Victoire amère pour un ex-banquier «lanceur d’alerte»
Considéré comme un héros à l’étranger pour avoir dénoncé des pratiques d’évasion fiscale et comme un traître dans son propre pays, l’ancien cadre de la banque Julius Baer Rudolf Elmer a été condamné en appel à 14 mois de prison avec sursis. Mais contrairement au jugement de première instance, l’accusation de violation du secret bancaire n’a pas été retenue.
Rudolf Elmer, 60 ans, a été reconnu mardi coupable de menaces et de faux dans les titres. Le Tribunal cantonal de Zurich l’a condamné pour avoir menacé son ancien employeur, la banque Julius Baer, avec des courriels et des fax. La peine de 14 mois de prison est assortie d’un sursis de trois ans.
Le Ministère public voulait faire condamner Rudolf Elmer pour violation du secret bancaire pour avoir transmis des données bancaires à WikiLeaks, à des administrations fiscales et à des médias. En deuxième instance, le tribunal n’a cependant pas retenu l’accusation de violation du secret bancaire, car, au moment où il a transmis les données bancaires, Rudolf Elmer ne travaillait plus pour la banque Julius Baer, basée à Zurich. Il était alors employé d’une société aux Îles Caïmans et n’a donc pas pu violer le secret bancaire suisse, selon le tribunal zurichois.
Considéré par certains comme un lanceur d’alerte («whistleblower»), l’ex-employé de la banque Julius Baer avait remis en 2008 des données bancaires, notamment à la plate-forme Internet WikiLeaks, spécialisée dans les révélations d’affaires sensibles. Il avait également adressé une lettre falsifiée à Angela Merkel, dans laquelle il proposait à la chancelière allemande des informations sur des fraudeurs du fisc.
Question centrale pas résolue
«Et si tout ce spectacle n’avait servi à rien», se demande la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) dans son édition de mercredi, rappelant la conférence de presse de Rudolf Elmer avec le fondateur de Wikileaks Julian Assange à Londres, le film documentaire, le livre, les apparitions publiques, les interviews et une enquête pénale qui a duré plusieurs années. Le verdict du Tribunal de Zurich apparaît à première vue «comme une gifle pour le Ministère public et pour le tribunal de première instance, qui avait prononcé une condamnation plus sévère à son encontre».
Au final, seules des accusations «secondaires» ont été retenues contre l’ex-banquier de Julius Baer, qui «n’auront que très peu d’intérêt pour le reste du monde». Il est surtout regrettable aux yeux de la NZZ que ce procès n’ait pas livré de réponses sur la question centrale qui est de savoir «si la remise de données bancaires d’une telle ampleur peut être considérée comme du ‘whistleblowing’ et si de tels actes méritent une punition sévère ou au contraire une protection». De fait, ce procès n’a que très peu évoqué la problématique des lanceurs d’alerte, regrette le quotidien zurichois.
Le jugement montre également que de potentiels lanceurs d’alerte «ne peuvent pas agir en toute sécurité, même lorsqu’ils ne sont pas soumis au secret bancaire suisse», poursuit la NZZ. Rudolf Elmer n’a en effet que peu de raisons de se réjouir de ce verdict, puisqu’il a été déclaré coupable de violation de ses obligations contractuelles et qu’il devra prendre en charge une grande partie des coûts de son procès.
«Pas un chevalier blanc»
«Il peut paraître surprenant que le Tribunal cantonal de Zurich ait prononcé l’acquittement en ce qui concerne l’acte d’accusation principal», estime le Tages-Anzeiger. La justice zurichoise a considéré que Rudolf Elmer n’était à l’époque des faits plus un banquier suisse, mais «un banquier suisse déguisé». Pourtant, «elle aurait eu l’occasion de le reconnaître il y plusieurs années déjà», affirme le quotidien zurichois.
Malgré tout, Rudolf Elmer n’était pas «le chevalier blanc qui a jusqu’ici été dépeint à l’étranger», poursuit le Tages-Anzeiger. «La vengeance manifestée à l’encontre de son ancien employeur ne peut pas être justifiée», tout comme l’engagement par la banque Julius Baer de détectives privés pour suivre les faits et gestes de la famille Elmer.
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