Des perspectives suisses en 10 langues

«Nous voulons attirer les étudiantes et les étudiants les plus talentueux et non les plus fortunés»

Julierheme.com

C’est notamment grâce au groupe EHL (acronyme pour École Hôtelière de Lausanne) que la Suisse est connue dans le monde entier pour la gestion hôtelière. Rencontre avec Carole Ackermann, la femme qui préside aux destinées de ce groupe.

Les femmes restent encore largement sous-représentées dans les hautes sphères de l’économie. Les 20 sociétés cotées sur l’indice phare de la Bourse suisse, le SMI, ne comptent par exemple que 19% de cadres dans leurs directions, dont aucune avec la fonction de CEO. La Suisse fait figure de mauvais élève en comparaison internationale dans ce domaine. SWI swissinfo.ch a décidé de donner la parole à des dirigeantes d’entreprises helvétiques dont les activités se déploient dans le monde entier. Des représentantes de l’économie suisse qui abordent les défis les plus urgents touchant actuellement leurs activités, entre crise du coronavirus et place de la Suisse dans l’économie globalisée.

swissinfo.ch: Quelles ont été les grandes évolutions du groupe EHL ces dix dernières années? Et quelles sont les futures grandes réformes?

Carole Ackermann: Ces dix dernières années, l’EHL a connu un développement incroyable, notamment dans les domaines de la digitalisation et de l’internationalisation. Un bel exemple est l’inauguration de notre nouveau campus singapourien.

Dans le futur, notre grand défi sera de remettre en question le statu quo. Pour ce faire, nous allons mettre l’accent sur quatre axes: le développement de notre offre de formation tout au long de la vie, l’intensification de nos coopérations avec les acteurs du secteur hospitalier ainsi que la poursuite de nos travaux dans la responsabilité sociétale des entreprises et dans notre transformation digitale. Cette dernière n’est à qu’à ses prémices.  

Il existe une multitude d’écoles de gestion hôtelière dans le monde. Qu’est-ce qui différentie le groupe EHL de ses concurrents?

Fondée en 1893, l’EHL a été la première école de ce type à voir le jour au niveau mondial. En outre, dans les classements internationaux, nous figurons toujours en très bonne place. Par exemple, depuis 2019, les prestigieux QS World University RankingsLien externe nous considèrent comme la meilleure université au monde en matière de gestion des métiers de l’accueil. En Suisse, nous sommes parmi les cinq meilleures universités dans la gestion des affaires.

«Au cours de ces cinq dernières années, nous avons accepté seulement 30% des dossiers de candidatures»

En outre, un quart de nos anciennes étudiantes et étudiants occupent des positions de direction générale ou sont propriétaires de leur entreprise. Et la moitié d’entre eux sont actifs hors du secteur hôtelier, ce qui démontre l’aspect généraliste de nos formations et les multiples facettes de notre conception de l’hospitalité.

Environ la moitié de vos professeurs ne sont pas titulaires d’un doctorat. Cela contraste avec les universités classiques de renom qui n’engagent que des purs académiciens.

A l’EHL, le corps enseignant est composé d’académiciens et de professeurs chercheurs ainsi que de professionnels issus de l’industrie. Notre formation duale, typiquement suisse et très orientée sur la pratique, est un de nos atouts de taille. Notre restaurant gastronomique, Le Berceau des Sens, en est une belle illustration: cet établissement culinaire situé sur notre campus de Lausanne a non seulement été décoré d’une étoile Michelin mais il est surtout un restaurant école destiné à la formation de notre corps étudiant.

Beaucoup d’écoles de management considèrent leur faible taux d’admission comme une marque de succès. Quel est ce taux à l’EHL?

En moyenne, au cours des cinq dernières années, nous n’avons accepté qu’environ 30% des dossiers de candidatures car nous recevons un nombre croissant de postulations de qualité en provenance des quatre coins de la planète. Néanmoins, nous accueillons chaque année plus d’étudiants et d’étudiantes tout en veillant à maintenir la diversité de notre corps étudiant car nous ne souhaitons pas avoir de nationalité prédominante.

Carole Ackermann, titulaire d’un Master in Business Administration et d’un doctorat en marketing, est au bénéfice de plus de vingt ans d’expérience au sein de conseils d’administration de PME et d’entreprises multinationales. En outre, elle a cofondé et dirige Diamondscull, une société d’investissement spécialisée dans les jeunes entreprises technologiques. Cette sportive enthousiaste présidente le conseil d’administration du groupe EHL depuis juin 2020. Julierheme.com

Pour un étranger, les frais totaux pour un bachelor de quatre ans à l’EHL s’élèvent à CHF 160’000. Ciblez-vous avant tout les enfants de familles fortunées?

Notre but est d’attirer et de sélectionner les étudiantes et les étudiants les plus talentueux du monde entier et non pas les enfants issus des familles les plus fortunées. Pour les étrangers, les frais totaux sont certes élevés mais ils correspondent à nos standards de qualité ainsi qu’aux véritables coûts de notre formation et de nos diverses installations.

