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«Il faut nous connaître avant de nous reconnaître»

Ouverture du Musée des civilisations islamiques à La Chaux-de-Fonds, 27 mai 2016. De gauche à droite: le muséologue Olivier Schinz, le président de l’Union des organisations islamiques à Neuchâtel Lotfi Hammami, le président de la Ligue des musulmans de Suisse Mansour Bin Yahya, un représentant de la communauté africaine dans le canton de Neuchâtel. zVg

Le canton de Neuchâtel vient de franchir une étape décisive en demandant la reconnaissance officielle des groupes religieux en activité dans le canton. Cette décision a été saluée par les représentants de la communauté musulmane de Neuchâtel, qui attendent la publication du projet de loi dans sa formulation définitive pour se prononcer.

Fin mai, le Conseil d’Etat de Neuchâtel a annoncé la fin de la deuxième phase de la consultation publique sur un projet de loiLien externe portant sur la reconnaissance des communautés religieuses actives dans le canton. Un avant-projet avait été validé en mars, conformément au mandat fixé par la Constitution neuchâteloise de 2000, adoptée par le peuple à plus de 76%. L’article 99 du document établit la nécessité d’élaborer un cadre juridique clair afin de permettre aux groupes religieux qui le souhaitent d’obtenir une reconnaissance officielle.

Ce que peut apporter une reconnaissance

1.   perception par le biais de l’Etat d’un impôt religieux sur une base volontaire des fidèles

2.   droit à l’exonération fiscale

3.   autorisation de dispenser un enseignement religieux dans les établissements scolaires

4.   droit de participer aux services d’aumônerie dans les prisons et les hôpitaux

5.   droits à participer aux débats sur les questions religieuses

6.   participation aux consultations organisées par le canton sur les questions liées à la sphère religieuse ou spirituelle

«Surprise générale»

Cela a été la «surprise générale» pour les musulmans du canton, selon l’expression du président de l’Union des organisations islamiques (UOI) de Neuchâtel Lotfi Hammami: «Nous ne nous attendions pas à un tel projet de loi venant d’un système laïc et séculaire tel que celui de Neuchâtel.» Les musulmans de Neuchâtel avaient d’ailleurs décidé récemment de laisser de côté la question de leur reconnaissance, considérant que la situation n’était pas mûre.

Et d’ajouter: «Nous avons étudié le projet et avons considéré qu’il s’agissait d’une loi favorable dans son ensemble.» Le président de l’UOI insiste toutefois sur la formulation «dans son ensemble», car le projet de loi contient des passages qui ont suscité l’exaspération des musulmans. En effet, ces derniers ne comprennent pas pourquoi seules les trois Eglises chrétiennes reconnues (réformée évangélique, catholique chrétienne et catholique romaine) sont en droit de bénéficier des dons et des contributions d’entreprises et de personnes morales. Pour notre interlocuteur, «cette discrimination inacceptable ne colle pas avec les traditions suisses». Raison pour laquelle il espère que le dialogue permettra de supprimer cette exception dans le texte définitif.

Conditions tangibles

Les conditions et la procédure permettant d’accéder à la reconnaissance d’une communauté religieuse sont clairement stipulées dans le projet de loi. Ainsi toute reconnaissance doit faire l’objet d’une demande de la part de la communauté. Suit une période d’instruction, durant laquelle les différentes exigences fixées par la loi sont examinées. Si les exigences sont remplies, le Conseil d’Etat transmet la demande au Grand Conseil (Parlement), qui se prononce en dernière instance.

Les exigences permettant de poser une demande s’articulent autour de quatre axes principaux: être constitué sous forme d’association, conformément au droit suisse, garantir une transparence et un fonctionnement démocratique de ses institutions, avoir une représentation réelle du groupe religieux ou de la minorité en garantissant un minimum de membres en son sein, veiller à ce que les activités menées contribuent au bien public.

Les institutions représentant les musulmans à Neuchâtel répondent-elles à ces exigences? Lotfi Hammami affirme que oui. «Nos organisations remplissent ces conditions, mis à part celles qui sont constituées en fondations et non en associations. Elles ne disposent donc pas dans leurs statuts de clause stipulant le fonctionnement démocratique vu qu’elles ne tiennent pas d’assemblées générales. Nous allons veiller à ce que ces institutions reconsidèrent leur statut juridique dans la perspective d’une demande de reconnaissance.»

Mais quid d’un texte final qui inclurait, ainsi que l’ont demandé certains, des conditions telles que la «non-discrimination à l’égard des femmes» ou encore le «respect des autres religions ou d’organisations homosexuelles»?

«Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Nous attendons le projet finalisé avant de nous prononcer. Mais nous voulons que le texte définitif résulte d’un dialogue entre les autorités et nous. Nous partageons d’ailleurs la position de plusieurs partis politiques et groupes de la société civile quant à certaines questions soulevées, dont celle de l’homosexualité», répond le représentant de l’UOI à Neuchâtel:

Relation privilégiée avec la communauté musulmane

Le gouvernement neuchâtelois a toujours su tisser des liens étroits avec les représentants des différentes minorités religieuses. Bien que la religion musulmane ne bénéficie pas d’une reconnaissance officielle, le canton veille à inviter ses représentants aux manifestations publiques, aux réunions portant sur le dialogue interreligieux ou à toute autre activité. De même, les autorités communales et cantonales répondent aux invitations et participent aux cérémonies religieuses et aux manifestations organisées par la communauté musulmane.

Dans cet esprit, le canton a appuyé trois projets de dialogues interreligieux avec le prix «bienvenue, étranger!». Depuis 1995, le prix est décerné à une personne, une association ou une entité œuvrant pour le respect des autres et la prévention contre la discrimination sur la base de la race ou la religion, encourageant ainsi l’ouverture et la tolérance.

Le dialogue entre les administrations cantonales ou communales et les minorités musulmanes à Neuchâtel a atteint un niveau avancé. Depuis 1996, un groupe de liaison avec les musulmans mène les échanges en collaboration étroite avec le gouvernement, et travaille de concert avec la Fondation cantonale pour le dialogue interreligieux, fondée en 2003.

Ces deux structures s’attèlent à remédier à l’absence de reconnaissance officielle de plus de 12 groupes chrétiens, de 9 groupes musulmans, de 4 groupes bouddhistes, d’une communauté israélite et d’un groupe Bahaï.

Cette tradition d’ouverture, guère inédite dans le canton de Neuchâtel, nourrit l’optimisme du président de l’UOI quant à la volonté du vivre ensemble et de l’intérêt public face aux tendances populistes appelant à l’exclusion et la haine de l’étranger. A cet égard, Lotfi Hammami ajoute que «ce pays est connu pour son ouverture au dialogue, sa rigueur dans l’étude des dossiers, l’enracinement de sa démocratie stable. Autant d’éléments qui nous donnent confiance dans la réussite de ce processus».

(Traduction de l’arabe: Carole Vann)

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