Des masques gratuits, mais à quel prix?
Qui a droit à des masques gratuits en Suisse? Cantons et villes jouent leur partition dans une distribution ne répondant pas toujours à une logique unique. Mais c’est le propre de cette crise sanitaire.
Pour la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIASLien externe), il est évident que les personnes dépendantes de l’aide sociale ou toute personne vulnérable et dans le besoin, qui doit par exemple se rendre à des programmes d’intégration professionnelle ou à des rendez-vous médicaux, doit pouvoir le faire sans s’acquitter du prix des masques.
À fin mars, dans une Suisse semi-confinée, l’organisation d’entraide CaritasLien externe s’était déjà souciée du sort des déshérités confrontés à l’addition des frais liés à la Covid-19. Caritas avait demandé au ministre suisse de la Santé, Alain Berset, d’exclure de la franchise les coûts médicaux des traitements du coronavirus pour les familles pauvres
Requête à la Confédération
Ainsi les personnes âgées qui vivent dans des conditions modestes devraient pouvoir avoir accès, et sans frais supplémentaires, à des masques de protection. Afin de pouvoir au minimum emprunter les transports publics ou de pouvoir aller faire leurs emplettes aux supermarchés, là où des cantons (Jura, Vaud) exigent son port.
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Bienvenue dans la nouvelle Suisse des visages masqués
Le Conseil suisse des aînés (CSALien externe) a fait une requête dans ce sens le 10 juillet dernier auprès de la Confédération. Il redoute que les frais engendrés par l’achat de paquets de masques à usage unique précipitent dans une misère encore plus noire des retraités financièrement à la limite, dont 20% seraient déjà en situation de précarité. «Cette classe d’âge pourrait être mieux choyée», estime Roland Grunder, président du CSA.
Deux masques gratuits par jour
«Après estimation, nous constatons que les frais mensuels de masques peuvent se situer entre 60 francs (personne seule) et 160 francs (famille). Des montants significatifs pour les individus déjà en difficultés», indique-t-il. Confinés d’office en raison de leur âge, les 65 ans et plus se considèrent déjà comme les oubliés de cette crise. «La pandémie a aggravé cette impression», observe le président du Conseil suisse des aînés. Alors que son association devrait être sinon suivie du moins écoutée par le Conseil fédéral, elle n’a guère été consultée sur l’attribution de masques gratuits aux retraités.
«Les frais mensuels de masques peuvent se situer entre 60 francs (personne seule) et 160 francs (famille). Des montants significatifs pour les individus déjà en difficultés.»
Roland Grunder, président du CSA
Avec Caritas et Pro SenectuteLien externe, le Conseil des aînés est descendu dans l’arène en se fendant récemment d’un communiqué pour alerter l’opinion publique. Les plus démunis devraient ainsi pouvoir profiter d’au moins deux masques gratuits par jour. Voire trois «pour des cas d’exception justifiés», selon les calculs du CSA. Non seulement le 3e et le 4e âge, mais l’ensemble des bénéficiaires de l’aide sociale, de prestations complémentaires et d’une réduction de primes d’assurance-maladie ne devraient plus devoir débourser un seul centime pour l’acquisition de ces masques. Rien que pour les quelque 340’000 individus au bénéfice de prestations complémentaires, il s’agirait de leur distribuer environ 20 millions de masques gratuits par mois… aussi longtemps que nécessaire.
Zurich montre l’exemple
Ce sont surtout les villes et les communes qui se sont montrées les plus réactives en termes de distribution gratuite. À l’attention des commerces depuis le début du déconfinement le 27 avril, puis à l’adresse des personnes en situation précaire. La ville de Zurich a suivi les recommandations de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) en accordant, dès juillet, la gratuité des masques à l’ensemble des bénéficiaires de l’aide sociale. En pratique, le prix d’achat leur est remboursé sur présentation de factures. D’autres localités zurichoises ont suivi ce mouvement en versant directement en amont les sommes correspondantes aux bénéficiaires.
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Des Suisses démocratisent la production de masques de protection
Plusieurs communes ont également pris l’initiative de distribuer des lots uniques de dix masques aux plus pauvres afin de parer au plus pressé. Et contribuer ainsi à ce que les habitants de ces localités suivent, eux aussi, les recommandations du Conseil fédéral en matière de gestes barrière. D’autres communes ont préféré constituer des réserves en cas de coup dur, comme une résurgence du coronavirus.
Les pratiques diffèrent donc fortement d’une ville ou d’un canton à l’autre. Le Jura, qui vient par exemple d’imposer le port du masque dans tous ses commerces, a ainsi de son propre chef décidé d’accorder la gratuité des masques à toute personne ayant droit à une réduction des primes d’assurance-maladie.
Communes bernoises souveraines
Le canton de Berne opte, lui, pour le calcul suivant: dix masques gratuits par habitant et par commune. «Cela fait dix millions de pièces au total distribuées ces trois dernières semaines, en comptant des masques pour les bébés aussi», explique Gundekar Giebel, porte-parole de la direction bernoise de la Santé. Bien assez, selon lui, pour tenir la distance. «Le canton de Berne laisse aux communes toute la latitude pour distribuer ces masques à qui elles le souhaitent, et forcément aux personnes vulnérables», ajoute-t-il. Parallèlement, son canton a également acquis ces derniers mois des centaines de tonnes de matériel sanitaire stocké par ses soins afin d’en assurer le traçage.
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La méthode employée à Genève est différente. Ici, le canton met à disposition des masques à prix coûtant, qui sont ensuite écoulés aux particuliers via des partenaires comme La Poste ou des supermarchés. «Les masques sont vendus 50 centimes l’unité», selon le département genevois de la Santé. Mais ce prix unitaire pourrait baisser «si le canton reçoit prochainement livraison de masques fabriqués en Suisse à un prix de revient inférieur», ajoute sa porte-parole, Marie de Coulon.
Le canton de Genève approvisionne déjà des associations caritatives pour s’assurer que les plus pauvres et les retraités au bénéfice de rentes complémentaires puissent profiter de la gratuité. Mais contrairement à Berne qui achète ses masques en Chine, Genève fait le pari du «made in Switzerland» en se fournissant auprès d’un fabricant helvétique. Et comme on se prépare à une nouvelle flambée de contaminations, le canton a déjà stocké 3 millions de masques.
En attendant le vaccin
Pour éviter des inégalités de traitement, un premier pas significatif a été franchi en Suisse avec l’introduction ce printemps de tests de dépistage gratuits pour l’ensemble de la population. Reste à savoir comment l’État procédera avec le vaccin contre le coronavirus? «Si ces derniers s’avèrent obligatoires pour toutes et tous, ils devraient être gratuits pour les personnes précarisées», affirme déjà Ingrid Hess, porte-parole de la Conférence suisse des institutions d’action sociale. Et de prendre pour comparaison les vaccins contre la grippe influenza, déjà remboursés par les assurances-maladie.
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