Muselière plus serrée pour les orateurs étrangers indésirables
Les instruments actuels pour sauvegarder l’ordre public face à la propagande d’orateurs étrangers ne sont pas suffisants. C’est ce qu’estime la majorité de la Chambre du peuple, qui propose la réintroduction d’une procédure d’autorisation.
Le droit des étrangers ne résidant pas sur le territoire helvétique à s’exprimer sur des questions politiques en Suisse est depuis longtemps sujet de préoccupation et de controverse. Pour certains, c’est la liberté d’expression, garantie par la Constitution fédérale, qui doit primer, sauf cas exceptionnels. Pour d’autres, ces discours doivent être soumis à une réglementation stricte, car ils peuvent menacer la sécurité interne et l’ordre public.
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Le débat s’est vu ravivé ces dernières années, notamment par des manifestations et des rassemblements tenus dans plusieurs pays européens pour soutenir le président turc Recep Tayyip Erdogan, après le coup d’Etat manqué de 2016 et en vue du référendum constitutionnel de 2017. Certains de ces meetings de propagande ont même vu la participation de représentants du gouvernement d’Ankara. En Suisse, les critiques ont fusé après les visites du député turc Hursit Yildirim, vice-président de l’AKP, le parti d’Erdogan, et de son ministre des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu.
En 2016 déjà, sur la base de cas similaires en Allemagne, le député démocrate-chrétien (PDC) suisse Daniel Fässler avait déposé une motionLien externe, demandant au gouvernement de réintroduire une obligation d’autorisation pour les orateurs étrangers qui interviennent dans des manifestations politiques en Suisse. Malgré le préavis négatif du Conseil fédéral, la Chambre du peuple a décidé mercredi soir d’approuver le texte, par 90 oui, 85 non et 3 abstentions. Une faible majorité formée presque entièrement d’élus du PDC et de l’UDC (droite conservatrice).
Légère atteinte à un droit fondamental
«Aujourd’hui, pour interdire à un orateur étranger de parler, les autorités fédérales doivent prouver que la sécurité interne ou externe de la Suisse est directement et concrètement menacée», a expliqué le député PDC. «Mais quand un orateur étranger prononce un discours politique provocateur dans un cercle fermé, il met rarement en danger la sécurité nationale au sens de la loi sur les étrangers ou des services secrets. Par contre, le risque existe que des conflits politiques soient importés de l’étranger en Suisse, en premier lieu auprès de la diaspora intéressée».
Donc, les instruments politiques à disposition du gouvernement ne suffisent pas pour imposer une interdiction d’entrée ou de parole à un orateur étranger, a affirmé Daniel Fässler, citant l’exemple de la visite du chef de la diplomatie turque Mevlüt Çavuşoğlu en 2017. Pour interdire son discours à Zurich, les autorités du canton avaient dû invoquer la protection anti incendie insuffisante de la salle.
«Je ne demande pas une interdiction, mais une obligation d’autorisation», a souligné le député appenzellois. A son avis, une telle obligation représenterait une «légère atteinte» à la liberté d’expression, qui est un droit fondamental, mais «une telle atteinte est admissible s’il existe un intérêt public, si l’atteinte est proportionnée et repose sur une base légale».
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Un instrument devenu obsolète
Dans sa motion, Daniel Fässler demande donc au gouvernement une obligation d’autorisation, sur le modèle du décret abrogé en 1998. Celui-ci avait été introduit 50 ans plus tôt, au début de la Guerre Froide, pour prévenir la «subversion politique». A une époque où les partis communistes étaient arrivés au pouvoir dans plusieurs Etats d’Europe centrale et orientale, l’objectif de cet instrument était notamment d’éviter les risques de contagion idéologique.
En pratique, un étranger sans permis de séjour ne pouvait pas prononcer un discours politique sans en avoir dûment demandé l’autorisation. Les cantons pouvaient refuser de l’accorder s’ils estimaient que l’orateur pourrait mettre en danger la sécurité intérieure ou extérieure du pays. Et les orateurs étrangers autorisés à s’exprimer devaient éviter toute ingérence dans les affaires internes de la Suisse.
C’est sur recommandation de la Chambre des cantons que ce décret a été abrogé il y a 20 ans. Il n’avait été que rarement utilisé et il était alors considéré comme obsolète. En outre, imposer une obligation d’autorisation à tous les orateurs étrangers semblait de plus en plus en contradiction avec la liberté d’expression.
Garder le sens des proportions
Les ressources actuelles sont suffisantes pour empêcher les interventions de politiciens étrangers dans des manifestations en Suisse, a affirmé de son côté la ministre de justice et police Simonetta Sommaruga. Au niveau local, les autorités disposent de bases légales pour interdire de telles manifestations ou de tels discours, qui mettraient l’ordre public en danger. Des instruments existent également au niveau national: ces dernières années, la police fédérale a interdit à plusieurs reprises l’entrée en Suisse de prêcheurs de haine jihadistes ou de membres de groupes musicaux d’extrême droite. Et le gouvernement lui-même peut imposer une interdiction.
Avec l’accès universel aux médias électroniques, une obligation d’autorisation n’a aujourd’hui plus beaucoup de sens, a souligné Simonetta Sommaruga. Selon la conseillère fédérale, c’est également une question de «proportionnalité». Une telle obligation aurait par exemple contraint le PDC à demander une autorisation pour inviter des orateurs de partis européens affiliés, comme l’ancien ministre allemand de la CDU Heiner Geissler ou l’actuel chancelier autrichien Sebastian Kurz, qui sont venus il y a quelques années parler du rôle de la Suisse en Europe.
Des arguments qui n’ont pas suffi à convaincre la majorité des députés. La motion passe maintenant à la Chambre des cantons.
(Traduction de l’italien: Marc-André Miserez)
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