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L’horreur des prisons syriennes choque un collège de jeunes Bernois

170 élèves du gymnase de Kirchenfeld ont participé au séminaire organisé par Amnesty International. swissinfo.ch

Deux réfugiées syriennes témoignent de l’horreur et des tortures dans les geôles du régime de Damas. De quoi donner le frisson à toute une école bernoise, venue écouter ces témoignages qui dénoncent sans appel la cruauté et la barbarie.

Visages atterrés, regards glacés d’effroi, silence de tombe à chaque fois qu’une des deux interprètes marque une pause: visiblement, les 170 élèves de 16 à 20 ans de l’école secondaire de Kirchenfeld, à Berne, peinent à croire ce qu’ils entendent. C’est pourtant bien du quotidien de la répression contre les peuples de Syrie que parlent Raneem Ma’touq et Amal Nasr, invitée par AmnestyLien externe International pour une tournée dans les écoles et les universités suisses, cinq ans après le soulèvement populaire contre le régime al-Assad.

«J’ai été profondément touché par leurs témoignages, raconte un étudiant. Elles ont raconté beaucoup de choses que j’ignorais sur la situation des femmes détenues. J’ai été choqué par le fait que l’on numérote les prisonniers, qui savent ainsi à l’avance que leur sort inévitable sera la mort».

Le chiffre qui porte la mort

«Je voyais des enfants dans la prison avec des chiffres sur le dos. Or le sort des prisonniers portant un numéro, c’est la mort sous la torture ou par exécution. Je ne peux pas croire que ces enfants soient des terroristes», témoigne Raneem, qui a pu trouver refuge en Allemagne avec sa mère et son frère il y a un an environ.

Un système carcéral dénoncé par l’ONU

En février 2016 à Genève, la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie (dont fait partie la Suissesse Carla Del Ponte), a pointé en particulier le sort réservé aux prisonniers de Damas.

«Des témoignages et des preuves documentaires suggèrent fortement que des dizaines de milliers de personnes sont détenues à tout moment par le gouvernement syrien, affirme le rapport de la commission mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Des milliers d’autres ont disparu après leur arrestation initiale par les forces de l’Etat, en se déplaçant à travers le territoire tenu par le gouvernement ou ont disparu après leur enlèvement par des groupes armés.»

Dans ses conclusions, le rapportLien externe parle «d’une attaque systématique et généralisée contre la population civile. Dans le contexte du conflit armé en République arabe syrienne, le nombre de civils ciblés, la détention arbitraire, les disparitions forcées et les violations subséquentes, en violation du droit international humanitaire et sans aucune justification militaire légitime, donnent à penser que c’est la population civile en tant que telle qui est l’objet principal de cette attaque.»

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 «Chaque jour, ils évacuaient une dizaine de cadavres de la prison. Mais ce n’était pas des gens qui venaient de mourir. Les cadavres restaient plusieurs jours au milieu des prisonniers.» D’une voix calme, la jeune femme explique comment les détenus étaient souvent enfermés dans des lieux secrets où «on pratique les pires formes de torture. Les femmes sont violées et les organes des détenus prélevés pour des trafics.»

Mais quel «crime» avait conduit Raneem en prison? «Mon activité en Syrie consistait à organiser des manifestations étudiantes pacifiques réclamant la liberté et un Etat de droit. Pour le régime, notre activité était plus dangereuse que celle des groupes armés ou le terrorisme du groupe Daech. En dépit de toutes nos demandes pacifiques pour la liberté, nous avons toujours été déférés devant les tribunaux comme terroristes.»

Son père Khalil Ma’touq était avocat et militant des droits de l’homme depuis plus de 20 ans. Il a disparu en octobre 2012 avec un collègue alors qu’ils se rendaient à leur bureau à Damas. Depuis lors, elle n’a plus eu de nouvelle de lui.

Une lettre accablante

Défenseuse des droits des femmes depuis les années 90, Amal, quant à elle, lit aux étudiants suisses une lettre reçue d’une jeune femme de 22 ans détenue dans la prison d’Adra (près de Damas) après avoir été inculpée d’actes terroristes.

En attente de son jugement, la jeune détenue écrit: «Je suis une prisonnière politique. J’ai été arrêtée par la section de la police judiciaire à Adra. Puis j’ai été interrogée par le chef de la section. Ils ont utilisé pendant mon interrogatoire toutes les méthodes de torture corporelle. J’ai eu le dos brisé sur le ‘tapis volant’». Cette méthode, documentée par de nombreux témoignages, consiste à attacher la victime face contre terre sur deux planches. On soulève la deuxième planche pour faire pression sur la colonne vertébrale et on frappe à coups de bâton.

«On m’a fracturé le pied gauche et coupé les cheveux avec un couteau, écrit encore la malheureuse. On a éteint des cigarettes sur mes mains. J’ai également reçu des coups de fouet sur le dos et les mains pendant ces séances. J’ai saigné durant trois mois. J’ai perdu la vue pendant trois heures. A ce stade seulement, j’ai été transférée dans un hôpital où j’ai subi une opération gynécologique dont j’ignore encore la nature, alors que je suis vierge.»

