«J’ai toujours été confiant en ce qui concerne la faisabilité»
L’ouverture du tunnel de base du Gothard constitue un événement sans précédent pour la Suisse, mais aussi pour le maître d’ouvrage AlpTransit Gothard AG. Interview avec son directeur Renzo Simoni.
swissinfo.ch: Comment se sent-on en tant que chef de la société qui a bâti le nouveau tunnel de base du Gothard, et avec cela le tunnel ferroviaire le plus long du monde?
Renzo Simoni: On se sent remarquablement bien! Je me sens rempli de joie et de fierté d’avoir pu contribuer à la réussite de ce projet fascinant.
swissinfo.ch: L’inauguration officielle a lieu le 1er juin. Le tunnel sera ensuite remis aux CFF qui en seront l’exploitant. Ce moment n’est-il pas pour vous aussi accompagné d’une certaine nostalgie?
R. S. : Je pense en effet qu’après la remise du tunnel aux CFF, je serai parfois envahi d’un sentiment de nostalgie; j’ai quand même été engagé dans ce projet de façon plus ou moins intensive et dans différentes fonctions pendant les derniers 20 ans de ma vie.
swissinfo.ch: La phase de construction a duré plus de 10 ans. Quels ont été les moments les plus impressionnants pendant cette période?
R. S. : Le moment le plus fort a sans aucun doute été le percement principal le 15 octobre 2010. Beaucoup moins spectaculaire, mais tout aussi important pour nous a été le lancement de la phase de test fin septembre 2015, autorisé par l’Office fédéral des transports (OFT). Et puis il y a bien sûr eu une série de temps forts au niveau technique, comme le cintrage en acier déformable dans le massif intermédiaire du Tavetsch, où des déformations radiales de la roche jusqu’à un mètre étaient apparues et ont dû être stabilisées; ou encore des événements imprévus, comme un tunnelier bloqué. La traversée sans problème du synclinal de Piora et l’avancement record de 56 mètres en 24 heures dans le tronçon d’Erstfeld ont été autant de moments positifs. Les accidents mortels m’ont en revanche pesé. Ce genre d’événements nous rend tristes et nous font nous poser beaucoup de questions.
Plus
Tous les chiffres du Saint-Gothard
swissinfo.ch: Y-a-t-il eu des moments où vous avez douté de la faisabilité de cet ouvrage?
R. S. : J’appartiens à la catégorie des ingénieurs qui ont foi dans la faisabilité des choses, et je suis toujours resté confiant sur ce point. Les coûts et les temps de réalisation sont un autre problème à régler.
swissinfo.ch: Extérieurement, on ne voit en fait que les portails d’entrée du tunnel. Avez-vous l’impression que l’opinion publique a compris quels travaux incroyables ont été réalisés à l’intérieur, de la part des responsables du projet, des géologues, des ingénieurs et des mineurs?
R. S. : Je dois vous contredire. Les tronçons de raccordement de part et d’autre des portails, et le raccord avec la ligne CFF déjà existante ont une longueur de respectivement 5 et 8 km. Dans ces zones, on construit pour plus d’un demi-milliard de francs. Les travaux comprennent entre autre un grand nombre d’ouvrages d’ingénierie comme des ponts, des passages souterrains et des bâtiments destinés à la technique ferroviaire. A ce propos, un de mes prédécesseurs, Peter Zuber, a créé le groupe de travail pour l’aménagement, qui était responsable de l’aménagement unifié de tous les ouvrages d’ingénierie visibles le long de l’axe du Gothard. L’objectif était que l’observateur / le voyageur reconnaisse le «fil rouge» des NLFA (nouvelles liaisons ferroviaires alpines) entre Zurich et Lugano. Je suis d’avis que le résultat est exceptionnel.
swissinfo.ch: Revenons aux mineurs, un métier astreignant. Malheureusement, des personnes ont perdu la vie également lors de la construction du nouveau tunnel de base du Gothard. Des accidents ont eu lieu, comme vous l’avez-vous-même évoqué. Quel est le «bilan» de ce point de vue?
R. S. : Vous avez tout à fait raison. Malgré le multiple soutien des machines, les directives sévères de la SUVA et les mesures pour la sécurité du travail, le métier de mineur reste aujourd’hui encore très dur. Malgré toutes les mesures prises, il y a eu malheureusement 8 accidents avec au total 9 morts dans le tunnel de base du Gothard. Un monument sera érigé à la mémoire des victimes au portail nord de la galerie.
Renzo Simoni (55 ans) a grandi à Ilanz, aux Grisons. Après des études à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, il a passé son doctorat en génie civil et aménagement du territoire.
Depuis 2007, il est président directeur général d’AlpTransit Gothard AG; il a succédé à Peter Zbinden, parti à la retraite. Avant de travailler pour AlpTransit, Renzo Simoni a entre autres été membre de direction de la société Helbling Beratung + Beratung. Pendant des années, sur mandat de l’Office fédéral des transports, il a participé activement au controlling des NLFA et conseillé la direction des NLFA.
