Marie-Caroline Hominal, visage riche de la danse suisse
Elle est l’un des fleurons de la danse contemporaine suisse: Marie-Caroline Hominal mène de front plusieurs projets cet été. Ses pièces sont à l’affiche à Lausanne et en tournée en Europe. Portrait.
On s’attendait à voir des ballerines, mais on se retrouve devant des baskets, quelque cinq paires alignées sur le parquet du studio de danse que Marie-Caroline Hominal occupe à Genève. On s’étonne: des chaussures de sport, mais pourquoi pas des ballerines? Elle sourit: «Qu’importe puisque je danse pieds nus souvent. Mais là, je me suis déchaussée pour garder un contact direct avec le sol, qui me procure une énergie terrienne», avoue la danseuse, performeuse et chorégraphe genevoise.
Pour ses nombreux projets, l’énergie lui est en effet nécessaire. Fin juin, elle présentait à Lausanne «Sugar dance». Aujourd’hui, elle s’apprête à créer «Eurêka, c’est presque le titre» ainsi que «Pièce en Forêt».
De cette «Forêt», programmée début juillet à Lausanne dans le cadre du Festival de la Cité, Marie-Caroline garde le secret, mais se montre plus diserte sur «Eurêka». «Une fierté», dit-elle. Pourquoi? «Parce que c’est une commande du Musée Tinguely de Bâle qui fête cette année ses 25 ans. A cette occasion, l’institution m’a donné, ainsi qu’à deux autres artistes, carte blanche pour monter un spectacle. Le mien réunit danse et sculpture. Il est présenté en tournée durant deux mois cet été, dans divers musées d’Europe: belge, hollandais, allemand, français». Pour accompagner les spectacles, une exposition est prévue sur une péniche qui fera halte dans ces quatre pays, lors d’une navigation fluviale démarrant à Paris et s’achevant à Bâle.
Univers de Fellini
Nous sommes loin ici du style musical et théâtral de «Sugar dance», qui convoque sur le plateau l’univers de Fellini, plus particulièrement son film-documentaire «Les Clowns». Fellini est l’un des cinéastes préférés de Marie-Caroline. «J’admire sa fantaisie, mais aussi son rapport au jeu. Dans ‘Sugar dance’, j’ai voulu montrer l’envers du décor, les moments de concentration, de trac, de solitude… que connaissent les comédiens avant d’entrer en scène», dit l’auteure du «Triomphe de la renommée», pièce créée en 2013. Elle y proposait alors un tête-à-tête de 15 minutes entre elle et le spectateur.
La formule n’est pas innocente, on pourrait même y voir une manière d’autocélébration. «Mais non! C’était plutôt une évocation ludique de la fameuse sentence d’Andy Warhol: ‘A l’avenir, chacun aura son quart d’heure de gloire’», lance Marie-Caroline.
Sa gloire, l’artiste l’a vécue quand l’Office fédéral de la culture (OFC) lui a attribué en 2019 le Prix suisse de danseuse exceptionnelle. Mais la danseuse se veut humble: «Gloire, non. Hommage, oui. Cette récompense sert sans doute de repère au public, mais pas forcément au lauréat. Chez moi, il n’y a jamais eu un avant et un après-Prix. Je suis toujours bousculée par des doutes et je me pose toujours beaucoup de questions».
«Je suis née en 1815»
La maturité est néanmoins là. Elle est le résultat d’un travail obstiné, l’âge n’y est pour rien. De toute manière, Mademoiselle MCH (comme elle s’appelle dans un raccourci) s’en fiche de son âge. On insiste: en quelle année avez-vous vu le jour? «En 1815». Rires. Elle ajoute: «Je voudrais être éternelle, avec l’option de mourir. Ce sont des mots que j’ai entendus une fois dans une émission. Je trouve leur philosophie très juste».
Née d’une mère danseuse, Marie-Caroline Hominal voulait, enfant, faire du hockey sur glace ou de la Formule 1. À la vue d’un cerceau, l’idée lui venait tout de suite de fabriquer un bolide. Mais ses ambitions sportives se calment à l’âge de huit ans. Des spectacles de l’Espagnol Antonio Gades et de la Britannique Anna Williams lui donnent le goût des planches.
Elle entre alors à la Tanz Akademie de Zurich, avant de rejoindre la Rambert school of Ballet and Contemporary Dance de Londres. Installée à Genève, elle est aujourd’hui l’un des fleurons de l’art chorégraphique suisse. Ses dernières créations, Fragment et Instantanés, marquent sa facilité à marier différents genres et à projeter la danse dans l’univers de la vidéo, de la peinture et de la sculpture. «Je ne m’inspire de personne», confie celle qui a travaillé avec Gilles Jobin. Le chorégraphe romand a dynamisé la scène suisse depuis son retour de Londres au début des années 2000.
Des chorégraphes intégrés
Interrogé à propos de Marie-Caroline Hominal, il confie: «Elle s’expose, reste connectée et se fait courageusement une place sur la scène internationale». Une belle reconnaissance venant de la part de Gilles Jobin, qui n’est pas particulièrement tendre. «La danse contemporaine suisse n’a pas de véritable identité, souligne-t-il. Cela ne veut pas dire qu’elle est de mauvaise qualité, loin de là, mais elle reste influencée un peu par l’art chorégraphique français, un peu par l’art allemand, qui tous deux reposent sur une culture plus affirmée que la nôtre».
Il n’empêche, la danse contemporaine suisse s’exporte bien, grâce notamment aux subventions. «La Suisse est un pays riche. En matière de soutien financier et de diffusion à l’étranger, nous sommes bien aidés, reconnaît Gilles Jobin. Mieux, la Suisse romande a intégré des chorégraphes de différentes nationalités, comme l’Espagnole La Ribot, le Brésilien Guilherme Botelho, ou la Belge Cindy Van Acker. Ce qui n’est pas toujours le cas outre-Sarine. Zurich, par exemple, qui à mon sens est une ville de ploucs, n’a pas su garder la Néo-Zélandaise Simone Aughterlony, une star de la danse contemporaine».
Marie-Caroline, Cindy, Guilherme et les autres demeurent un terreau fertile où la danse contemporaine suisse a tout loisir de s’épanouir.
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