Les vins suisses ne boivent pas au tonneau de Bordeaux
Les prix des grands crus flambent sous le coup de la spéculation et de la demande de consommation. Le vin est en effet devenu un véhicule de placement recherché. En Suisse toutefois, la production locale échappe largement à cette financiarisation. Explications.
«C’est le buzz», comme dit Jacques Perrin, négociant et critique. Investir dans le vin, spéculer sur la hausse des prix est une activité qui peut rapporter des sous et passionne les médias.
«Mais la réalité du vin n’est pas là et il serait très dommage que cette approche prenne le dessus sur l’artisanat que représente le vrai vin, sur son caractère symbolique et culturel, sur les relation au terroir, sur le temps long.»
Difficile de donner tort à ce grand connaisseur du monde du vin qui dit aussi que «ce n’est pas parce qu’on a les moyens de se payer une caisse de Romanée Conti que l’on en comprend toutes les subtilités et la valeur». Ceci dit, investir dans le vin est bel et bien devenu une manière de faire fructifier son argent.
Deux universitaires suisses ont d’ailleurs sorti un papier qui a fait le tour de la planète au printemps dernier. On y apprenait sur la base de l’expérience des quinze dernières années que réserver une part au vin dans son portefeuille en accroit le rendement par beau temps et réduit le risque, donc les pertes en période de crise économique.
«Ni les attaques terroristes à New York, ni l’éclatement de la bulle internet, ni le boycott des produits français après l’invasion de l’Irak n’ont eu beaucoup d’effet sur les prix des vins», constataient les deux auteurs.
D’ailleurs, durant la crise de ces dernières années, les principales actions américaines ont perdu quasiment 50% de leur valeur alors que l’indice du vin créé par les deux économistes en a perdu moins de 20%.
Un marché difficile
Philippe Masset, l’un des deux auteurs en question, invite toutefois à la prudence. Le marché du vin est en train de s’organiser et de se professionnaliser dans le monde, mais il reste mal connu et difficile à comprendre.
En conséquence aussi, les montants investis sont malaisés à quantifier. Quelques centaines de millions de dollars pour les seules maisons d’enchères, qui sont la pointe d’un iceberg qui comprend notamment les enchères en ligne qui se développent, les petites annonces, le contact direct, les grands marchands et les fonds d’investissement.
Difficile aussi de dire jusqu’où les prix des grands vins mondiaux continueront à grimper. L’indice phare du secteur, le Liv-ex Fine Wine 100, composé essentiellement de grands Bordeaux, a pris plus de 26% cette année, et triplé en cinq ans.
Bulle spéculative (on achète pour revendre plus cher)? Effet de la demande chinoise, indienne et d’autres économies émergeantes pour leur consommation? Philippe Masset ne tranche pas.
Une valeur spéculative
Mais de toute manière, la tendance est là, selon Jacques Perrin. D’objet de consommation et de plaisir, «le vin est devenu une valeur spéculative». Et l’envolée des prix observée cette année encore pour le millésime 2009 des grands Bordeaux a tendance à tirer vers le haut les prix des grands italiens, espagnols, américains, australiens, Bourgognes.
Cet effet d’entrainement devrait peu toucher les vins suisses, dont la production et la commercialisation est dominée par des artisans plutôt que par des groupes financiers, juge Jacques Perrin.
Ce phénomène «donne un potentiel de hausse de prix pour les grands vins suisses, mais dans les fait, ils ne bougent guère», confirme Philippe Masset. Par contre, «le différentiel de prix entre grands vins étrangers et grands vins suisses aidera à écouler ces derniers».
Le constat des deux hommes mène plus loin. Si les Suisses ne sont pas les derniers à concevoir les grands crus comme des placements financiers ou comme moyen de financer leur consommation propre, l’approche «financière» ne concerne que très marginalement la production locale.
Tout est écoulé en Suisse
Certains Merlot tessinois, un ou deux Pinot noir grisons «iconiques» cherchent à accroître leur visibilité à l’étranger et pourraient susciter ponctuellement quelques mouvements spéculatifs. Mais en général, le vin suisse reste épargné par le phénomène, constate les deux connaisseurs.
En réalité, la Suisse exporte moins d’un pourcent de ses vins, l’offre et la demande s’équilibrant sur le marché intérieur. Autrement dit, si ce n’est auprès de quelques amateurs éclairés désireux d’enrichir leur cave, les vins suisses n’ont pas de reconnaissance internationale.
«Les vins suisses sont beaucoup moins connus que les vins autrichiens ou allemands par exemple», assure Jacques Perrin. Or, sans visibilité internationale, le vin n’est pas recherché à une assez large échelle, donc pas de spéculation.
«On observe bien une tendance à la hausse de prix sur certaines cuvées qui étaient sous-évaluées, mais le marché suisse reste un marché d’amateurs de vin, explique Jacques Perrin. (…) C’est un marché sain, porté par une clientèle fidèle. Personne ne souhaite que la spéculation vienne se greffer dessus.»
L’avenir dira si les prochaines générations sont du même avis ou si elles souhaitent davantage frotter leur production aux vins internationaux. «Je pense que la visibilité des vins suisses va croître, affirme Philippe Masset. Leur prix dépendra finalement de la volonté des domaines.»
Pour les vins blancs, le prix moyen de vente en Suisse est d’environ 9,20 CHF. Il atteint 7,75 CHF pour les blancs d’origine étrangère et 10,05 CHF pour les Suisses.
Le prix moyen des rouges est de 9,10 CHF avec la répartition suivante: 8,60 CHF pour les rouges étrangers et 11,60 CHF pour les Suisses (chiffres pour 2009).
Les prix les plus élevés atteints chez le producteur par des vins suisses dépassent la centaine de francs. 115 CHF pour un rouge Castello Luigi de Zanini, par exemple.
Le record de prix mondial atteint par du vin lors d’une vente aux enchères avoisine les 110’000 CHF pour six bouteilles.
Les amateurs ont bu en Suisse l’an dernier 2,757 millions d’hectolitres de vin. Soit un peu moins (0.9%) que l’année précédente.
Les vins suisses représentent un peu plus d’un tiers des quantités bues (1.03 millions d’hectolitres). Leur consommation a baissé (-4,5%) alors que celle des vins étrangers a augmenté (+1,3%), dans les rouges surtout. Les vins étrangers viennent avant tout d’Italie, de France et d’Espagne.
Dans le vignoble suisse, qui s’étend sur 14’800 hectares, les cépages Pinot noir, Chasselas et Gamay sont les plus cultivés mais d’autres comme le Merlot, le Gamaret ou le Garanoir sont en phase ascendante. Les cépages rouges représentent 53% de la production vinicole indigène.
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