Quand l’air conditionné contribue au réchauffement de la planète
Les vagues de chaleur de plus en plus intenses et fréquentes favorisent l’utilisation de systèmes de climatisation, y compris dans les pays au climat tempéré comme la Suisse. Mais plus les bâtiments sont refroidis, plus la planète se réchauffe.
L’été sera plus chaud que d’habitude. Les prévisions de l’Office fédéral de météorologie et de climatologie (MétéoSuisse) à la fin du mois de mai, un mois qui avait battu des records de température, ont été confirmées en juin. Une vague de chaleur exceptionnelle a touché plusieurs régions de Suisse, avec des valeurs atteignant 37°C au nord des Alpes.
Avec le réchauffement climatique, les températures grimpent partout dans le monde et les événements qualifiés d’«exceptionnels» sont appelés à devenir la norme. Dans de nombreux endroits de Suisse, le nombre de jours affichant une température supérieure à 25°C a pratiquement doublé depuis le début des mesures, et la même tendance a été notée pour les jours tropicaux (30°C ou plus). Selon MétéoSuisse, le mois de juin de cette année a été le deuxième plus chaud enregistré depuis le début des mesures en 1864.
La hausse des températures accroît aussi le besoin de refroidir les bâtiments. Cette évolution paraît logique et compréhensible. Mais le revers de la médaille, c’est une hausse de la consommation d’électricité et des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Un cercle vicieux qui pourrait avoir des conséquences délétères pour la planète et la santé humaine.
Deux milliards de climatiseurs dans le monde
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), on dénombre près de deux milliards d’appareils de climatisation en service dans le monde. La plupart d’entre eux se trouvent dans des bâtiments aux États-Unis, au Japon et surtout en Chine, où la croissance est la plus marquée depuis 2010. On constate également une augmentation significative en Inde et en Indonésie.
Une étude publiée récemment par Eurostat, l’Office statistique de la Commission européenne, montre que les besoins de refroidissement des locaux en Europe ont augmenté au cours des 40 dernières années.
Dans les pays de l’UE, les «degrés-jours de refroidissement» – un indice des besoins énergétiques des bâtiments en fonction des conditions météorologiques – ont presque triplé entre 1979 et 2021. Cela signifie qu’il y a eu une utilisation accrue des systèmes de climatisation, indique Eurostat. À l’inverse, les «degrés-jours de chauffage» ont diminué de 11%.
La climatisation dans un foyer suisse sur dix
En Suisse aussi, les ventes de climatiseurs sont en hausse. Bien qu’il n’existe pas de statistiques nationales couvrant l’ensemble des appareils fixes et mobiles, les installateurs et les experts que nous avons contactés confirment un marché en croissance depuis le début des années 2000.
«La demande a également augmenté en raison de l’augmentation du nombre de nuits tropicales [nuits où la température minimale ne descend pas en dessous de 20°C]», explique Simone Anelotti, responsable de Neoservice, une entreprise de plomberie, chauffage et climatisation basée à Lugano, au Tessin. «Pour certaines personnes, qui ont parfois du mal à dormir la nuit, la climatisation est devenue une nécessité.»
Selon une étude récemment publiée par l’Université de Copenhague, la chaleur nocture excessive nous fait perdre en moyenne 44 heures de sommeil par an. Or le manque de sommeil peut avoir des répercussions négatives sur les capacités cognitives, la productivité et le système immunitaire, rappelle l’étude.
«Pour certaines personnes, qui ont parfois du mal à dormir la nuit, la climatisation est devenue une nécessité.»
Simone Anelotti, Neoservice
Les personnes âgées sont également nombreuses à avoir besoin de la climatisation. Pour elles, la chaleur peut être davantage qu’une simple nuisance, explique Massimo Moretti, qui travaille dans le secteur depuis 40 ans. En général, ajoute-t-il, les gens réagissent instinctivement et ne s’intéressent à la climatisation qu’en période de canicule. «Nous sommes dépendants de la météo. L’autre jour [20 juin], il faisait 36 degrés et j’ai été submergé d’appels téléphoniques. Le jour suivant, il a plu et personne n’a appelé».
Pendant la première vague de chaleur de l’année en Suisse, du 13 au 19 juin, les ventes de climatiseurs et de ventilateurs mobiles ont explosé, selon une enquête du journal gratuit 20 Minutes réalisé auprès des magasins d’électroménager. Un site de vente en ligne a signalé une augmentation de 450% de la demande pour ce type d’appareils.
Reste que les personnes qui disposent d’un système de climatisation fixe dans leur logement – pour lequel un permis de construire est nécessaire – sont minoritaires. Marco Von Wyl, directeur de l’Association suisse du froid, estime que 10% des foyers sont équipés d’une unité de climatisation. Un chiffre qui ne tient cependant pas compte des bâtiments résidentiels équipés d’une pompe à chaleur réversible, qui est capable de rafraîchir les espaces intérieurs pendant l’été.
En Europe, la moyenne est d’environ 20%. La part est évidemment plus élevée dans les pays méditerranéens comme la France (25%) et l’Italie, où un ménage sur deux possède un climatiseur. En Allemagne, seules 1 à 2% des surfaces habitables sont refroidies. À l’échelle planétaire, le Japon, les États-Unis et la Corée du Sud occupent les premières positions, avec des pourcentages supérieurs à 80%, selon les données de l’AIE datant de 2018.
La climatisation pollue plus que les avions
L’AIE prévoit qu’en raison de l’augmentation du niveau de vie, de l’accroissement de la population mondiale et de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur, le nombre de climatiseurs installés augmentera de 40% d’ici 2030.
Une bonne nouvelle pour celles et ceux qui les vendent (le coût d’un climatiseur fixe pour une chambre à coucher est d’environ 3000 CHF en Suisse), mais pas pour l’environnement et le climat. Les appareils de climatisation et les ventilateurs consomment 10% de l’électricité produite dans le monde. Ils sont également responsables, avec d’autres appareils utilisés pour la réfrigération – à l’instar des congélateurs – d’environ 10% des émissions de CO2 dans le monde. Bien plus que l’aviation ou le transport maritime.
Ces appareils contiennent des gaz réfrigérants qui contribuent à l’effet de serre. Les plus utilisés aujourd’hui sont les hydrofluorocarbures (HFC) qui, depuis la fin des années 1980, ont progressivement remplacé les chlorofluorocarbures (CFC) et les hydrochlorofluorocarbures (HCFC), principaux responsables de la destruction de la couche d’ozone.
Mais les HFC ne sont pas inoffensifs non plus. Leur potentiel de réchauffement planétaire est jusqu’à mille fois supérieur à celui du CO2. L’accord de Paris sur le climat et les traités internationaux tels que le protocole de Montréal, et en particulier l’amendement de Kigali, également ratifié par la Suisse, visent une réduction drastique des HFC d’ici le milieu du siècle.
Les alternatives sont le CO2, l’ammoniac et le propane, explique Simone Anelotti. «Ce sont les gaz réfrigérants de l’avenir. Cependant, pour l’instant, leur utilisation est encore limitée par leur coût élevé, leur dangerosité et leur moindre efficacité».
Traduit de l’italien par Samuel Jaberg
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