Le montant de CHF 160’000 est aussi comparable à ce qui doit être déboursé pour une bonne formation dans une université privée aux Etats-Unis. Afin d’aider financièrement certaines étudiantes et étudiants, nous avons mis en place un système de bourses et de prêts d’honneur.

En ce qui concerne nos étudiantes et étudiants de nationalité suisse (ou éligibles aux critères de la Haute École Spécialisée de Suisse Occidentale, HES-SO), les frais totaux s’élèvent à environ CHF 80’000 car nous percevons des subsides de la Confédération. Ce montant est principalement destiné aux dépenses liées au logement et aux repas.

Si la fille ou le fils d’un magnat de l’hôtellerie postule pour suivre un bachelor à l’EHL, ses chances d’admission sont-elles de virtuellement 100%?

Notre système d’admission comprend plusieurs critères, notamment les notes de baccalauréat, le niveau d’anglais, nos propres tests ainsi que plusieurs entretiens de sélection. Nous avons des exigences académiques définies en partie par la HES-SO et nous ne pouvons en aucun y déroger. Néanmoins, il est probable qu’une postulante ou un postulant issu d’une famille hôtelière ait acquis certaines compétences grâce à son milieu familial; dans ce sens, ses chances d’admission sont sans doute plus élevées.

Vous venez d’ouvrir un premier campus à l’étranger, en l’occurrence à Singapour. Existe-il un risque de diluer le caractère suisse d’EHL? Planifiez-vous d’autres campus hors de Suisse?

Pour une école internationale comme l’EHL, la présence d’un campus en Asie s’est imposée comme une évidence. Fidèle à notre proximité avec les acteurs de notre industrie, nous allons là où le marché nous dit d’aller. En plus, une bonne partie de nos anciennes étudiantes et anciens étudiants travaillent en Asie; rien qu’à Singapour, nous en dénombrons 150.

«Pour une école internationale comme l’EHL, la présence d’un campus en Asie s’est imposée comme une évidence»

Concernant notre nouveau campus asiatique, les premiers retours sont excellents malgré les défis posés par la pandémie. L’ouverture d’autres campus à l’étranger n’est pas à l’ordre du jour. Finalement, nous ne craignons pas une diminution du caractère suisse de notre institution car notre campus asiatique est une complémentarité et en aucun cas un remplacement de nos campus en Suisse.

La Suisse est mondialement connue pour ses écoles de gestion hôtelière. Pourtant, il semblerait que le sens de l’hospitalité soit plus développé dans certains pays d’Asie qu’en Suisse.   

Dans certaines nations d’Asie, le degré de courtoisie est en effet exceptionnel. Je pense néanmoins que beaucoup de pays peuvent s’inspirer de la remarquable expérience suisse en matière d’efficacité managériale et de précision dans les processus. Ainsi, les étudiantes et étudiants en provenance d’Asie ont tout intérêt à bénéficier d’une éducation à l’EHL.

Le conseil d’administration de votre groupe est très suisse, voire vaudois. N’est-ce pas un peu étonnant pour un groupe aussi international?

Comme nous sommes une fondation suisse située dans le canton de Vaud ainsi qu’une haute école nationale, il est normal que nous ayons une forte représentation valdo-suisse. Cela permet aussi de mettre en exergue nos valeurs nationales dans le domaine de l’hospitalité. En outre, bien que les membres de notre conseil d’administration soient avant tout suisses, la majorité de ces membres sont au bénéfice d’expériences internationales significatives. Finalement, nous comptons aussi sur un conseil consultatif international qui comprend des personnalités et des leaders du monde entier.

Quels sont vos principaux apports au groupe EHL étant donné que vous n’êtes pas issue du monde de la gestion hôtelière?

En effet, je ne suis pas issue du sérail. A mon sens, il s’agit d’un avantage car cela me permet de porter un regard extérieur sur notre groupe. Mes principaux apports sont l’écoute ainsi que la capacité d’insuffler de l’énergie dans nos équipes. J’œuvre aussi activement à l’optimisation de notre environnement de travail et de nos processus afin que les multiples compétences et connaissances spécialisées de tous les collaborateurs de l’EHL puissent être combinées de manière idéale.

J’apporte également des compétences dans la gestion internationale, la responsabilité sociétale des entreprises et l’innovation. Et, en tant qu’entrepreneuse, je suis aussi fière d’accompagner le développement du Village de l’Innovation de l’EHL; ce dernier réunit plus d’une trentaine de start-ups prometteuses dans le domaine de l’hospitalité.

Quels sont vos hôtels préférés dans le monde?

Il y en a tellement! D’une manière générale, j’apprécie beaucoup les hôtels qui mettent leur clientèle au centre de leurs préoccupations et qui offrent de nombreuses possibilités sportives. Et cela quel que soit leur nombre d’étoiles!

Créé en 1893 et basé à Lausanne, le groupe EHL offre des programmes éducatifs s’étalant de l’apprentissage au Master, en passant par des formation professionnelles et exécutives. Parmi les 4025 étudiantes et étudiants immatriculés, 123 nationalités sont représentées. En outre, les 30’000 anciens élèves de l’EHL sont présents dans 150 pays sur cinq continents.

Les plus appréciés

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision