Non clair et net à un impôt national sur les successions
Près de trois Suisses sur quatre ont rejeté dimanche une initiative visant à créer un impôt sur les héritages pour financer l’assurance vieillesse et survivants (AVS). Combattu par la droite et les milieux économiques, le texte n’a pas davantage convaincu que les dernières initiatives de la gauche.
Après l’initiative «1:12 pour des salaires équitables», l’initiative «pour un salaire minimum» et celle «contre les privilèges fiscaux des millionnaires», toutes rejetées nettement ces deux dernières années, la gauche a subi un nouvel échec dans les urnes ce dimanche. Le peuple a en effet dit clairement «non» à une initiative visant à créer un nouvel impôt national de 20% sur les héritages de plus de deux millions de francs.
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Résultats des votations du 14.06.2015
Le projet, intitulé «Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS»,Lien externe a été balayé par 71% des votants et tous les cantons sans exception. Les plus farouches opposants se trouvent en Valais (84,4% de rejet), suivi de Schwyz (82,8%), seul canton à ne pas imposer du tout les successions, et Obwald (82,2%). A l’inverse, les citoyens de Bâle-Ville (58,7% d’opposants) sont ceux qui se sont montrés les moins hostiles à l’égard de l’initiative de la gauche.
La droite jubile
Cette victoire sans appel a de quoi faire jubiler la droite et les milieux économiques. «C’est un signal fort pour la place économique suisse», a ainsi réagi Monika Rühl, directrice d’economiesuisse, l’une des principales associations patronales du pays. Pour le député zurichois Ruedi Noser (Parti libéral-radical / centre-droit), la population ne s’est pas laissé tenter par des expérimentations qui auraient pu nuire au modèle de réussite suisse.
Relevant qu’il s’agit du troisième échec de la gauche et des syndicats sur un thème lié à la répartition des richesses, l’association des propriétaires estime pour sa part qu’«il est difficile de ne pas parler d’obstination.» L’Union suisse des arts et métiers (USAM) se moque également des échecs à répétition de la gauche. «Le ‘non’ à l’impôt successoral est un rejet du programme avorté du Parti socialiste», affirme l’association faîtière des petites et moyennes entreprises dans un communiqué.
La ministre des finances Eveline Widmer-Schlumpf s’est également réjouie du rejet de l’initiative. La discussion sur la fiscalité successorale n’est pas close, mais elle se fera dans les cantons, indique-t-elle. Et de rappeler que le peuple a déjà rejeté huit initiatives fédérales concernant la fiscalité. «Cela montre que le système fiscal est bien accepté par la population», relève-t-elle.
«Comme aux temps féodaux»
«Que peut-on faire contre une campagne à 10 millions de francs?», répond la députée socialiste zurichoise Jacqueline Badran, qui s’en prend à la supériorité financière de ses adversaires. «Nous avions 100 fois moins de moyens à disposition», souligne-t-elle. La campagne menée par les opposants «visait à faire peur à la population», juge pour sa part Daniel Lampart, économiste en chef de l’Union syndicale suisse (USS). De plus, la complexité du message et l’uniformisation au niveau national ont plombé l’initiative.
Nombreuses exceptions cantonales
A l’exception de Schwyz, et contrairement à la Confédération, tous les cantons connaissent un impôt sur les successions. Il ne frappe toutefois jamais le conjoint, ni le partenaire enregistré survivant. Et seuls Vaud, Neuchâtel et Appenzell Rhodes-Intérieures taxent les descendants directs.
Des déductions sont toutefois prévues dans ces trois cantons. Elle est de 50’000 francs à Neuchâtel. Le canton de Vaud connaît une franchise pour les premiers 250’000 francs puis une déduction dégressive qui s’éteint à 500’000 francs.
