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Pour des tests cliniques plus transparents

Environ 70'000 tests sont menés dans le monde, mais peu apportent de nouvelles percées. AFP

Alors que les coûts de la santé continuent de prendre l’ascenseur, législateurs, médecins et patients comptent plus que jamais sur l’intégrité des tests cliniques pour évaluer l’efficacité de nouveaux traitements coûteux. Mais que faire lorsque les résultats des études sont biaisés?

Les gouvernements du monde entier ont accumulé pour des milliards de dollars de Tamiflu afin de lutter contre une potentielle épidémie de grippe. Mais les médecins ne sont pas certains que le médicament produit par Roche est vraiment efficace: le géant pharmaceutique bâlois a en effet refusé durant des années de divulguer les résultats de ses études.

Cette tactique courante de l’industrie consistant à cacher sous le tapis les résultats d’études indésirables est nommée en langage scientifique un biais de publication. Lorsque des chercheurs manipulent leurs données, les nouveaux traitements sont non seulement plus risqués, mais ils peuvent aussi n’offrir aucun bénéfice aux patients, avertissent de nombreux praticiens.

Les artifices sont pléthore: les chercheurs peuvent par exemple déplacer les valeurs de seuils afin d’atteindre plus facilement les objectifs désirés. Ou utiliser des méthodes statistiques ambigües pour accroître les effets positifs et minimiser les effets secondaires. Et si les conclusions ne correspondent malgré tout pas aux attentes, les fichiers finiront alors probablement dans les tiroirs des laboratoires.

70’000 essais cliniques dans le monde

«Les médecins ont horreur des résultats négatifs, ils ne les publient pas», confirme Jean-François Cuttat, chirurgien à Lausanne. Les chercheurs préfèrent d’après lui éliminer les données qui ne cadrent pas, en ajustant et en rationalisant les résultats.

«Les entreprises pharmaceutiques n’ont aucun intérêt à publier des résultats concernant les échecs de certains blockbusters [médicaments phare de la marque]», avance Hermann Amstad, secrétaire général de l’Académie suisse des sciences médicales. «Et les revues médicales acceptent plus facilement des résultats de recherches positifs en vue d’une publication».

Environ 70’000 essais cliniques sont menés à travers le monde, mais peu d’entre eux apportent de nouvelles percées scientifiques. Beaucoup de ces essais ne servent qu’à des fins marketing, explique Reto Obrist, oncologue et conseilleur auprès de Swissmedic, l’autorité suisse de contrôle et d’autorisation des médicaments.

Durant de nombreuses années, Roche a refusé de dévoiler des données détaillées sur son médicament antigrippe Tamiflu, stocké par les gouvernements du monde entier, faisant valoir que les non-spécialistes ne seraient pas en mesure de les juger correctement.

Les examinateurs de l’organisation de recherche indépendante Cochrane estiment que 60% des données ont fait l’objet de rétention de la part de Roche. Dans les données qu’ils ont reçu de Roche en 2009, ils ont décelé des preuves de biais de publication.

Depuis 2013, Cochrane a accès à toutes les données concernant le Tamiflu, mais Roche a retouché le matériel pour «garantir la confidentialité des patients et garantir les intérêts commerciaux». Roche dit aujourd’hui soutenir les appels à plus de transparence. La multinationale bâloise fournit sur demande des chercheurs des données remontant jusqu’à 1998. Un groupe consultatif indépendant est en train d’analyser toutes les données afin d’identifier les questions sans réponse concernant ce médicament.

Le ministre japonais de la Santé a déposé une plainte pénale au début de l’année contre Novartis. Le ministre a indiqué que certaines recherches menées dans les universités japonaises avaient été falsifiées afin de démontrer les bénéfices du Diovan, un médicament contre l’hypertension artérielle. La société bâloise a indiqué qu’elle coopérait avec les autorités et qu’elle avait mis en place des mesures correctives pour renforcer la gouvernance.

