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Le folklore suisse fait sa mue en s’inspirant des musiques du monde

Née à San Francisco, Erika Stucky incarne la rencontre entre le jazz et la musique folklorique suisse. Mirco Taliercio

Remettre les airs de la musique populaire suisse au goût du jour est redevenu tendance. Même s’il peine à s’exporter, le «nouveau folklore suisse» ou «Neue Schweizer Volksmusik» ne vit pas en vase clos. Il puise largement ses inspirations dans les musiques d’ailleurs.

L’appellation «Neue Schweizer Volksmusik», que l’on peut traduire en français par «nouveau folklore suisse», est un courant auquel se rattachent déjà depuis plusieurs années l’accordéoniste américano-suisse Erika Stucky, la violoniste bernoise Christine Lauterburg ou le duo Stimmhorn (cor des Alpes, machine à lait et improvisations vocales). Ce ravalement de façade de la musique populaire indigène remonte en réalité au début des années 2000.

La Communauté d’intérêt pour la culture populaire (CICP), principal lobby du genre en Suisse, compte actuellement 420’000 membres actifs. Des membres de chorales et de groupes folkloriques pour la plupart. Jusqu’à récemment présidé par feu l’ex-conseiller national lucernois Albert Vitali (PLR), yodleur lui-même, ce lobby jouit de l’écoute de l’intergroupe parlementaire Culture et musiques populaires au parlement fédéral. Preuve que le dossier «cultures populaires» est aujourd’hui traité jusqu’au plus haut niveau de l’État suisse.

Mais cette renaissance du folklore indigène ne veut pas dire qu’un tapis rouge lui soit tendu. La CICP s’interroge sur le manque de moyens actuel en faveur du patrimoine culturel immatériel du pays. A fortiori en cette période de pandémie où le secteur de la culture souffre. Dans sa prise de position sur le «Message culture 2021-2024», texte mis en consultation par le Conseil fédéral pour définir les orientations de sa politique culturelle pour les quatre ans à venir, la CICP s’en inquiète. «Les organisations de culture populaire reçoivent un soutien de l’ordre de 0,72 million de francs par an, alors que celui perçu par les organisations d’acteurs culturels professionnels, qui regroupent tout au plus 50’000 acteurs culturels, s’élève à près de 2,7 millions», déplore-t-elle.  

Musique désinhibée

Pour décloisonner cette musique qui stagnait, de jeunes musiciens-nes ont alors pris le taureau par les cornes. Ainsi la Schwytzoise Nadja Räss a donné une nouvelle impulsion à cette expression vocale typique des Alpes qu’est le yodel. Depuis, une nouvelle génération d’explorateurs-trices des musiques du terroir a vu le jour. Avec moins d’œillères, ces transmetteurs-trices revisitent un folklore aujourd’hui teinté de sonorités importées. Comme si la musique populaire suisse s’était un peu désinhibée au contact des musiques du monde.

Parmi les nouveaux ténors du folklore (Volksmusik) suisse, plusieurs ont appris les rudiments du «Hackbrett» – instrument à cordes dont des traces ont été signalées au 15e siècle déjà – ou du «Schwyzerörgeli» (bandonéon) à la Haute École de musique de Lucerne, la seule aujourd’hui à prodiguer en Suisse des cours de « Volksmusik».

>> Le duo Markus Flückiger (Schwyzerörgeli) et Nadja Räss (yodel) dans ses oeuvres:

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«Les débuts de cet enseignement datent d’il y a onze ans déjà, avec les premiers cours de Schwyzerörgeli», nous éclaire Nadja Räss, laquelle enseigne aussi dans cet établissement. «Onze étudiants-tes sont inscrits-tes pour cette rentrée 2020 avec des profils différents, en quête d’un Bachelor ou d’un Master», ajoute-t-elle.

Des conférences et workshops sont organisés régulièrement dans le cadre de cette école sous l’égide de grands noms du folklore suisse actuel: Christoph Pfändler (hackbrett), Andreas Gabriel (violon) ou Adrian Würsch (Schwyzerörgeli). Apprendre à jouer ces instruments et apprivoiser le yodel à raison de 8 à 16 leçons d’une heure par semestre est ouvert à tous-tes, avec un diplôme en «Volksmusik» à la clé.

Folklore contemporain  

À Zurich aussi, «le nouveau folklore suisse» ou «Neue Schweizer Volksmusik» a trouvé son défenseur en la personne de Florian Walser. Le directeur artistique du festival Stubete am See surfe sur cette vague depuis bientôt 15 ans à la Tonhalle. Selon lui, il serait plus juste d’utiliser l’expression moins corsetée de «musique folklorique contemporaine», formule adaptée à l’esprit du temps (Zeitgeist) plutôt qu’un «nouveau folklore suisse» ethnocentrique.  

