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«Je reçois ce prix comme une balise en pleine mer»

Scène du spectacle «On va tout dallasser Pamela!» de Marielle Pinsard, joué ici au théâtre Saint-Gervais à Genève.
Scène du spectacle «On va tout dallasser Pamela!» de Marielle Pinsard, joué ici au théâtre Saint-Gervais à Genève. Samuel Rubio

Décernés chaque année par l’Office fédéral de la culture, les Prix suisses de théâtre 2017 distinguent sept lauréats. Parmi eux la metteuse en scène romande Marielle Pinsard, récompensée pour son «talent multidisciplinaire bien particulier». Rencontre avec une femme indomptable, avide de liberté.  

«Je m’attendais à tout sauf à cette récompense. Même ma mère était très étonnée. Quand je lui ai appris que j’étais lauréate d’un Prix suisse de théâtre, elle m’a dit: ‘Tu reviens de loin, ma fille!’», confie Marielle Pinsard sur un ton amusé.  Avant d’ajouter de sa voix émue: «Mon travail théâtral est pour moi une question de vie ou de mort. Alors vous comprenez que ce prix, je le reçois comme une balise en pleine mer, une formidable aide à l’enfant turbulente que je fus et que je suis encore, peut-être.» 

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle est indomptable Marielle Pinsard. Avide de liberté, elle ne s’est jamais pliée aux normes. Ses nombreux visages bousculent allègrement toute esthétique classique, dans la vie comme sur scène. On l’avait découverte un jour avec une coiffure rasta qui accompagnait bien ses traits de jeune femme créole. Et puis les tresses ont disparu laissant la place à un crâne rasé, qui allait retrouver plus tard ses boucles riches. 

Portrait de Marielle Pinsard, vêtues de bleu
Marielle Pinsard BAK-Gneborg

Changer de tête 

«J’aime bien changer de tête», confie celle qui à 49 ans trouve «la stagnation dangereuse». En elle, les femmes se croisent et se heurtent, à l’image de celles qui peuplaient l’un de ses premiers spectacles, Comme des couteaux, créé en 2001. Il y avait alors sur le plateau quatre comédiennes et autant de chocs de conscience, entre combat politique, lutte contre la mondialisation, désir d’évasion… 

Depuis, le style de Marielle Pinsard s’est affirmé. La metteure en scène marie avec beaucoup d’originalité théâtre, performance et musique. Sur les scènes helvétiques, son talent est reconnu. Et il a depuis longtemps passé les frontières pour se distinguer notamment en France, le pays qui l’a vue naître et qu’elle a quitté à l’âge de 12 ans pour s’installer Suisse. 

L’Afrique et ses rites vaudous   

Un jour, Sandro Lunin, ex-directeur du Zürcher Theater Spektakel, lui dit: «C’est bien ce que tu fais ici, mais il te faut également aller voir ce qui se passe ailleurs», se souvient-elle. S’ensuivit un long voyage. Plus d’une année à parcourir le continent noir. «C’est le Bénin qui a surtout retenu mon attention, avec ses rites vaudous et son rapport mystérieux à l’objet», raconte-t-elle. 

L’Afrique et son ésotérisme ont inspiré trois de ses spectacles, dont le plus excitant: «On va tout dallasser Pamela!». «Un soir, dans un bar, j’ai vu un mec séduire une fille en la violant. Curieuse, j’ai demandé s’il y avait des nanas qui venaient se faire draguer sachant très bien ce qui les attend. Le mec m’a répondu: oui. Alors je lui ai proposé de jouer dans «On va tout dallasser…», et j’ai monté le spectacle avec la logique africaine de ce comédien.» 

Une écriture de plateau. C’est la manière de procéder de Marielle Pinsard, que l’on retrouve dans ses autres mises en scène, avec un même objectif: montrer la réalité sociale comme elle est, en s’amusant à lui tordre le cou de temps en temps. Provocation? «Non, jamais», lâche celle qui pense que son travail consiste avant tout à faire plaisir au public et à éveiller sa curiosité. 

Déconstruire pour reconstruire  

«L’OFC (Office fédéral de la culture) n’attend pas de nous que l’on s’endorme. Je suis moi-même récompensée pour mon «talent multidisciplinaire bien particulier», lâche Marielle Pinsard qui entend bien garder sa particularité. Elle-même et quelques metteurs en scène de sa génération ont créé un mouvement qui donne au théâtre suisse son identité. Une identité qu’elle explique en ces mots: «Nous ne savons peut-être pas construire un texte mais nous savons le déconstruire pour en dégager une énergie nouvelle.» 

En d’autres termes, il s’agit de revisiter des mythes ou des personnages classiques en braquant sur eux la lumière du présent. Un travail facilité par l’absence totale de pression littéraire dans un pays comme la Suisse qui n’a pas le poids des Molière et Shakespeare. «Une liberté totale que d’autres pays nous envient», confesse-t-elle. En France, par exemple, on lui demande souvent: «Mais comment faites-vous, vous les metteurs en scène suisses pour réussir votre démarche?» Ce à quoi elle répond: «C’est grâce au public qui ne cherche pas forcément à expliquer tout ce qu’il voit, histoire de préserver la part de mystère que renferme chaque spectacle.» 

Les Prix suisses de théâtre 2017

Ils ont été remis le 24 mai, à Lugano, par le Conseiller fédéral Alain Berset. 

Le grand Prix suisse de théâtre/Anneau Hans Reinhart va à Ursina Lardi. Née en 1970 à Samedan (Grisons), l’actrice se produit en Suisse mais aussi sur les grandes scènes allemandes. Depuis 2012, elle est membre permanent de la Berliner Schaubühne. Elle est connue en particulier pour ses nombreux rôles au cinéma et à la télévision. 

Outre le prix attribué à Marielle Pinsard, quatre autres prix distinguent successivement l’auteure dramatique romande Valérie Poirier, le duo tessinois TricksterP,  la Bâloise Margrit Gysin et le duo alémanique Dominik Flaschka & Roman Riklin. 

Le Prix suisse de la scène va au duo alémanique schön&gut.

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