Pour la souveraineté… de l’agriculture d’autrefois
Le danger très réel - au-delà des bons sentiments - de l’initiative «Pour la souveraineté alimentaire», exposé par Albert Tille, l’un des contributeurs de la revue Domaine PublicLien externe.
L’initiative populaire «Pour la souveraineté alimentaireLien externe» a été lancée par le syndicat agricole minoritaire Uniterre. Suivant le MessageLien externe du Conseil fédéral, le Parlement fédéral, où le lobby agricole est puissant, a rejeté massivement ce texte sans contre-projet. Il n’a récolté que 23 oui au National et un seul aux Etats.
Défenseur des petits paysans, le syndicat Uniterre a une stratégie vigoureuse. Il demande d’augmenter le nombre des agriculteurs. Il veut développer la production indigène en régulant les importations par un renforcement des droits de douane. Les denrées alimentaires étrangères qui ne sont pas conformes aux règles suisses de la production agricole seront surtaxées ou interdites (par exemple les aliments contenant des œufs non pondus au sol).
Le montant équitable des prix à la production, et donc du revenu des agriculteurs, sera déterminé par l’Etat fédéral. Le modèle d’économie agricole de l’initiative d’Uniterre est proche de celui de l’économie de guerreLien externe de 39-45 qui a survécu pendant un demi-siècle.
Mais la Suisse a dû et su s’adapter à la nouvelle donne commerciale internationale. Dans les années 80, de longues négociations du Gatt (appelé aujourd’hui OMC) intégraient l’agriculture dans la réglementation des échanges internationaux. Il fallait assouplir la politique agricole ou quitter le Gatt.
Berne fait alors la découverte des paiements directs et les introduit en 1993. Ce système d’aide aux paysans – l’Union européenne l’adoptera dix ans plus tard – permet à la Suisse d’ouvrir partiellement son marché agricole à la concurrence étrangère et de signer le nouvel accord international du commerce en 1994.
L’astuce des paiements directs
Berne aidera les agriculteurs non pas en agissant sur le prix des produits, mais en leur versant directement de l’argent pour les «prestations d’intérêt général» qu’ils offrent à la population: pour maintenir un paysage cultivé, pour la conservation des ressources naturelles, pour l’occupation décentralisée du territoire, pour les modes de production écologique, pour l’élevage respectueux des animaux.
Idées de la gauche réformiste
Inspiré par les clubs de réflexion politique qui se développent en France au début des années 60, Domaine PublicLien externe paraît pour la première fois en octobre 1963.
Indépendante, la revue exprime les idées de la gauche réformiste en Suisse romande. En 2006, Domaine Public abandonne le print pour se déployer sur le net, en accès libre.
Son conseil d’administration est présidé par Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération.
Les accords Gatt/OMCLien externe organisent les échanges internationaux en réglementant les obstacles aux frontières par des droits de douane sur les marchandises, des quotas ou par des normes de production. Les paiements directs aux agriculteurs ne concernent pas les marchandises. Pour l’OMC, ils ne sont pas un obstacle aux échanges. La Suisse peut donc aider de cette manière ses paysans sans contrainte internationale. Elle ne s’en prive pas. Les paiements directs s’élèvent à plus de 3 milliards par an.
Dans l’une de ses infolettres, le surveillant des prix souligne que les droits de douane sur les produits agricoles représentent un montant équivalent payé par les consommateurs sous la forme de prix élevés (DP 2128Lien externe). Pour Monsieur Prix, il serait judicieux de supprimer les droits de douane pour baisser les prix et de soutenir l’agriculture par une augmentation des paiements directs. Soutenir les paysans exclusivement par la caisse fédérale serait un gain pour les gens modestes qui paient moins d’impôts fédéraux qu’ils ne consomment de produits agricoles. Cette suggestion de Monsieur Prix n’a aucune chance de s’imposer.
La politique voulue par Uniterre ignore les vertus des paiements directs et mise tout sur le renforcement des taxes et les restrictions à l’importation contraires aux engagements de la Suisse à l’OMC. Les mesures de rétorsion que prendraient alors nos partenaires commerciaux toucheraient durement les exportations suisses, y compris celle de nos fromages. Mieux vaut donc le maintien de la politique agricole actuelle confirmée par le peuple suisse qui, l’an passé, a accepté par 78,7% des voixLien externe le contre-projet à l’initiative sur la sécurité alimentaire de l’Union suisse des paysans.
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