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Mission impossible pour «super Mario»

Giovanni Barone-Adesi connaît bien le nouveau patron de la BCE, qu’il décrit comme un serviteur de l’État, plus que comme un banquier. usi.ch

Mario Draghi, le nouveau et troisième président de la Banque centrale européenne a ouvert ce jeudi 3 novembre sa première séance. Un changement de personnalité, mais pas de style, estime Giovanni Barone-Adesi, ancien condisciple de Mario Draghi et professeur à l’Université de Lugano.

Fréquemment surnommé «super Mario», le nouveau directeur de la Banque centrale européenne (BCE) a fait sa véritable entrée sur la scène internationale cette semaine. Pour son baptême du feu, Mario Draghi a annoncé une décision surprise: la baisse des taux de 0,25 point à 1,25%. La mesure a immédiatement amorcé une remontée en flèche des marchés.

Pour en savoir plus sur Mario Draghi et sur sa réelle marge de manœuvre, swissinfo.ch s’est entretenu avec l’économiste tessinois Barone-Adesi, qui connaît bien le nouveau directeur de la BCE.

swissinfo.ch: Quels effets l’arrivée de Mario Draghi à la tête de la BCE pourraient-ils avoir pour la Suisse ?

Giovanni Barone-Adesi: Je pense que Mario Draghi va poursuivre la politique de son prédécesseur Jean-Claude Trichet.

Partant, la BCE maintiendra sa politique et comme Philipp Hildebrand, le directeur de la Banque nationale suisse (BNS), a lié le franc à l’euro, nous n’avons pas de changements à attendre. Du moins pas tant que cet arrimage monétaire sera maintenu.

Rappelons que la politique monétaire européenne est similaire à celle que conduit la BNS. La grande différence réside surtout dans les crises fiscales qui frappent divers pays de la zone euro.

swissinfo.ch: La Péninsule détient le triste record de la dette souveraine la plus élevée du continent (1’900 milliards d’euros). Franchement, un Italien à la tête de la BCE, est-ce une bonne nouvelle ?

G. B.-A.: C’est plutôt «no news». Comme je l’ai dit, Mario Draghi devrait poursuivre en substance la ligne adopté par la BCE jusqu’ici, et dont il est d’ailleurs un fervent défenseur.

De toute façon, quand bien même il souhaiterait introduire des changements, il ne peut guère le décider tout seul. Dans le fond, son rôle est davantage celui d’un médiateur avec le monde politique. Fonction dans laquelle il excelle par ailleurs.

swissinfo.ch: Justement, quel est le profil du «banquier» Mario Draghi ?

G. B.-A.: Davantage qu’un banquier, il est ce qu’il est convenu d’appeler un «public servant». Mario Draghi a fait toute sa carrière au service de l’Etat italien. Hormis une brève parenthèse professionnelle auprès de la banque d’affaires américaine Goldman Sachs – pour libérer la place qu’il occupait à la tête du Trésor italien, et alors que Silvio Berlusconi revenait au gouvernement – il a toujours été un haut fonctionnaire.

Contrairement à la grande majorité des élus italiens, qui collent littéralement à leur fauteuil et provoquent des difficultés et des blocages comme on peut d’ailleurs en observer actuellement, Mario Draghi s’était volontairement écarté.

Un geste très correct, qui avait d’ailleurs été fort apprécié, à commencer par Silvio Berlusconi lui-même. Après quoi, il a été appelé à gouverner la Banque d’Italie.

Je me souviens qu’il avait rapidement quitté le monde académique pour se consacrer à l’administration publique, comme l’avait d’ailleurs aussi fait son propre père, lui-même fonctionnaire à la Banque d’Italie.

swissinfo.ch: Peu d’expérience bancaire, serviteur dévoué de l’Etat. Est-il vraiment l’homme de la situation ?

G. B.-A.: La BCE est une institution dotée d’un mandat extrêmement rigide. Je pense que ce n’est pas un mandat approprié pour les besoins actuels de l’Europe. Mais ce n’est certainement pas cette institution qui peut modifier elle-même son cahier des charges. Il faudrait une entente politique pour changer les choses.  

Je suis convaincu que Mario Draghi serait sensible à une plus grande ouverture pour cette institution, à une approche plus réaliste de la situation. Mais pour l’heure, les mots d’ordre sont: rigueur monétaire et austérité. Et Mario Draghi suivra certainement cette ligne, tant que les dirigeants européens ne décideront pas d’un changement de cap. Vous savez, son job tient en quelque sorte de la mission impossible…

swissinfo.ch: Mission impossible, dites-vous ?

G. B.-A.: Je pense qu’il est pratiquement impossible de sauver la construction européenne en l’état, tout au moins en ce qui concerne la monnaie unique. Il faudrait trouver des moyens peu coûteux de redresser la barre avant que la situation ne devienne trop chaotique.

swissinfo.ch: Quelles seraient les changements nécessaires ?

G. B.-A.: Soit l’Europe met un terme à son union monétaire et retourne aux anciennes devises, soit elle se dote de structures fédérales qui permettent le transfert de richesses aux maillons faibles de l’Union – comme c’est le cas au sein de n’importe quel Etat fédéral ou unitaire – plutôt que de distribuer des prêts, dont le coût des intérêts les empêchent d’aller de l’avant. Une politique qui creuse encore davantage le clivage de la compétitivité, au détriment des pays fortement endettés.

La meilleure solution serait probablement de redessiner la zone euro et de ne conserver une union monétaire qu’entre les économies les plus performantes.

swissinfo.ch: Le tableau que vous dressez est plutôt désespérant…

G. B.-A.: Je le crains, oui. On voit bien que malgré tous les efforts qui sont fournis au plan politique, les marchés démentent les solutions qui avaient été adoptées et présentées comme étant définitives. Et ce n’est pas la première fois que ce scénario se produit.

Il faut affronter la réalité avant que ne surgissent trop de tensions en Europe. Il faudrait trouver le moyen de dissoudre l’union monétaire, pour ensuite réintroduire deux ou trois monnaies, qui réuniraient des pays avec des développements économiques similaires.

Mais personne ne veut l’envisager parce que tous ont investit un grand capital politique et que personne ne veut perdre la face. Nous devons nous attendre à souffrir encore plusieurs années.

swissinfo.ch: Plusieurs années ?

G. B.-A.: Oui, je crains que cette issue soit inévitable. Et il se pourrait que les choses bougent un peu plus rapidement si la Grèce devait décider de lâcher l’euro et de ne pas s’acquitter de ses dettes. Mais avec le référendum lancé dans ce pays, on constate que la majorité des Grecs semblent déterminés à se rendre aux urnes contre la volonté européenne.

Giovanni Barone-Adesi posséde la double nationalité italienne et canadienne. Marié et père de famille, il vit au Tessin depuis la seconde moitié des années 90.

En 1976, Giovanni Barone-Adesi termine ses études et se prépare à partir pour les Etats-Unis afin d’y faire un doctorat, alors que Mario Draghi revient lui-même d’Amérique.

Les deux jeunes chercheurs sont engagés comme enseignants par un certain Romano Prodi, à l’époque professeur d’économie à l’université de Bologne.

Ils partagent un bureau pendant une année. Plus tard, ils travaillent à nouveau ensemble à l’ENI, l’Office national italien pour le pétrole. Un emploi qui les conduit à faire plusieurs voyages ensemble.

Tandis que Giovanni Barone-Adesi quitte l’Europe et poursuit ses travaux de recherches en Amérique, Mario Draghi entre au service de l’administration italienne qu’il ne quittera plus, sauf pour un passage à la banque Goldman Sachs (2002-2005).

Aujourd’hui, Giovanni Barone-Adesi dirige l’Institut de finance de la faculté d’économie de l’université de la Suisse italienne à Lugano. Il y enseigne la théorie de la finance depuis 1998.

Né le 3 septembre 1947 à Rome. Ancien haut-fonctionnaire italien et ex-gouverneur de la Banque d’Italie, il devient président de la Banque centrale européenne le 1er novembre 2011 et succède au Français Jean-Claude Trichet.

Licencié en économie et commerce à l’université de Rome «La Sapienza» en 1970, il obtient un Ph.D. en économie (doctorat) au Massachusetts Institute of Technology en 1976.

Il a été de 1991 à 2001 directeur général du ministère du Trésor public, chargé des privatisations.

De 1993 à 2001, il a présidé le Comité pour les privatisations. À ce titre, il a été membre du conseil d’administration de plusieurs banques et sociétés en phase de privatisation (Eni, IRI, Banca Nazionale del Lavoro-BNL et IMI).

De 2002 à 2005, il a été vice-président pour l’Europe de Goldman Sachs, la quatrième banque d’affaires mondiale.

Le 24 juin 2011, les chefs d’État et de gouvernement européens ont formellement nommé, lors d’un Conseil européen, Mario Draghi à la présidence de la Banque centrale européenne (BCE).

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