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Raoul Weil: «Trop haut placé pour savoir»

Raoul Weil
Raoul Weil au Tribunal correctionnel de Paris, le 11 octobre dernier. Michel Euler/AP Photo

Numéro 3 du géant bancaire UBS dans les années 2000, Raoul Weil s’est défendu ce mercredi devant le Tribunal de Paris. Des «violations» ont-elles été commises en France ces années-là? «L’information n’est pas remontée jusqu’à moi», a plaidé Raoul Weil.

Place aux Suisses. Après avoir entendu les responsables d’UBS France, les juges du Tribunal correctionnel de Paris s’intéressent désormais aux anciens cadres et dirigeants d’UBS AG, accusés de démarchage bancaire illicite et de blanchiment aggravé de fraude fiscale.

Premier d’entre eux, Raoul Weil, qui fut numéro 3 de la banque au cours de ces années 2000, comme patron du Global Wealth Management. Mèche blanche, écharpe autour du cou quand il fait face à la présidente, cannette de soda à portée de main, le prévenu Weil a déjà une certaine expérience en matière judiciaire.

La semaine dernière, les juges du Tribunal de Paris ont entendu des ex-responsables d’UBS France. En 2012, pendant sa garde à vue, l’ancien directeur commercial, Patrick de Fayet, avait évoqué le «démarchage» effectué par certains chargés d’affaires (CA) suisses, sources de tension avec les Français. Au procès, il n’a pas répété ses reproches. « Je n’avais pas de code monétaire et financier sous la main pour répondre à la question » des enquêteurs, a-t-il dit, pour expliquer ses propos de l’époque. (Source : Le Monde)

En 2013, l’ex-grand banquier suisse est arrêté à Bologne et passe deux mois en prison avant son extradition aux Etats-Unis. «60 jours d’enfer», raconte-t-il à la barre du tribunal. Il passera ensuite dix mois de résidence surveillée en Floride, bracelet électronique au pied. «Ma seule satisfaction? Avoir été acquitté par le Tribunal fédéral de Fort Lauderdale, après une heure de délibération», témoigne Raoul Weil.

La justice française porte sur lui des accusations similaires à celles de la justice américaine, soit d’avoir attiré les clients vers la Suisse en se servant de la «vitrine» UBS France.

Il peste contre son traducteur

Devant le Tribunal de Paris, l’alémanique Raoul Weil a choisi de parler anglais, ce qui lui a plutôt bien réussi en Floride. Pendant trois heures, il ne perdra son calme que pour pester contre un traducteur visiblement peu au fait de l’anglais financier. Sur le fond, l’ancien cadre a tenté de convaincre les juges que la logique commerciale de ces années 2000 était assez éloignée des idées convenues de ratissage des clients vers la Suisse.

L’affaire UBS France

2008-2009: des cadres d’UBS France licenciés portent plainte aux prud’hommes. Ils dénoncent des pratiques frauduleuses et alertent l’Autorité de contrôle prudentiel, l’organe de supervision de la Banque de France.

2012: UBS France et UBS SA sont mises en examen pour démarchage illicite.

Le journaliste Antoine Peillon révèle dans son livre «Ces 600 milliards qui manquent à la France» (Editions du Seuil) des pratiques de la banque facilitant l’évasion fiscale en Suisse.

2013: UBS SA, mise en examen pour «blanchiment de fraude fiscale aggravée», doit verser 1,1 milliard d’euros de caution.

2014: Stéphanie Gibaud, qui a révélé le scandale, publie «La femme qui en savait vraiment trop» (Editions Cherche Midi).

2018: ouverture du procès UBS, le 8 octobre à Paris.

A l’époque, a dit en substance Raoul Weil, le marché domestique français est en forte croissance. Tandis que le marché suisse à l’international – les clients français ou européens qui possèdent déjà des comptes en Suisse – est plutôt dans un stade de «maturation». Conséquence: UBS France a tout intérêt à trouver de nouveaux clients, tandis qu’UBS AG cherche avant tout à conserver ses gros clients et à augmenter leurs rendements financiers.

Deux logiques différentes. Soit. Mais alors, interroge la présidente, Christine Mée, pourquoi avoir développé au cours des années 2004-2008 la synergie et la coopération entre les deux entités, lors de nombreux séminaires, souvent présidés par Raoul Weil? «Ces synergies portaient avant tout sur la formation, en conseil clientèle ou en management», répond le diplômé de l’Université de Bâle. «En réalité, poursuit le prévenu, il n’y a pas eu de synergie. Le conseiller client est un animal égocentrique, qui considère que les clients sont sa propriété.»  Recevoir des affaires d’un collègue pourquoi pas, mais ne jamais en donner.

Trop élevé dans la hiérarchie pour tout savoir

La présidente aborde alors des témoignages plus précis, de cadres d’UBS France qui s’étonnaient de la présence de «chargés d’affaires» suisses, rôdant à proximité du siège de la banque à Paris. M. Weil se retranche alors derrière sa position hiérarchique. Numéro 3, il était en charge de 63’000 employés, dans une soixantaine de pays. Ces éventuelles violations «ne sont pas remontées jusqu’à moi». Même réponse quand la magistrate lui rappelle les «événements» organisés conjointement par les deux entités et où des listes de clients invités étaient parfois partagées par les responsables marketing.

Un nom fait sortir Raoul Weil de ses gonds: Bradley Birkenfeld, l’ex-employé d’UBS qui a dénoncé aux autorités américaines les pratiques de la banque, déclenchant les poursuites contre UBS. «Il se désigne lui-même dans son livre comme le banquier de Lucifer. C’est bien vrai. A mon procès, le procureur n’a pas pris le risque de le prendre comme témoin. C’est un menteur invétéré», se fâche le gérant de fortune.

Le procureur n’a guère importuné M. Weil. Comme s’il réservait ses flèches pour les cadres d’UBS AG en contact plus direct avec la France, notamment ceux du département «France International».

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