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Les Suisses assis sur une montagne… de dettes

Il faut souvent beaucoup s'endetter pour acquérir une maison individuelle. Ex-press

Les Suisses sont souvent vus comme un peuple économe et prudent. Pourtant, ils sont parmi les plus endettés au monde en matière d’hypothèques. Le système fiscal et les conditions du marché expliquent ce phénomène qui inquiète les autorités.

Selon la Banque Nationale Suisse (BNS), le montant total des crédits hypothécaires atteignait l’an dernier le niveau jamais atteint de 614,244 milliards de francs, ce qui représente 103,6% du Produit intérieur brut (PIB) annuel.

C’est presque le record du monde. Seuls les Pays-Bas affichent un taux supérieur (107,1%). Parmi les pays où l’endettement hypothécaire est important, citons encore les Etats-Unis (76,5%) et l’Espagne (64%). Partout ailleurs, ce taux est inférieur à 50% du PIB.

Un fort endettement n’est toutefois pas toujours le signe avant-coureur d’une catastrophe. «Les chiffres sont certes impressionnants, admet Philippe Thalmann, professeur d’économie à l’Ecole polytechnique de Lausanne et spécialiste du marché immobilier. Le montant total des dettes hypothécaires représente une dette d’environ 250’000 francs par logement. Mais cette dette est plus de deux fois moins importante que la valeur des logements, qui est de 600’000 francs en moyenne. Il faudrait vraiment que les prix soient divisés par deux pour que cela devienne préoccupant pour l’ensemble des propriétaires.»

Inquiétude des autorités

Il n’empêche, ce classement a de quoi donner quelques sueurs froides. Les Pays-Bas ont vu leur bulle immobilière éclater l’an dernier; les Etats-Unis ont connu la crise des subprimes; l’Espagne se lamente sur son marché immobilier sinistré. La Suisse n’est donc pas forcément à l’abri, elle aussi, de mauvaises surprises, même si les conditions actuelles (taux hypothécaire bas, forte demande en appartements, conjoncture économique favorable) restent bonnes.

Les autorités suisses sont en tous cas conscientes des risques et en appellent à la prudence. En février 2012, le groupe de travail «Stabilité financière» du Département fédéral des finances (DFF) écrivait dans son Rapport sur la surveillance macroprudentielle en Suisse: «Un taux d’endettement élevé expose fortement les ménages à certains risques, comme celui d’une hausse marquée des taux d’intérêt. La baisse de la valeur vénale en cas d’accroissement des taux pourrait déstabiliser le marché immobilier si la capacité de nombreux ménages à supporter les dettes était dépassée. Il faut donc éviter toute incitation de politique financière qui encouragerait un endettement excessif des ménages.»

Dans un autre document intitulé L’évolution du marché immobilier suisse et le rôle de l’Etat, le DFF relève encore qu’«une hausse rapide des taux d’intérêt peut déboucher sur des situations critiques. C’est le cas lorsqu’une correction des prix de l’immobilier se produit et qu’un nombre important de débiteurs hypothécaires se trouvent confrontés à des difficultés de paiement. Les problèmes risquent alors de se propager aux banques voire au système financier tout entier, et même de requérir une intervention coûteuse de l’État dans le pire des scénarios.»

D’autres autorités – la BNS, le gouvernement et l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) – ont elles aussi à plusieurs reprises fait état de leurs préoccupations.

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Système en cause

L’endettement des ménages a augmenté ces dernières années notamment en raison de taux hypothécaires historiquement bas. Ceux-ci sont si peu élevés – actuellement environ 2% pour une hypothèque fixe à dix ans – que les ménages n’hésitent pas à s’endetter plus fortement qu’autrefois pour acheter des biens immobiliers dont la valeur ne cesse de s’envoler.

Mais le système est également en cause. Contrairement à la plupart des autres pays, il n’est pas nécessaire en Suisse de rembourser l’intégralité du prêt, même après une longue période. Les directives internes des banques demandent simplement qu’un tiers de la dette soit remboursé dans un délai de 20 ans ou avant l’âge de la retraite.

«En Suisse, les banques n’exigent pas le remboursement des dettes hypothécaires, alors qu’en France ou en Italie, on doit le faire en 20 ou 30 ans, précise Philippe Thalmann. Bien au contraire, les banques sont très contentes lorsque l’on ne rembourse pas, car cela représente un marché relativement lucratif pour elles.»

Les taux hypothécaires n’ont jamais été aussi bas depuis… 1850!

Pour calculer la charge d’un prêt hypothécaire, les banques se base sur une moyenne historique de 5%.

Actuellement, le taux pour une hypothèque fixe à 10 ans se négocie entre 2 et 2,5%. Pour des termes plus courts ou des hypothèques à taux variable, le taux est légèrement supérieur à 1%. Emprunter de l’argent n’a jamais été aussi bon marché.

Il y a toutefois un effet pervers, car des taux d’intérêts très bas contribuent à augmenter le prix de l’immobilier.

Valeur locative

Le système fiscal suisse présente également une particularité qui favorise l’endettement. Dans la plupart des cantons, le propriétaire est imposé sur la valeur locative de son bien. Il s’agit d’un revenu fictif correspondant au loyer qu’il percevrait de la mise en location de son logement.

«D’un point de vue de théorie fiscale, l’imposition de la valeur locative est une bonne mesure, estime Philippe Thalmann. Elle permet une égalité de traitement entre le propriétaire qui utilise son logement et celui qui le loue. En effet, le propriétaire-bailleur, qui perçoit des loyers, doit les déclarer comme revenus au fisc.»

En contrepartie de l’imposition de la valeur locative, le propriétaire peut déduire de sa déclaration fiscale les intérêts qu’il débourse sur sa dette hypothécaire et les frais d’entretiens de son immeuble. Du coup, d’un point de vue fiscal, il a donc intérêt à maintenir une dette et à payer des intérêts, afin de compenser l’imposition de la valeur locative.

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Premières mesures

Pour limiter les risques, les autorités ont déjà incité les banques à renforcer leurs mesures d’autorégulation dans l’attribution des prêts hypothécaires (voir article en annexe). Les nouvelles règles sont entrées en vigueur le 1er juillet 2012.

Le frein à l’endettement pourrait également passer par la suppression des incitations fiscales. Mais il s’agit d’un processus long. «Les efforts en vue de réformer l’imposition de la propriété n’ont pas porté leurs fruits par le passé. Ces treize dernières années, trois projets ont été refusés en votation, qui proposaient tous de modifier de différentes manières l’imposition de la valeur locative», a récemment constaté le gouvernement.

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