La déchirure de l’exil

Arrêtée elle aussi à plusieurs reprises, Amal a obtenu l’asile en Suisse il y a plus d’un an. Selon elle, la plupart des femmes syriennes ont fui leur pays d’origine «pour protéger leurs enfants contre le viol, le meurtre, l’enlèvement et la détention». Et de raconter sa fuite: «Je suis partie illégalement de Syrie, séparée de ma fille unique, âgée de 20 ans, restée à Damas et qui doit supporter le poids de la sale guerre qui se déroule dans notre pays.» Et ce, alors que la Suisse n’autorise pas le regroupement familial pour des enfants de plus de 18 ans.

Amal explique que la dernière fois qu’elle a été détenue, c’était à cause de son implication dans une initiative de paix d’opposantes et de partisanes du régime syrien. Accusée de terrorisme, son espoir de paix s’est transformé en cauchemar dans la prison d’Adra. Elle s’est retrouvée derrière les barreaux avec environ 800 femmes, «les sœurs, mères ou filles de jeunes hommes qui ont dû prendre les armes pour faire face à la violence du régime».

«Nous avons connu la détention politique avant la révolution, mais après son déclenchement, l’emprisonnement est devenu effrayant, raconte-elle. Nous étions 12 femmes dans une cellule d’environ deux mètres de long et un mètre et demi de large. Nous ne pouvions ni dormir, ni nous asseoir. Il y avait parmi nous des filles de 13 ans et des grands-mères de 86 ans.»

Amal Nasr parmi les étudiants bernois. swissinfo.ch

40 ans de répression

Après les témoignages, les questions des élèves fusent: les Syriens ont-ils toujours été réprimés à ce point ou la situation a-t-elle empiré ces dernières années? Combien de Syriens sont persécutés par le régime au pouvoir? Les gens en Suisse et en Allemagne se montrent-ils amicaux à l’égard de ces rescapés de l’horreur?

«La répression est pratiquée en Syrie depuis plus de 40 ans. Il y a une école spécialisée dans la répression», répond Amal Nasr. Quant au nombre de citoyens persécutés par le régime, elle estime qu’il dépasse 60% de la population, en ajoutant que, selon ses estimations, «le nombre de personnes disparues dépasse un quart de la population.»

Quant à la gentillesse et l’amabilité des pays d’accueil, Raneem Ma’touq constate que «les gens en Europe sont en général timides.» Elle ajoute que son expérience en Allemagne a montré que «la grande majorité des gens veulent savoir ce qui se passe en Syrie parce que les médias ne couvrent pas toujours toute la réalité.»

Trois questions à Denise Graf, d’Amnesty international Suisse

swissinfo.ch: Est-ce la peur du terrorisme qui explique le manque de volonté d’accueillir en Suisse des réfugiés syriens?

Denise Graf: Je ne pense pas. Certains parlementaires avaient effectivement peur que des éléments radicaux arrivent en Suisse parmi ces réfugiés, ce qui n’est pas complètement exclu. Mais les personnes qui viennent en Suisse à travers le HCR sont soumises à un contrôle extrêmement rigoureux, y compris par notre police secrète. Ce n’est pas la voie la plus facile pour venir en Suisse.

Jusqu’à présent, les réfugiés syriens arrivent des pays de premier accueil, notamment le Liban et la Jordanie. Les autorités suisses consultent préalablement tous les dossiers qui leur sont présentés par le HCR. Elles font leurs propres recherches et interviewent les personnes concernées en leur expliquant quelle serait leur situation en Suisse.

A l’issue de cet entretien, certaines personnes acceptent les conditions et viennent. Et les réfugiés dont la Suisse accepte la demande d’asile sont considérés comme des personnes sans risques. Il y a une majorité de femmes et d’enfants parmi les 500 premiers réfugiés syriens qui sont arrivés en Suisse.

swissinfo.ch: La soif d’apprendre et les compétences intellectuelles des Syriens en général sont réputées dans le monde arabe. Est-on assez conscient de ce fait en Suisse?

DG : Malheureusement, nos autorités n’en tiennent pas suffisamment compte. Il y a énormément de Syriens avec de très bonnes formations qui sont actuellement cloisonnés dans des centres pour requérants d’asile. Ils y sont depuis une année ou deux et ne peuvent rien faire.

Ce sont des médecins, des scientifiques ou des personnes qui occupaient des positions universitaires. Ici, ces gens sont condamnés à ne rien faire et cela les rend malades. Les laisser tomber est aussi un grand manque de respect à leur égard. Ils ont des compétences dont la Suisse aurait même besoin.

swissinfo.ch: Que faire pour changer cette situation?

DG: Evidemment, il faudrait déjà qu’on arrive à renverser la décision qui a été prise l’année passée de suspendre le traitement des dossiers des Syriens. C’est une décision qui est extrêmement néfaste pour cette population et qui rend la procédure encore plus longue. D’autre part, il est aussi absolument important que les autorités cantonales octroient des permis de travail provisoires pendant la procédure d’asile, ce qui est tout à fait possible au-delà de trois mois.

Islah Bakhat, swissinfo.ch

Adaptation: Frédéric Burnand

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