Renzo Simoni habite Meilen, dans le canton de Zurich; il est marié et père de deux filles. Il a été actif politiquement au niveau communal pour le PLR. Son grand-père paternel était italien et émigra en Suisse dans les années 1920.
swissinfo.ch: En début d’année, des voix se sont élevées pour reprocher au consortium responsable de la construction d’avoir violé des directives sur la sécurité afin d’accélérer la construction du tunnel de base du Ceneri. Qu’y-a-t-il de vrai dans ces accusations?
R. S. : J’ai bien entendu eu vent de ces reproches. Mais je l’ai déjà dit dans mon discours à l’occasion du percement principal du tunnel de base du Ceneri. Ces reproches sont selon moi de pures inventions, sans aucun fondement factuel. De telles affirmations ne sont pour moi tout simplement pas crédibles. C’est pourquoi je ne désire pas m’exprimer davantage sur ce sujet.
swissinfo.ch: Un thème important en relation avec la réalisation de gros ouvrages reste celui des finances. Le Parlement a même constitué une commission de surveillance des NLFA. Qu’en est-il de l’aspect financier?
R. S. : Le 16 septembre 2008, le Parlement a fixé le crédit global des NLFA (soit concrètement pour les tunnels de base du Gothard et du Ceneri) à 13,157 milliards de francs, sur la base des tarifs de 1998, sans taxes sur la valeur ajoutée, sans intérêts hypothécaires et sans renchérissement. Nous serons très probablement en mesure de respecter ce cadre financier.
swissinfo.ch: Pendant toutes ces années, des scandales supposés comme la livraison et l’installation de tuyaux défectueux ont fait la une des journaux. Qu’en est-il advenu?
R. S. : Vous faites allusion aux conduites de drainage en polyéthylène. Nous avons trouvé un accord avec les consortiums sur une réduction du prix. Le sujet est réglé.
swissinfo.ch: Avec le tunnel de base du Gothard, la pièce maîtresse des NLFA sera mise en service. Le tunnel de base du Ceneri ne suivra qu’en 2020. Ne trouvez-vous pas regrettable que tout l’axe du Gothard n’entre pas en fonction en même temps?
R. S. : Le tunnel de base du Ceneri sera vraisemblablement mis en service fin 2020. Il est vrai que le premier axe ferroviaire à basse altitude à travers les Alpes ne déploiera pleinement ses effets qu’à ce moment-là. Toutefois, la réalisation et l’entrée en fonction par étapes a aussi ses côtés positifs: nous pourrons profiter des expériences faites au Gothard pour le Ceneri. En outre, nous avons besoin de moins de capacités que si nous avions réalisé l’ensemble de l’ouvrage en même temps.
Plus
La percée finale
swissinfo.ch: Les NLFA, originellement conçues comme ligne ferroviaire à basse altitude d’une frontière à l’autre, restent un ouvrage décousu, même avec les tunnels de base du Gothard et du Ceneri. Les trains de marchandises devront, après 2020 encore, traverser Bellinzone ou continuer leur route après Lugano en empruntant la vieille ligne ferroviaire du Gothard. A Vezia, au portail sud du Ceneri, a été prévu un raccordement pour un possible prolongement d’AlpTransit en direction du sud. Quand celui-ci pourra-t-il être réalisé, selon vous?
R. S. : Je ne veux pas faire de spéculations. Des décisions politiques supérieures sont nécessaires à sa réalisation.
Le tunnel a tué neuf fois
Le percement du premier tunnel du Gothard avait fait officiellement 199 morts. Le nouveau aura fait quant à lui neuf victimes. Les dangers sont nombreux quand on travaille à percer un tunnel: accidents avec des véhicules ou des machines, éboulements, incendies avec fumée abondante, poussière de quartz, particules de suie de moteurs diesel, produits chimiques, souffle d’explosions, mais aussi bruit, chaleur et vibrations qui génèrent un stress et augmentent les risques d’inattention.
En comparaison avec d’autres chantiers similaires, le tunnel de base du Gothard aura pourtant eu un niveau de sécurité plutôt bon. Le Simplon avait fait 67 morts entre 1898-1905 et 1912-1921, le Lötschberg 64 en 1906-1913. Et plus récemment l’Eurotunnel 11 en 1987-1993 et le tunnel de base du Lötschberg 5 en 1999-2007.
Durant la construction, le Gothard a occupé en permanence près de 2000 personnes. Comme pour les autres chantiers, la majorité venait de l’étranger, principalement d’Italie (22%), d’Autriche (20%), d’Allemagne (20%) et du Portugal (8%). Les Suisses ne formaient que 15% des effectifs. Pour des raisons de protection de la mémoire, la société Alptransit n’a pas donné de détails sur les neuf victimes, mais les médias ont parlé d’accidents mortels avec des travailleurs d’Allemagne, d’Afrique du Sud, d’Autriche et d’Italie.
(source: Tages-Anzeiger)
(Traduction de l’allemand: Barbara Zaugg)
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.