La Bernoise Christine Lauterburg mélange allégrement folklore, pop, techno ou encore musique du monde dans ses compositions. Silvan Bucher

Depuis 2008, à un rythme bisannuel, son festival offre ainsi une tribune à des expérimentations à mi-chemin entre passé et présent. «La musique folklorique est très souvent exposée aux modes et à l’actualité. Elle absorbe et digère donc assez facilement les nouveaux styles», confie-t-il.

Mais cette musique «made in Switzerland» doit-elle se fondre obligatoirement dans les musiques du monde pour perdurer? Les musiciens du folklore suisse ne devraient-ils pas se produire plus souvent aussi à l’étranger comme d’autres folklores, des Balkans notamment, pour se faire entendre? «Je ne pense pas que la musique typique d’ici doive à tout prix faire ses preuves ailleurs», tempère Florian Walser. Quand bien même le duo Stimmhorn a réussi à se faire un nom bien au-delà des frontières. Mais pour la plupart, les chances de percer hors de Suisse seraient relativement minces.  

Public de quinquagénaires

Les résonances des musiques du monde ont en revanche bel et bien influencé aujourd’hui les répertoires des chantres du «nouveau folklore suisse». Et vice et versa. Et depuis très longtemps si l’on considère l’omniprésence il y a un siècle du yodel dans l’œuvre du fameux chanteur de country music Jimmie Rodgers (USA).

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Florian Walser cite à dessein un contre-exemple: celui du Bernois Tinu Heiniger, adepte du blues chanté en dialecte. «Tinu Heiniger démontre que cette musique du sud des États-Unis peut très bien devenir à la fin de la musique folklorique de l’Emmental». Avec des paroles rappelant « notre nature et nos préoccupations d’ici»… en bärndütsch (dialecte bernois).  

Reste que ce «nouveau folklore» peine à attirer les adolescents aux concerts. La moyenne d’âge des spectateurs de la dernière édition du Stubete am See, à la fin du mois d’août à Zurich, avoisinait les 50 ans et plus. «Les jeunes sont davantage représentés par des musiciens-nes sur scène… que dans le public», confesse Florian Walser. Il ose la comparaison avec la musique classique. Tout aussi choyés par un public plus âgé que la moyenne, les orchestres classiques se sont tout de même ouverts au fil du temps à des prodiges plus jeunes qu’avant.

Pour alimenter le terreau du «nouveau folklore suisse», le Stubete am See de Zurich passe régulièrement commande de projets. C’est ainsi que la Suisse romande a été représentée à la fin du mois d’août dernier à Zurich par le projet «Djâse» («parle» en patois jurassien) du compositeur du cru Jacques Bouduban. Son idée: marier ce patois découlant de la langue d’oïl – parlée au Moyen-Age jusqu’en Wallonie – avec des rythmes jazz, funk ou balkaniques.  

«Un hommage irrévérencieux au patrimoine immatériel jurassien», se permet de préciser Jacques Bouduban. Agés-es entre 19 et 75 ans, une quinzaine de choristes amateurs-trices ont ainsi donné la réplique, en patois jurassien, à quatre musiciens réputés de la scène suisse (Lucien Dubuis à la clarinette-contrebasse, Adi Blum à l’accordéon, Kristina Fuchs au hang bernois et Jacques Bouduban au violoncelle). Sans compter l’apport sur scène d’un cor des Alpes.

Issu de la langue d’oïl

Le compositeur jurassien est allé consulter de vieux ouvrages pour y repérer les traces de chants en langue d’oïl. Et pour parfaire son patois, il est allé consulter Denis Frund, le plus âgé de la chorale avec ses 75 ans et présentateur de «chroniques patoises» jadis sur les ondes de la radio locale Fréquence Jura. «J’ai essayé de faire sonner cette langue comme une musique. Nous touchons ici à quelque chose d’archaïque et de fondateur», explique Jacques Bouduban.

Pour autant, il note qu’il est difficile de recruter des jeunes pour chanter en patois. La reprise du flambeau est lente. «Les adhérents-tes à nos chorales accusent aujourd’hui une moyenne d’âge entre 55 et 75 ans», confie Maurice Jobin, président de la Fédération du patois jurassien. Environ 2000 Jurassiennes et Jurassiens parlent encore aujourd’hui ce patois. Donnée pour morte dans les années 1970, cette langue doit en grande partie sa résurrection à la lutte d’indépendance des autonomistes jurassiens qui brandissaient souvent leur idiome comme une affirmation de leur identité, partant de leur soif d’indépendance vis-à-vis du canton de Berne.

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