, 40% comme travailleurs détachés et 10% comme indépendants.

De plus en plus d’employeurs étrangers cherchent à contourner la Loi fédérale sur les travailleurs détachés par le biais de faux travailleurs indépendants.

Le ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann entend renforcer les exigences sur les documents à présenter pour pouvoir travailler en indépendant.

Environ 25% des 3500 indépendants contrôlés en 2010 ne l’étaient pas en réalité.

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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