Les multinationales suisses, des poids lourds mondiaux actifs dans des secteurs à risque
La densité de sièges de grandes multinationales en Suisse est l’une des plus élevées au monde. Parmi elles, des géants du négoce des matières premières, de l’alimentation ou encore de l’industrie chimique.
Pourvoyeuses de recettes fiscales et d’emplois, les multinationales jouent un rôle important dans l’économie helvétique. Fin 2019, selon l’Office fédéral de la statistiqueLien externe, plus de 30’000 entreprises en Suisse faisaient partie d’un groupe multinational, employant environ 1,4 million de personnes.
Près de 17’000 d’entre elles, représentant plus de 935’000 emplois, faisaient partie d’un groupe doté d’un siège social suisse. De nombreuses firmes étrangères ont également un siège européen, ou des unités d’entreprise clés, sur le sol de la Confédération.
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Le poids globalement positif des multinationales en Suisse
Et à l’international, certaines de ces multinationales sont aussi des acteurs majeurs. Quatorze sociétés basées en Suisse figurent dans le dernier classement mondial établi par FortuneLien externe des 500 entreprises faisant le plus de chiffre d’affaires, tous secteurs confondus. Elles emploient plus de 1,2 million de personnes dans le monde.
Et d’autres grandes multinationales helvétiques figureraient en bonne place dans cette liste si elles rendaient publics tous leurs chiffres. À l’exemple de Vitol, avec son chiffre d’affaires annuel de 225 milliards de dollars (205 milliards de francs suisses). À titre de comparaison, si Vitol était un pays, ce serait la 52e économie mondiale, entre le Pérou et la Grèce.
La moitié des places de ce classement sont occupées par des firmes chinoises et américaines, mais la Suisse abrite la plus forte concentration d’entreprises du «Global 500» compte tenu de sa population.
Pour les grandes entreprises, la Suisse présente de nombreux atouts: sa stabilité économique, la force de sa place financière, une main-d’œuvre qualifiée, une situation géographique au cœur des réseaux de transport, mais aussi une fiscalité avantageuse et une réglementation souple.
Les géants mondiaux des matières premières sont en Suisse
Avec plus de 500 sociétés actives dans ce secteur, la petite nation alpine est en particulier l’une des principales plateformes mondiales du négoce de matières premièresLien externe, qu’il s’agisse de pétrole, de métaux, de minéraux ou encore de produits agricoles. Elle abrite les sièges sociaux des leaders mondiaux du secteurLien externeVitolLien externe, GlencoreLien externe, TrafiguraLien externe, MercuriaLien externe et GunvorLien externe, qui emploient à eux cinq environ 180’000 personnes dans le monde et sont actifs dans des dizaines de pays, sur tous les continents.
D’autres géants du secteur sont aussi présents en Suisse, à l’instar de Cargill International, BHP, Koch, Bunge ou Louis Dreyfus Company. La plupart de ces sociétés ne se limitent pas au commerce et ont diversifié leurs activités en s’impliquant tout au long de la chaîne d’approvisionnement, par exemple en achetant des mines ou des licences d’exploration.
S’il existe une tradition suisse du négoce qui remonte à la première moitié du 19e siècle, le pays a aussi attiré plus récemment de nouveaux grands traders grâce à «une démarche de séduction de la part des autorités de certains cantons, notamment Zoug et Genève, durant les vingt dernières années», explique Paul Dembinski, professeur d’économie à l’Université de Fribourg. Et aujourd’hui, ces multinationales tentaculaires trustent le haut du classement des plus grandes entreprises helvétiques.
Des acteurs majeurs de l’alimentation ou de la pharma
Parmi les plus grandes multinationales suisses, on trouve aussi des poids lourds mondiaux dans d’autres domaines. C’est le cas de Nestlé, numéro un mondialLien externe de l’alimentation et des boissons depuis plusieurs années. Roche et Novartis occupent également une place de choix parmi les leaders de l’industrie pharmaceutique, dans le top 10 mondial quel que soit le classementLien externe considéré. Même constat pour Lafarge Holcim dans le secteur des matériaux de constructionLien externe et ABB dans l’industrie des machinesLien externe.
Avec Richemont et Swatch Group, deux des 10 plus grands groupes de luxe au monde sont suisses, d’après le rapportLien externe «Global Powers of Luxury Goods» établi par le cabinet Deloitte. La Suisse abrite encore la 2e entreprise mondiale de travail temporaireLien externe (Adecco), le numéro deux mondial de la marine marchandeLien externe (MSC Mediterranean Shipping Company) et le 2e fournisseur de logistique tiersLien externe au monde (Kühne + Nagel International).
