Moins de médicaments pour une meilleure santé des aînés
Les patients âgés sont souvent exclus des essais cliniques, laissant dans l’ombre l’impact des médicaments sur leur métabolisme. Pour combler ce manque, des scientifiques suisses mènent un projet financé par l'UE. L’objectif est d’identifier les traitements inutiles chez les personnes âgées.
«Plus de 60% des patients âgés de plus de 64 ans admis dans les hôpitaux prennent plusieurs médicaments», explique Nicolas Rodondi, professeur de médecine interne à l’Hôpital universitaire de Berne. Or certaines études ont montré que près de 30% des hospitalisations et 20% des dépenses de santé chez les personnes âgées sont le résultat de prescriptions de médicaments redondantes, inutiles ou inappropriées.
Une population vieillissante
Trouver des solutions aux défis associés aux soins médicaux des personnes âgées est particulièrement important dans les pays industrialisés comme la Suisse où la population est vieillissante.
L’âge médian en Suisse augmente en raison – principalement – de la baisse du taux de natalité. Aujourd’hui, le nombre moyen d’enfants par femme est de 1,5, comparativement à 2,5 dans les années 1940 et 1950.
Le vieillissement de la population est également attribuable à l’augmentation de l’espérance de vie.
Les Suisses figurent parmi les personnes au monde qui vivent le plus longtemps. En 2014, l’espérance de vie moyenne était de 81 ans pour les hommes suisses et 85 ans pour les femmes.
«Nous nous trouvons dans une situation où l’on vit de plus en plus longtemps au fil des décennies, constate Jürg Schlup, président de la Fédération des médecins suisses (FMHLien externe). Les gens restent aussi en meilleure santé grâce à l’amélioration de la prise en charge médicale des maladies chroniques. C’est pourquoi nous sommes confrontés au danger de surmédication.»
Optimiser la thérapie
Cette année, Nicolas Rodondi et une équipe d’experts de 6 pays de l’UE ont répondu à un appel dans le cadre du programme de recherche Horizon 2020 de la Commission européenne. Et ce pour étudier le problème de la surmédication chez les personnes âgées. Ils ont reçu 6,6 millions d’ € (7,2 millions CHF), l’objectif étant de développer un logiciel à même de fournir des recommandations médicales personnalisées pour les patients âgés.
Cette recherche baptisée OPERAMLien externe est le premier projet santé du programme Horizon 2020 à être dirigé par la Suisse. Elle est menée avec 1900 patients âgés de plus de 74 ans issus de tous les pays participants.
Les chercheurs sont en train de développer des logiciels pour identifier les médicaments inappropriés pour les patients âgés, soit en raison de leur manque d’indication spécifique, parce qu’ils interagissent négativement avec d’autres médicaments ou parce qu’un dosage incorrect a été prescrit.
Le travail pourrait aussi révéler si des médicaments importants sont absents du régime de soins de santé d’un patient.
«Nous avons conçu un essai pour tester si une combinaison d’interventions peut non seulement diminuer la polymédication, mais aussi améliorer les résultats cliniques chez les personnes âgées. Et ce en réduisant le nombre d’hospitalisations et en augmentant la qualité de vie du patient», explique Nicolas Rodondi.
Avec son équipe, il espère aussi que le projet OPERAM permettra d’économiser chaque année des millions en terme de coûts de santé dans les pays participants.
Un problème mondial
Nicolas Rodondi est également engagé dans l’initiative smartermedicine.chLien externe créée en 2014 sous la direction de la Société suisse de médecine interne générale. Les experts médicaux ont développé une liste de cinq types de prescriptions médicales à éviter par les médecins suisses, sauf absolue nécessité. Et ce pour améliorer l’état de santé du patient et éviter des interventions inutiles.
Le «Top 5»
Les cinq interventions médicales à éviter, selon smartermedicine.chLien externe.
1. Un bilan radiologique chez un patient avec des douleurs lombaires non-spécifiques depuis moins de 6 semaines.
2. Le dosage du PSA (protéine fabriquée exclusivement par la prostate) pour dépister le cancer de la prostate sans en discuter les risques et bénéfices avec le patient.
3. La prescription d’antibiotiques en cas d’infection des voies aériennes supérieures sans signe de gravité.
4. Une radiographie du thorax dans le bilan préopératoire en l’absence de suspicion de pathologie thoracique.
5. La poursuite à long terme d’un traitement d’inhibiteurs de la pompe à proton pour des symptômes gastro-intestinaux sans utiliser la plus faible dose efficace.
Le projet OPERAM, lui, prend en compte 18 traitements médicaux différents pour mener sa recherche.
Combien de pilules par jour?
En Suisse, selon Nicolas Rodondi, de nombreux patients âgés prennent jusqu’à 10 sortes de médicaments par jour. Plusieurs causes expliquent cette polymédication, comme le manque de coordination entre les prescriptions des médecins généralistes, des spécialistes et celles émises pendant l’hospitalisation.
Parfois, la cause de la surmédication a pour origine les patients eux-mêmes. Beaucoup d’entre nous sont plus à l’aise de quitter le cabinet du médecin avec une ordonnance, plutôt que les mains vides. Par exemple, l’insomnie est une plainte commune des personnes âgées. Mais les médicaments prescrits par leur médecin ont souvent des effets secondaires, comme des étourdissements et des pertes de l’équilibre, ce qui peut augmenter le risque de chutes et de blessures graves chez les patients âgés.
Nicolas Rodondi relève aussi la prescription d’antibiotiques pour des infections non bactériennes, comme un virus de la grippe: «Vous pouvez faire deux choses: dire au patient qu’il a une infection virale, lui prescrire des médicaments pour atténuer les symptômes, et qu’il attende que l’infection disparaisse; vous pouvez aussi lui donner des antibiotiques, ce qui satisfait souvent les patients. Mais dans ce cas, vous avez d’autres problèmes, comme d’engendrer plus de résistance à un antibiotique ou des effets secondaires.»
L’adaptation des données
Une des raisons de la surmédication découle du manque de connaissance des médecins concernant les patients âgés atteints de plusieurs maladies et l’interaction entre les différents médicaments qui leur sont prescrits. Circonstance aggravante, ces patients âgés sont souvent exclus des essais cliniques. Et ce par crainte que de nombreux paramètres puissent fausser l’exactitude des résultats des essais.
«Seul 2% des essais cliniques incluent les personnes ayant plus d’une maladie, même si cela représente 60% des personnes de plus de 65 ans», relève Nicolas Rodondi.
De plus, selon le chercheur, la Suisse ne dispose pas d’une base nationale de données médicales, contrairement à d’autres pays comme le Danemark.
Au lieu de cela, les données en matière de santé en Suisse sont conservées par chacun des hôpitaux ou chacune des assurances, ce qui rend difficile la coordination de la recherche.
En juin, un Programme national de recherche doté de 20 millions de francs (PNR) a été lancé pour résoudre ce problème. Un des objectifs du programme est d’améliorer la disponibilité, l’accès et la comparaison des données médicales.
Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand
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