L’accord-cadre entre la Suisse et l’UE se hâte lentement
Berne et Bruxelles tentent de renégocier leurs relations depuis maintenant sept ans. Alors que l’affaire est close pour l’Union européenne, le débat continue en Suisse.
Le dossier de l’accord-cadre institutionnel entre la Suisse et l’Union européenne (UE) semble toujours au point mort. Les négociations auraient enfin pu reprendre après le refus par le peuple suisse de l’initiative populaire de limitation, qui visait la résiliation pure et simple des accords bilatéraux existants. À Bruxelles, on attendait avec impatience la reprise des discussions et la conclusion de l’accord-cadre. Et on reprochait alors à Berne de faire traîner les choses.
La Suisse est l’un des rares pays européens à ne pas avoir souhaité adhérer à l’UE. En 1992, le peuple helvétique a également rejeté la proposition d’adhérer à l’Espace économique européen (EEE)Lien externe, qui aurait permis à la Suisse d’accéder au marché unique européen, tout en restant hors de l’UE. Ce grand marché, qui rassemble plus de 500 millions de personnes, garantit la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux entre les États membres. Afin d’éviter d’être exclue de ce marché et donc d’être désavantagée — par exemple par l’imposition des droits de douane — au cours des 20 dernières années, la Suisse a conclu une série de traités bilatérauxLien externe avec l’UE dans un certain nombre de secteurs importants, dont le commerce, les marchés publics, les transports, la recherche et la formation.
Le marché intérieur de l’UE étant en constante évolution, Bruxelles fait déjà depuis de nombreuses années pression sur Berne pour parvenir à un accord-cadreLien externe — ou accord institutionnel — qui impliquerait une actualisation «dynamique» de certains accords bilatéraux. Dans la pratique, l’adaptation de la législation suisse à l’évolution du droit communautaire — dans les domaines couverts par l’accord-cadre — ne nécessiterait pas de nouvelles négociations et devrait se faire plus rapidement. La Suisse reprend déjà régulièrement de nombreux développements du droit européen, mais aux yeux de Bruxelles, elle le fait trop lentement.
La pandémie a sans doute redéfini les priorités et ralenti les processus. Il semblerait également que l’UE ne soit plus aussi pressée. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a salué le résultat du vote sur l’initiative de limitation et a appelé le gouvernement suisse à poursuivre les négociations sur l’accord-cadre. Mais certains affirment qu’elle ne considère pas les relations avec la Suisse comme prioritaires. En raison d’une réorganisation du personnel, le poste de négociateur en chef pour ce dossier est actuellement vacant au sein de l’UE. La négociatrice suisse, Livia Leu, devra donc faire preuve de patience.
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Quels sont les enjeux?
Un nouveau chapitre doit s’ouvrir pour normaliser les relations entre la Suisse et l’UE. Les accords bilatéraux conclus au fil des décennies fonctionnent, mais ils commencent à ressembler à un gros patchwork de traités. L’accord-cadre institutionnel est en négociation depuis 2014 et vise à poser des bases juridiques communes pour l’avenir.
La Suisse a demandé à l’UE de renégocier trois points: la protection des salaires suisses, les règles concernant les aides d’États et l’adoption des futures modifications de la directive européenne sur la citoyenneté. L’ambassadeur de l’UE en Suisse, Petros Mavromichalis, a précisé la position de Bruxelles dans plusieurs interviews après sa prise de fonction à l’automne: «Nous sommes prêts à clarifier certains points, mais pas à renégocier». Pour l’UE, les négociations se sont achevées fin 2018. Elle attend du gouvernement suisse qu’il prenne maintenant position sur d’éventuelles clarifications, ce qu’il a fait au mois de novembre sans communiquer au public.
>> Découvrez l’interview de l’ambassadeur de l’UE, Petros Mavromichalis, sur la RTS:
Qui, en Suisse, s’oppose à l’accord-cadre?
La droite a une position critique, tout particulièrement l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice). Ce parti a profité de la session d’hiver du Parlement pour remettre le débat à l’ordre du jour en déposant plusieurs interventions à ce sujet. Le député UDC Thomas Aeschi a demandé l’abandonLien externe pur et simple de l’accord-cadre. D’après lui, il s’agit d’une «nouvelle édition du traité néocolonialiste d’adhésion à l’Espace économique européen», dont la signature «serait politiquement répréhensible». Cet accord ne signifierait d’après lui rien d’autre que la «soumission» et la «reddition» de la Suisse. De nombreux parlementaires UDC ont exprimé des points de vue similaires.
Des réticences émanent également de la gauche, car les syndicats craignent un affaiblissement de la protection des salaires. Le Parti socialiste se retrouve tiraillé entre son aile syndicaliste et sa tradition pro-européenne. Plusieurs autres formations politiques souhaitent également de nouvelles négociations et ne se positionnent pas clairement sur une éventuelle signature de l’accord-cadre.
Les critiques n’ont cessé d’augmenter en Suisse avec les années. Les partis ont maintenant tendance à laisser la responsabilité au gouvernement de tenter de rouvrir les négociations et de parvenir à des concessions sur certains points.
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Quels sont les éléments qui posent le plus de problèmes?
Il existe de nombreux points critiques qui, à première vue, ont l’air de nature plutôt technique. Mais en y regardant de plus près, on se rend compte qu’il s’agit avant tout de questions de souveraineté et de prospérité.
À droite, par exemple, l’un des éléments essentiels est la reprise de la législation européenne, considérée comme condition préalable à la participation au marché unique. La Suisse applique déjà ce principe, mais le diable se cache dans les détails sémantiques: aujourd’hui, elle le fait de façon «autonome», avec l’accord-cadre elle le ferait de façon «dynamique». De plus, en cas de litige, la dernière instance deviendrait la Cour de justice de l’UE. L’UDC dénonce ce changement et craint que des «juges étrangers» n’imposent le droit européen à la Suisse.
À gauche, on a peur que le niveau élevé des revenus en Suisse ne puisse être maintenu sans protection appropriée. Les mesures d’accompagnementLien externe protègent les salariés en Suisse depuis l’ouverture du marché du travail. Ce point est particulièrement sensible, car la Confédération cherche ici à obtenir des exceptions qui vont à l’encontre des principes fondamentaux du marché intérieur européen.
Quelle est la position de l’UE?
Malgré ces craintes, ces critiques et ces discussions, les relations restent plutôt bonnes entre la Suisse et l’Union européenne. Rien ne presse pour l’instant, ni d’un côté ni de l’autre. Mais si plusieurs années devaient encore s’écouler avant la conclusion d’un accord, cette bonne entente pourrait en pâtir. L’UE a indiqué qu’elle n’avait pas l’intention de prolonger les accords bilatéraux qui arriveront à leur terme. Elle a déjà refusé de renouveler l’équivalence boursière accordée à la Suisse.
L’avenir de l’accord-cadre est encore incertain. On ne sait pas s’il sera modifié et quels seraient les éventuels changements apportés. Le ministre suisse des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, a déclaré au Parlement qu’il s’attendait à ce que le traité soit dans tous les cas soumis au peuple.
L’UE est habituellement tolérante face à la lenteur du système démocratique suisse. L’avenir dira si elle fera également preuve de patience dans le dossier de l’accord-cadre.
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