Raoul Weil, ex-banquier d’UBS, face aux juges américains
Ancien chef de la gestion de fortune d’UBS, Raoul Weil se retrouve dès cette semaine devant un tribunal de Floride. Il est accusé d’avoir aidé de riches Américains à soustraire près de 20 milliards de dollars au fisc.
C’est le cadre bancaire suisse de plus haut rang à comparaître devant un tribunal américain. S’il est reconnu coupable, il risque une longue peine de prison. Contrairement à d’autres banquiers poursuivis par les Etats-Unis, Weil a choisi de contester les accusations qui pèsent sur lui plutôt que de conclure un accord avec le Département de la JusticeLien externe (DoJ).
Parmi ceux qui ont bénéficié d’un tel «traitement de faveur», Martin Liechti, ancien subordonné de Raoul Weil à UBS, est pressenti pour témoigner au procès contre son ex-patron. Martin Liechti, ancien chef de la gestion de fortune d’UBS pour les Amériques, a été arrêté aux Etats-Unis en mai 2008, puis remis à la Suisse en août de la même année.
Un ancien cadre dirigeant de la désormais défunte Neue Zürcher Bank s’est également rendu la semaine dernière aux autorités américaines pour la même raison. L’accusation a fait citer quelque 60 témoins et produit une montagne de preuves écrites, qui s’étalent sur plusieurs millions de pages.
Raul Weil semble déterminé à faire face au rouleau compresseur de la justice américaine, qui a déjà laminé des banques entières. Dans les causes ouvertes jusqu’ici par le DoJ devant les tribunaux, UBS et Credit Suisse se sont vus infliger de lourdes amendes, tandis que Wegelin a été brisée et détruite. Deux autres banques suisses ont également disparu sous le poids des enquêtes criminelles. Les investigations à long terme du DoJ ont aussi porté le coup fatal au légendaire secret bancaire suisse.
«Il se réjouit d’exercer son droit à affronter les charges dans une salle d’audience, devant un juge et un jury loyaux et impartiaux», a dit en janvier Aaraon Marcu, l’avocat de Weil, quand son client a plaidé non coupable.
Raoul Weil
Citoyen Suisse, Raoul Weil, 54 ans, a fait une brillante carrière à UBS, ayant d’abord travaillé pour la Société de banque suisse, avant la fusion. De 2002 à 2007, il a dirigé l’unité internationale de gestion de fortune de la banque. En juillet 2007, il a été promu président et chef de la direction de la gestion de fortune et de la banque d’affaires mondiales d’UBS.
En novembre 2008, il est inculpé en Floride pour son rôle présumé dans l’aide à l’évasion fiscale. Selon l’acte d’accusation, la banque aurait aidé à cacher l’identité de quelque 17’000 clients américains, qui détenaient ensemble des avoirs de l’ordre de 20 milliards de dollars sur des comptes UBS.
Weil quitte UBS et se voit déclaré en fuite par une cour de Floride en janvier 2009. En 2010, il rejoint le groupe privé Reuss, basé dans le canton de Schwytz, d’abord comme consultant, puis dès 2013 comme directeur.
Squelettes dans les placards
L’avocat Stephen Kohn, chef du National Whistleblower CenterLien externe, basé à Washington, craint qu’un accord puisse encore être passé avec Weil avant la fin du procès. Kohn, qui a défendu Bradley Birkenfeld, l’ex-banquier d’UBS devenu lanceur d’alerte, pense que les relations de Weil parmi les gens influents qui détenaient des comptes UBS pourraient le servir.
«Si on avait offert à Weil un même traitement de faveur aux mêmes conditions qu’à Martin Liechti, je suis sûr qu’il l’aurait immédiatement accepté, déclare l’avocat à swissinfo.ch. Si un arrangement survient en cours de procès, nous espérons qu’il ne se fera pas sur le dos des contribuables américains».
«Les preuves indiquent clairement que Weil est un pivot d’un système international de blanchiment d’argent issu de la fraude fiscale qui fait perdre des milliards aux Etats-Unis, poursuit l’avocat. Si Weil divulguait complètement les faits relatifs aux pratiques illégales des banques suisses, le monde entier en bénéficierait. Pas seulement les Etats-Unis, mais le monde.»
L’avocat s’est vu encourager par l’apparent durcissement des positions du DoJ depuis qu’UBS a écopé d’une amende de 780 millions de dollars en 2009. Cette année, Credit Suisse a dû payer trois fois plus, en partie parce qu’elle s’était montrée moins coopérative que sa rivale.
Les déclarations de Weil devant le tribunal de Floride seront suivies attentivement des deux côtés de l’Atlantique. S’il se défend bien, il pourrait devenir à 54 ans une sorte de héros des banques suisses, depuis si longtemps habituées à céder aux Etats-Unis, estime Zoé Baches, journaliste à la «Neue Zürcher Zeitung». «Weil pourrait devenir une figure symbolique de la place financière suisse, même s’il n’aspirait pas vraiment à ce rôle», écrit-elle dans un commentaireLien externe.
Mais il est également possible que la stratégie de défense de Weil consiste à rejeter la faute sur d’autres cadres bancaires.
Collaborateur ou espion?
Une décision prise cet été par le Ministère public de la Confédération (parquet fédéral) contre l’ancien banquier d’UBS Renzo Gadola illustre les différences entre les lois suisses et américaines lorsqu’il s’agit d’enquêtes sur l’évasion fiscale.
Comme le rapporte l’hebdomadaire dominical «Schweiz am Sonntag», le Ministère public a jugé Gadola coupable d’espionnage économique pour avoir donné des détails sur deux clients d’UBS aux enquêteurs américains.
Gadola, qui a travaillé pour UBS de 2005 à 2009, a été arrêté à Miami en 2010. Il a été relâché une année plus tard, avec une peine de prison assortie de cinq ans de sursis, après avoir coopéré avec les autorités américaines.
En juillet de cette année, le Ministère public lui a infligé une amende de 6000 francs et plus de 7000 francs de frais de justice, avec un sursis de deux ans.
Des témoins qui n’osent pas venir aux Etats-Unis
Les mois précédant le procès ont vu de nombreuses batailles juridiques autour du type de preuves qui pourraient être présentées aux audiences.
Raoul Weil a gagné une manche importante la semaine dernière, quand le président de la cour a dit qu’il accepterait d’entendre trois témoins de la défense qui déposeront de Londres, via vidéoconférence. Ces trois personnes, dont les noms n’ont pas été révélés pour l’instant, ne veulent pas se rendre aux Etats-Unis par crainte d’être arrêtées.
Les avocats de Weil voulaient que les auditions soient diffusées de Zurich en présence d’un officiel suisse chargé de veiller à ce que les témoins n’enfreignent pas les lois suisses sur le secret bancaire. Mais le juge a objecté que cela pourrait limiter les témoignages de manière intolérable et entraver le contre-interrogatoire.
Les témoins déposeront donc de Londres, non sans avoir, dit-on, reçu des garanties de la justice américaine de ne pas être inquiétés en entrant et en sortant d’Angleterre pour les besoins du procès.
Il n’en a pas été de même pour Weil, initialement mis en accusation en 2008 et déclaré début 2009 en fuite par la justice américaine. Arrêté l’an dernier lors d’un voyage d’affaires en Italie, il a ensuite été extradé vers les Etats-Unis.
Le procès devrait durer de deux à quatre semaines.
(Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez)
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