Coop et Migros figurent parmi les 50 premiers du classement Deloitte des 250 principaux détaillants du mondeLien externe. Dans l’industrie chimique globale, Syngenta occupe la 29e placeLien externe, et la première sur le segment des pesticides.
Certaines industries particulièrement à risque
L’initiative «Entreprises responsablesLien externe», sur laquelle les citoyennes et citoyens suisses voteront le 29 novembre, veut soumettre les entreprises internationales ayant «leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur établissement principal en Suisse» à un devoir de diligence concernant le respect des droits humains et des normes environnementales reconnus internationalement. En cas de manquement, les firmes pourraient devoir répondre devant la justice d’éventuelles violations commises par leurs filiales ou par des établissements qu’elles contrôlent à l’étranger.
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La responsabilité des entreprises, une partie ouverte dans les urnes
L’Office fédéral de la statistiqueLien externe (OFS) distingue les «multinationales suisses», dont le siège social est basé dans le pays, des «multinationales étrangères», présentes sur le territoire mais contrôlées par une entité extérieure.
Il n’existe pas de définition universelle et strictement délimitée des multinationales. Dans l’esprit de la plupart des gens, les multinationales sont les très grandes entreprises internationales, cotées en bourse et connues du grand public.
Ce n’est qu’une partie de la réalité. Aligné sur Eurostat, l’OFS considère qu’un groupe d’entreprises est multinational dès lors qu’il compte au moins deux entités légales situées dans différents pays. Selon cette définition, des entreprises de petite ou de moyenne taille (PME) peuvent donc être des multinationales.
Les opposants craignent que ces PME puissent aussi être visées par l’initiative. Mais le texte prévoit que la charge de diligence soit conditionnée à la taille des entreprises et que les PME en soient exclues, à moins qu’elles soient actives dans des secteurs à risque. Les grands acteurs devraient donc être les plus concernés.
Le texte ne concerne que les entreprises «qui ont de fortes ramifications dans des pays où le contexte réglementaire, en matière de droits humains et d’environnement, est en-dessous des standards internationalement admis», estime Paul Dembinski, professeur d’économie à l’Université de Fribourg et directeur de l’Observatoire de la Finance. «Pour résumer, il s’agit des entreprises qui ont une activité appuyée dans les pays en voie de développement.»
De fait, certaines de ces grandes entreprises sont plus exposées que d’autres au risque de violation des droits humains ou des normes environnementales. Les scandales révélés par l’ONG Public Eye ces dernières années ont par exemple impliqué des filiales de Glencore, LafargeHolcim ou Syngenta, en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie.
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Demander des comptes aux firmes suisses à l’étranger: un casse-tête
«Les risques se concentrent principalement à deux niveaux: la nature des activités et les contextes dans lesquels les multinationales opèrent», relève Géraldine Viret, porte-parole de l’organisation, qui soutient l’initiative en votation le 29 novembre.
«Le secteur des matières premières est particulièrement sensible», tout comme l’agrochimie, selon la spécialiste. Le classement annuel de l’Institut pour les droits de l’homme et les entreprises (voir encadré ci-dessous) ajoute encore à la liste des secteurs sensibles l’industrie textile et la fabrication de produits informatiques et de communication.
Outre les problèmes environnementaux «dévastateurs» liés à ces activités, «on parle souvent de pays fragiles, où la population vit dans une grande pauvreté, en dépit des richesses de son sol, et où l’État n’est pas à même de protéger ses citoyens, explique Géraldine Viret. À cela s’ajoute [la] puissance économique [de ces multinationales] et leur influence, qui dépasse souvent celle des États dans lesquels elles agissent».
En tant que terre d’accueil des géants de secteurs à hauts risques, Public Eye estime que la Suisse a un rôle central à jouer en se dotant d’une législation sur la responsabilité des entreprises. Pour l’ONG, il s’agit de mettre en adéquation les responsabilités de ces entreprises avec leur pouvoir.
L’IHRB (Institut pour les droits de l’homme et les entreprises) évalue chaque année 200 des plus grandes entreprises cotées en bourse au monde sur un ensemble d’indicateurs des droits humains. Il se concentre sur quatre secteurs «à haut risque»: produits agricoles, habillement, industries extractives et fabrication de produits informatiques et de communication. Selon son rapport d’évaluation annuelLien externe, beaucoup de grandes entreprises ne sont pas en mesure de démontrer qu’elles satisfont aux exigences de base des Nations unies en matière de droits humains. Quatre multinationales suisses y figurent et obtiennent des scores médiocres, voire mauvais. La mieux placée est NestléLien externe (55/100), suivie par GlencoreLien externe (46/100), Lindt & SpruengliLien externe (6/100) et TE ConnectivityLien externe (moins de 5/100).
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