Les navires suisses se défendent contre les pirates
Opérant sous pavillon helvétique et armé par un armateur genevois, le «Glarus» a été attaqué au large du Nigeria. Douze marins ont été enlevés. Une première pour la marine suisse qui applique pourtant de strictes mesures de sécurité.
Le «Glarus» sillonne les mers depuis 2001 et n’a jamais connu une telle mésaventure. Selon son armateur Massoel Shipping à Genève, le navire d’une capacité de 46’500 tonnes transportait du blé de Lagos à Port Harcourt, au sud du Nigeria.
Tôt dans la matinée, un groupe de pirates a réussi à monter sur le pont grâce à des échelles et a coupé les barbelés de protection. L’attaque s’est produite à 45 milles nautiques (83 km) au sud-ouest de l’île de Bonny.
Après avoir détruit la radio de bord, le gang est reparti en prenant 12 des 19 membres d’équipage en otages. Il s’agit de la deuxième attaque de cette envergure cette année, dans le delta du Niger.
Danger maximal dans le Golfe de Guinée
Alors que la situation s’est calmée dans le Golfe d’Aden, où les pirates somaliens sont découragés par une armada de bateaux de guerre internationaux, c’est le Golfe de GuinéeLien externe (5700 km de côtes) qui est devenu le coeur de la piraterie maritime. En 2017, dix prises d’otages totalisant 65 membres d’équipages y ont été recensées.
Les pirates opérant au large du Nigeria, du Togo ou du Bénin sont réputés très dangereux, n’hésitant pas à tuer. Solidement armés et violents, ils détournent parfois les navires pendant plusieurs jours, le temps de piller les soutes. Ils brutalisent les équipages, quand ils ne les relâchent pas après paiement d’une rançon.
Les 17 pays de la région ont beau tenter de renforcer leurs moyens d’intervention, avec l’aide des Etats-Unis et de la France, le Bureau maritime international a enregistré en 2016 une augmentation de 30% des prises d’otages.
L’absence de couverture médiatique dans cette région rend la transparence difficile: les armateurs minimisent leur importance pour éviter une hausse de coûts des assurances.
Vu les capacités portuaires limitées, des centaines de navires attendent pendant plusieurs jours en rade, facilitant vols et enlèvements. Les contrôles policiers et militaires des ports restent faibles. Pour les prises d’otages au large du Nigeria, on soupçonne d’anciens rebelles du MEND (Mouvement pour l’émancipation du delta du NigeLien externer) qui s’aventurent de plus en plus loin des côtes.
Une liste de mesures dissuasives
Dans le Golfe d’Aden, plus aucun bateau ne transite de la mer Rouge à l’océan Indien sans la présence à bord d’hommes armés. Ce sont généralement d’anciens militaires ou gendarmes qui monnaient leurs services et veillent à bord 24h/24h. On y trouve des anciens de la Royal Navy, des Roumains, des Ukrainiens, des Bulgares ou des Croates travaillant pour le compte de sociétés sises en Israël, à Malte ou à Chypre. Leurs services coûtent plus de mille dollars par jour, mais sans eux, les assureurs refusent de couvrir les cargaisons. Les pirates sont informés de leur valeur grâce aux sites maritimes auxquels ils ont accès par internet.
Au passage du Golfe d’Aden, comme tous les autres navires marchands, les cargos à pavillon suisse s’entraînent contre un assaut de pirates. A l’appel d’une sirène, tout l’équipage se réunit dans la «citadelle», un endroit de la cale difficile à atteindre. Des portes blindées sont rajoutées et des réserves de nourriture et d’eau doivent permettre de tenir enfermés pendant 72 heures. Tout le bastingage est entouré de fil de fer barbelé. Les passerelles sont passées à la graisse pour compliquer la progression des assaillants, des tonneaux remplis d’eau pour servir de boucliers et des lances incendie braquées vers la mer. Des mannequins en bois sont installés sur le pont pour faire illusion.
Quant aux matelots, le syndicat Nautilus à Bâle a signé un accord avec l’Association suisse des armateurs prévoyant une prime de risques et une assurance en cas de décès ou de blessure. Le marin a le droit de refuser d’entrer dans ces zones à risques. Il peut demander d’être rapatrié au frais de la compagnie avec deux mois de salaire payés. En pratique, très peu de marins y recourent.
Dans les années 2008-2009, il avait été question de protéger les cargos de la marine helvétique par l’armée suisse. Après l’attaque en février 2009 du «Nyon», un cargo de Suisse-Atlantique transportant du minerai de fer d’Ukraine en Chine, Berne avait émis l’idée de faire monter à bord des soldats d’élite, mais les armateurs y étaient opposés.
Demande de rançon à venir
«Habituellement, les pirates ne donnent aucune nouvelle pendant les premières 48 heures, donc nous attendons d’avoir des nouvelles», a précisé la compagnie au lendemain de l’attaque. Ni la nationalité ni l’identité des otages n’ont été dévoilées «pour leur sécurité et le respect des familles». La compagnie, qui gère 8 cargos au nom de villes suisses comme «Martigny», «Arosa», «Lugano» ou «Luzern», engage surtout des matelots philippins commandés par des officiers russe, ukrainiens et croates. Aucun Suisse n’est concerné, la marine helvétique en comptant à peine une demi-douzaine.
Quant à Massoel, créée à Genève par un ancien mousse tessinois, Giorgio Sulser, sa situation ne permet pas de payer de lourdes rançons. En 2016, l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique s’était octroyé un droit de gage sur l’un de ses cargos.
L’armateur spécialisé dans le transport de marchandises en vrac (pas de pétrole contrairement à son nom) s’était trouvé affecté par la très forte baisse des taux de fret. Un armateur suisse a même fait faillite (Enzian et SCT), obligeant la Confédération à rembourser 215 millions de francs pour couvrir le cautionnement de ses 13 navires. Dans ces conditions, la prise d’otages risque de durer un certain temps.
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