Début 2011, Actelion a annoncé qu’elle mettait fin au développement d’un médicament expérimental contre l’insomnie, almorexant, en raison d’un problème de sécurité non révélé. Selon un article paru dans le magazine Forbes de décembre 2013, Actelion n’a pas rendu l’information complète disponible à d’autres chercheurs et à d’autres sociétés de développement de médicaments durant plusieurs années.

Nouvelle loi fédérale

A l’heure actuelle, seuls un peu plus de la moitié des tests sont publiés. Un biais qui fausse les résultats et complique le choix des médecins, affirme Reto Obrist. Il ajoute que de nombreux essais qui ne sont pas du goût de l’industrie pharmaceutique ne sont tout simplement pas publiés.

Une nouvelle loi fédérale réglementant la recherche sur les êtres humains, qui est entrée en vigueur au début de l’année, est censée remédier à certains de ces maux. Tous les essais cliniques réalisés en Suisse doivent désormais être enregistrés. Les chercheurs ont par ailleurs l’obligation de se conformer à de nouvelles règles éthiques et commerciales afin d’assurer la transparence et la qualité de la recherche.

«Aujourd’hui, la recommandation générale est la suivante: les entreprises ne doivent faire des choses que si elles sont prêtes à les lire le lendemain dans les journaux», affirme Annette Magnin, cheffe du Swiss clinical trial organisation. Les manquements ne sont pas uniquement éthiquement condamnables, mais ils sont aussi un fardeau financier et nuisent à la réputation de l’entreprise, souligne-t-elle.

Davantage de transparence

L’industrie pharmaceutique suisse, qui pèse 6% du produit intérieur brut du pays, a par le passé résisté à des demandes d’ouverture et de divulgation plus large, en particulier lorsqu’il s’est agi de résultats de tests cliniques. Elle s’appuie sur son propre code de conduite, rédigé par son association faîtière, ScienceIndustries.

Au cours des dernières années, de nombreuses entreprises pharmaceutiques ont toutefois commencé à œuvrer en faveur d’une plus grande transparence. Roche publie aujourd’hui les résultats complets de ses études cliniques via les organismes de régulation. La société bâlois a également étendu l’accès aux données de ses essais cliniques aux chercheurs tiers. En ce qui concerne le Tamiflu, un groupe de chercheurs indépendants est en train d’examiner les données, leur «robustesse et leur intégrité» qui, selon Roche, soutient leur «efficacité et leur sécurité».

«Nous comprenons et soutenons les appels qui sont lancés pour que notre industrie soit plus transparente en ce qui concerne les données des essais cliniques, ceci dans le but de répondre le mieux aux intérêts des patients et de la médecine», déclarait l’an dernier Daniel O’Day, responsable du domaine opérationnel chez Roche. «Dans le même temps, nous croyons fermement que les autorités sanitaires doivent rester les gardiens pour ce qui est de l’évaluation des médicaments et de leur approbation».

Les sociétés pharmaceutiques actives aux Etats-Unis doivent publier les paiements effectués aux médecins dans le cadre d’une loi en vigueur depuis septembre 2013. Les entreprises ont jusqu’à présent révélé des paiements aux professionnels de la santé à hauteur de plus de 2 milliards de dollars.

En 1997, le Congrès américain a adopté une loi exigeant l’enregistrement des essais et leur publication. En 2000, les autorités américaines ont rendu l’accès au site clinicaltrials.gov ouvert à tous.

Dès 2015, les chercheurs actifs dans l’Union européenne devront enregistrer les essais cliniques avant qu’ils ne débutent et publier les résultats sommaires au cours de l’année qui suit la fin de l’étude. Le Parlement européen et le Conseil des ministres doivent encore approuver la nouvelle législation.

La nouvelle loi suisse sur les sociétés de recherche humaines, en vigueur depuis le 1er janvier 2014, oblige les sociétés pharmaceutiques à enregistrer leurs essais sur un portail de l’Office fédéral de la santé publique. La loi ne dit rien quant à la publication des résultats des études.  

Les entreprises pharmaceutiques suisses sont également encouragées à se conformer au code pharmaceutique édicté par ScienceIndustries, l’association faîtière de la branche. Contrairement aux Etats-Unis, où les données sont stockées de manière centralisée, les fabricants de médicaments suisses devront rendre public leurs conflits d’intérêts sur leurs propres sites web dès 2016. Aucune sanction n’est toutefois prévue en cas de non-respect de cette règle.

Sous le feu des critiques

Les fabricants de médicaments soulignent que la divulgation complète des études présente également des inconvénients. Ils sont notamment préoccupés par la protection des données des patients et la propriété intellectuelle dans le cas où les données étaient ouvertes à tout le monde. Pour Thomas Cueni, d’Interpharma, l’autorégulation est néanmoins suffisante.

«L’industrie pharmaceutique estime qu’elle est bien réglementée», relève François Cuttat. «Mais cela ne présage rien de bon si une fois de plus les autorités obligent les entreprises à divulguer des informations et à devenir plus transparentes. Cela ressemble à ce que nous avons récemment vécu dans le domaine bancaire».

La conduite éthique des entreprises suisses a été sous le feu des critiques ces dernières années. Tout comme les banques, l’industrie pharmaceutique a également perdu de son éclat, selon Reto Obrist. Les multinationales ne peuvent pas se permettre d’être discréditées et doivent déjà se conformer à des codes de conduite internationale et aux législations des marchés dans lesquels elles sont actives, explique Hermann Amstad. Reste que toutes les sociétés pharmaceutiques de référence ont été la cible de vives critiques.

L’Europe à la traîne

Roche, dans le cas du Tamiflu, ou Novartis, avec son médicament contre l’hypertension artérielle (Diovan), ont été accusées d’avoir omis ou retardé la publication de données négatives. Reto Obrist espère que ces récents scandales contribueront à accélérer le changement en cours.

«A l’heure actuelle, les entreprises pharmaceutiques sont juste un peu mieux classées que les banques sur l’échelle de la popularité», relève Reto Obrist. «Il faudra beaucoup de temps pour qu’elles puissent redorer leur image et regagner la confiance».

Les Etats-Unis montrent la voie en ce qui concerne la divulgation et la transparence dans la recherche alors que l’Europe est à la traîne. Aux Etats-Unis, les essais de médicaments doivent être enregistrés depuis 1997 et les entreprises pharmaceutiques doivent déclarer leurs conflits d’intérêt. La Suisse a désormais emboîté le pas aux Etats-Unis en ce qui concerne l’enregistrement des essais et l’Europe suivra l’année prochaine.

Intérêts financiers

Pour les sceptiques, les législations existantes et prévues en Europe sont en retard et ne vont pas assez loin. Des organisations telles que «No free lunch» et les promoteurs de la campagne AllTrials appellent à une transparence totale, avertissant qu’en raison de «pseudo innovations coûteuses» sans bénéfice additionnel prouvé, les patients ne sont plus en mesure de faire confiance à leurs médecins.

«Les sociétés pharmaceutiques affirment que les patients sont leur priorité, mais leurs intérêts financiers ne peuvent pas être ignorés», affirme David Klemperer, de la section allemande de «No free lunch». «Pour vendre des produits dans un marché qui pèsera 1200 milliards de dollars en 2017, l’industrie tente systématiquement d’influencer les médecins, les politiciens et les médias, afin de minimiser la problématique des mauvaises données et d’embellir leur image».

Ben Goldacre, un avocat de la transparence, a écrit dans son un livre Bad Pharma que les preuves utilisées pour décider quels médicaments doivent être approuvés et prescrits sont «désespérément et systématiquement déformées». Le temps seul dira si les nouvelles règles permettront de réduire certains biais.

(Traduction et adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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