En Appenzell Rhodes-Intérieures, la déduction est de 100’000 francs voire de 200’000 francs si le bénéficiaire a moins de 35 ans. A noter que si le canton de Lucerne ne prélève aucun droit de succession, les communes peuvent prélever un impôt sur les parts héréditaires destinées aux descendants et qui excèdent 100’000 francs.
Jacqueline Badran estime toutefois que l’impôt sur les successions finira par aboutir, mais peut-être dans 20 ans. L’introduction du droit de vote des femmes ou de l’Assurance vieillesse et survivants (AVS) ont aussi nécessité beaucoup de temps. «Nous ne pouvons tout de même pas avoir une répartition des richesses comme aux temps féodaux!», dénonce-t-elle.
Interrogée sur ce nouvel échec dans les urnes pour un objet concernant la répartition des richesses, Jacqueline Badran fait l’analyse suivante: «La population pense que les personnes très riches sont utiles à la société».
Principes libéraux
Durant la campagne, largement éclipsée par le débat enflammé autour de la révision de la loi sur la radio et télévision (LRTV), la gauche a non seulement mis en avant le caractère équitable de cet impôt mais également le fait qu’il correspond à des principes libéraux. Les partisans de l’initiative ont ainsi souligné qu’il est plus juste de taxer un héritage plutôt que le travail et le fruit de son propre mérite. Selon les promoteurs de l’initiative, les recettes de l’impôt, estimées à 3 milliards de francs par an, auraient par ailleurs permis de faire face ces prochaines décennies aux problèmes financiers de l’AVS (le système suisse de prévoyance vieillesse), mise à mal par le vieillissement de la population.
L’initiative était combattue par le gouvernementLien externe, qui entend assurer le financement futur de l’AVS dans le cadre d’une vaste réforme du système de retraite, à travers notamment une augmentation allant jusqu’à deux points de pourcentage de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Selon le Conseil fédéral, le projet de la gauche aurait augmenté le fardeau fiscal pour de nombreux héritiers, puisque seuls trois cantons imposent actuellement les descendants directs. Il aurait également poussé les riches contribuables à quitter la Suisse.
Quelques patrons favorables à l’initiative
La souveraineté des cantons en matière fiscale a également été défendue par la majorité bourgeoise du ParlementLien externe, qui s’est prononcée contre l’initiative. Les représentants du centre et de la droite ont critiqué la rétroactivité de l’impôt sur les donations, considérée comme contraire au droit existant. A leurs yeux, la proposition de la gauche était par ailleurs injuste: une seule personne qui hériterait jusqu’à 1,99 million de francs ne payerait aucun impôt, alors que quatre descendants qui toucheraient chacun 525’000 francs provenant d’un héritage de 2,1 millions de francs passeraient à la caisse.
Enfin, selon les opposants, le nouvel impôt aurait également menacé les entreprises familiales, puisque les héritiers, pour s’acquitter de la taxe, auraient été contraints de vendre ou de bloquer les investissements sur plusieurs années.
Reste que plusieurs patrons de petites et moyennes entreprises (PME) se sont engagés activement en faveur de l’initiative. Même le milliardaire Hansjörg Wyss, établi aux Etats-Unis, s’est déclaré favorable à un «impôt raisonnable sur les successions à hauteur de 15 à 20%». Trois autres millionnaires, sur environ 240’000 que compte la Suisse, sont également sortis du bois et ont investi une partie de leur fortune pour soutenir le texte de la gauche: il s’agit de Martin, Daniel et Marcel Meili, frères et petits-fils du «self-made-man» Ernst Meili.
Tout comme les initiants, ils ont dénoncé la concentration croissante des richesses en Suisse, qui prétériterait le fonctionnement de l’économie et la cohésion sociale. Selon les données de l’Administration fédérale des contributions, le 1% des contribuables les plus riches possède à l’heure actuelle 40% du patrimoine national, alors que ce taux n’atteignait que 30% en 1990. Pas de quoi toutefois convaincre une majorité de la population de glisser un «oui» dans les urnes.
(avec les agences)
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