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Comment les Suisses de Londres tentent de survivre au Brexit

Un tableau représentant Theresa May en train de se noyer dans une mer de Brexit
L'artiste politique Kaya Mar tient un tableau représentant la Première Ministre britannique Theresa May qui se noie dans une mer de Brexit, le 15 novembre 2018. Copyright 2018 The Associated Press. All rights reserved

Theresa May joue sa survie mardi lors du vote devant le parlement anglais sur l’accord de divorce avec l’Union Européenne. À moins d’un nouveau rebondissement… Dans le milieu des affaires ou dans les cercles universitaires, les Suisses de Londres voient passer le train du Brexit avec stupeur.

Olivia Tattarletti a mal encaissé le résultat du vote du 23 juin 2016 lorsque 51,9% des Britanniques ont approuvé le divorce avec l’Union européenne (UE). «Ces deux dernières années, j’ai essayé de ne pas trop y songer pour ne pas être influencée par la négativité liée au Brexit», nous confie cette Fribourgeoise depuis les bureaux de son cabinet d’avocats à Camden Town, au nord de Londres.

«Comme j’ai bénéficié moi-même de l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE, dans le domaine du droit de l’environnement [son secteur d’activités], bien sûr que le oui au Brexit était enrageant et déprimant». Alors, pour ne pas sombrer moralement, elle a décidé de ne plus trop s’immerger dans cette affaire… qui ne devait au fond regarder que les sujets de sa Majesté et les Européens.

Olivia Tattarletti
Olivia Tattarletti Olivia Tattarletti

Mais qu’en pensent en réalité les quelque 34’000 Suisses établis aujourd’hui au Royaume-Uni? En quoi le Brexit les concerne-t-ils directement? Londoniens depuis plusieurs années, deux d’entre eux se prêtent à l’analyse. Olivia Tattarletti est avocate et le Bernois double-national (suisse-anglais) Sam Fankhauser enseigne à la London School of EconomicsLien externe.

Questionnements incessants

L’avocate chassait le Brexit de sa tête mais il lui revenait obsessionnellement à l’esprit. «Je me concentrais sur mon travail, en vain», nous avoue-t-elle. Son engagement personnel: elle signe des pétitions réclamant un nouveau référendum. «Mais quoi que je fasse, la question d’un éventuel visa à réclamer – pour me permettre de continuer de travailler à Londres – pouvait se poser. Mon cabinet d’avocats était-il disposé à s’en occuper? Je n’étais pas prête à m’engager moi-même pour rester coûte que coûte sur place».

Cette Fribourgeoise de 31 ans souligne avec malice que le cerveau d’une avocate est peut-être plus habitué qu’un autre à calculer les probabilités d’un risque… quel qu’il soit. Soit. Autour d’elle, alors que ses collègues, anglais notamment, se débattent quotidiennement sur de douloureux dossiers de droits humains bafoués dans le monde, le Brexit est tombé un peu comme un cheveu sur le pudding. «Nous n’avions pas assez de temps pour encore parler de ça!».

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Alors que le Conseil fédéral a globalement soulagé le 19 décembre dernier les Suisses de Grande-Bretagne en pérennisant leur droit de séjour sur place après le Brexit via un accord avec Londres, les expatriés suisses s’interrogent tout de même avec une certaine gravité sur leur avenir. Dans le ventre de la City, là où Olivia Tattarletti a appris son métier avant de déménager à Camden, l’ambiance est plutôt morose en ce début d’année. L’insécurité règne sur le marché du travail et les offres d’emploi ne sont plus forcément légion. La situation reste bloquée et retarde d’autant les prises de décision importantes.

Fausse réalité

«Beaucoup de compagnies d’assurances, de banques et de cabinets d’affaires ont déjà mis en place des mesures pour conserver une partie de leurs activités et opérations au sein de l’Union européenne. Mais personne ne le crie sur les toits. On a l’impression par conséquent de vivre dans un statu quo permanent alors que la réalité est tout autre», relève la Fribourgeoise.

«On a l’impression de vivre dans un statu quo permanent alors que la réalité est tout autre»  Olivia Tattarletti

En connaisseuse du milieu des affaires, elle confirme que la perte de revenus engendré par les aménagements du Brexit auront un impact négatif sur le produit intérieur brut (PIB) ainsi que sur les prestations sociales du pays, sans compter des rentrées fiscales moins conséquentes.

Olivia Tattarletti lâche aussi ceci sur la psyché britannique: «Le Brexit me rappelle que la mentalité insulaire et impérialiste est toujours d’actualité ici: cette façon de dire on va s’en sortir tout seul, on l’a déjà prouvé par le passé lorsque l’empire régnait alors sur le monde». Une Angleterre passéiste se gargarisant des années victoriennes et des comptoirs.

Amateurisme

En tant que Suissesse biberonnée dès la naissance par le droit d’initiative et celui du référendum, l’avocate fribourgeoise est restée pantoise devant l’organisation «bâclée» il y a deux ans du vote sur le Brexit.

Sam Fankhauser
Sam Fankhauser Sam Fankhauser

«Cette votation a été très peu et mal préparée. Rien n’a été fait pour lui faire revêtir son importance réelle. Sans oublier que la constitution anglaise [le droit britannique en général] n’est pas écrite, les règles sur le référendum n’étaient donc pas définies». Même constat d’amateurisme chez le professeur d’origine bernoise Sam Fankhauser. «Le contraste avec la Suisse a été saisissant» sur la manière de gérer cette échéance cruciale, observe-t-il lui aussi. «Il est choquant de voir aujourd’hui la cohésion de la Grande-Bretagne et le bon sens commun se désintégrer. La moitié de l’Angleterre est déjà et sera encore davantage demain en colère et même aliénée», poursuit-il.

Selon lui, autant le gouvernement de la première ministre Theresa May, qui joue une partie importante mardi avec le vote de l’accord avec l’UE devant le parlement à Westminster, que l’opposition du Labour (gauche) incarnée par Jeremy Corbyn, n’ont aujourd’hui les compétences requises pour le job. «Il est difficile d’imaginer comment le pays va pouvoir se relever», redoute l’expert en climat.

Exode de cerveaux

«Il est choquant de voir aujourd’hui la cohésion de la Grande-Bretagne et le bon sens commun se désintégrer»  Sam Fankhauser

Dans le milieu universitaire que Sam Fankhauser fréquente, on reste majoritairement «Remain» (anti-Brexit), autant chez ses confrères anglais que parmi les enseignants expatriés. «Nous craignons tous à l’avenir des entraves dans nos quêtes de fonds, de bourses, dans les échanges entre enseignants et étudiants avec l’UE».

L’accès aux hautes écoles britanniques pourrait aussi se compliquer. «Deux collègues sont retournés récemment dans leur pays en raison du Brexit après avoir enseigné pourtant de longues années à la London School of Economics», déplore le Bernois d’origine. Sam Fankhauser, double-national depuis 13 ans, entend malgré tout rester en Grande-Bretagne. Il y a fait son nid.

Mais il craint une cascade de complications lors des futures démarches administratives pour l’octroi du permis de résident. «Les réseaux sociaux débordent d’anecdotes d’Européens frustrés par cette procédure». Les erreurs y seraient nombreuses et les cases à cocher peu adaptées dans les formulaires. «Je doute que les Suisses soient traités différemment des Européens à l’avenir ici, conclut-il, évoquant une musique d’ambiance peu agréable».

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