A Verbier, on garde son calme et on continue
Une monnaie forte, des restrictions plus sévères sur les résidences secondaires, des chiffres de skieurs en baisse et des conditions de neige capricieuses: les stations suisses de sports d’hiver vivent une saison bien difficile. swissinfo.ch est allé prendre la température dans les agences immobilières de Verbier.
Il fait froid ce samedi matin de début février à Verbier. Un flot continu de voitures lourdement chargées avec les skis sur le toit se presse devant l’agence Domus, une des plus anciennes de la station.
«C’est la semaine belge», explique la directrice du bureau Carla Ladeiro. A l’intérieur, elle accueille les arrivants fatigués comme s’ils étaient de vieux amis: «Bonjour, Madame Peters, comment allez-vous? Votre chalet est prêt, comme d’habitude, voici vos forfaits pour les remontées mécaniques, un peu de confiture d’abricots du Valais et une bouteille de vin».
Verbier, station haut de gamme tentaculaire des Alpes valaisannes, est réputée pour son domaine skiable exigeant, sa vie nocturne animée et attire tout particulièrement les clientèles française, scandinave et britannique, avec des stars du showbiz et occasionnellement quelques têtes couronnées.
Aujourd’hui, le bureau attend 40 arrivées de Belgique. Comme beaucoup d’autres agences de Verbier, Domus mise largement sur la clientèle fidèle – des générations d’amateurs de sports d’hiver, spécialement des familles, qui louent le même appartement ou le même chalet depuis des années.
Mais derrière l’accueil chaleureux qu’il réserve à ses hôtes, le secteur de l’immobilier local est inquiet. Cette saison, la neige est arrivée très tard, et les stations n’ont pas réussi à faire le plein durant la période des Fêtes de fin d’année. Les réservations sont relativement bonnes pour février, mais globalement, les locations seraient en recul de 20% par rapport à 2015.
«Nous avons le sentiment que beaucoup de gens sont allés skier dans d’autres pays de la zone euro, pour bénéficier du taux de change avantageux, explique Milko Picchio, propriétaire de l’agence. Nous sommes prisonniers du franc fort».
En janvier 2015, on s’en souvient, la Banque nationale suisse avait décidé de manière inattendue d’abandonner le taux plancher d’un franc 20 pour un euro, ce qui avait brusquement rendu la Suisse nettement plus chère pour les vacanciers étrangers. Le cours est actuellement proche d’un franc 10 pour un euro.
Luxe
Stephanie Melly, directrice des locations chez Bruchez & Gaillard, une des plus grandes agences de Verbier, constate elle aussi que les temps sont durs. Il y a quelques années, les gens venaient pour les deux semaines autour de Noël, mais maintenant, c’est juste la semaine du Nouvel An».
L’agence essaye d’arranger les choses via un nouveau site internet qui propose des forfaits tout compris. Ceux qui réservent assez tôt bénéficient de 10% de réduction. Les clients reçoivent en outre des bons de réduction de 10% à faire valoir dans les boutiques et une bouteille de Fendant (vin blanc) local. Mais malgré cela, les chiffres de clientèle sont en baisse pour 2016.
«Nous avons beaucoup d’avantages, mais nous restons une station de luxe. Seuls les gens qui ont de l’argent viennent à Verbier», note la jeune directrice, en me montrant un chalet pour six personnes qu’on est en train de préparer pour l’arrivée d’une famille française avec son chien. L’hébergement sur trois étages est de haut standing, et le forfait inclut une baby-sitter, une cuisinière et un accès direct aux pistes. Mais il en coûte tout de même 22’000 francs suisses par semaine…
Verbier: il y a 50 ans, un village agricole où on parlait patois, aujourd’hui, une station branchée où on parle surtout anglais
(RTS – Couleurs locales – 18 février 2016)
«Lits froids»
L’immobilier dans les stations de ski en Suisse a la réputation d’être un des plus chers au monde, et le franc fort n’arrange rien. Mais les agents immobiliers ont encore d’autres soucis en plus du taux de change.
Le 1er janvier 2016 est entrée en vigueur la très controversée Lex Weber, loi d’application de l’initiative populaire acceptée en mars 2012, qui limite à 20% des surfaces constructibles celles dévolues aux résidences secondaires dans les communes. Ceci afin d’éviter les «lits froids», de préserver l’environnement et de promouvoir le tourisme durable.
Avec son économie très dépendante du tourisme, le Valais avait fortement résisté à l’initiative. Pour les stations qui dépassent déjà largement le taux de 20% de résidences secondaires (Verbier est à 60%), les experts prédisaient un avenir bouché, des ventes en baisse et une légère chute des prix.
Pourtant, Daniel Guinnard, directeur de l’agence immobilière du même nom, observe que malgré la Lex Weber, le marché local est «remarquablement stable». Les deux dernières années ont vu plus de chalets et d’appartements arriver sur le marché et quant aux prix, s’ils sont plus bas de 2 à 3% pour les propriétés plus anciennes, ils ont en revanche grimpé de 2 à 4% pour les résidences plus récentes.
«Quand on a commencé à parler de la Lex Weber, vers 2007, il y a eu une chute dans le nombre total de transactions. Puis les choses se sont stabilisées et dès les années 2012-2015, on a vu une légère augmentation, de 5 à 6% par année. Malgré la crise mondiale, les affaires marchent mieux que dans les années 2000-2005, restées comme une bonne période pour les ventes», explique Daniel Guinnard.
Pas le choix
Milko Picchio note lui aussi que les ventes – 50% aux Suisses et 50% aux riches Britanniques, Scandinaves et Français – ne se portent pas mal: «Nous avons connu des années plus difficiles, où nous ne vendions presque rien, mais ce n’est plus le cas. L’année dernière a aussi été très bonne». A long terme, il admet que la Lex Weber limitera les affaires, mais, «nous n’avons pas le choix».
«Est-ce que l’insécurité juridique [entourant la Lex Weber] est maintenant dissipée?, se demande Daniel Guinnard. Je ne suis pas sûr, mais il y a de nombreux cas pour lesquels je ne vois pas comment nous allons appliquer la loi. A moyen terme, la Lex Weber va faire monter les prix, vu que nous ne pouvons plus rien construire du tout. Cela va réduire l’offre, mais la demande reste stable».
Mais il est un problème peut-être plus important encore pour les agents immobiliers et les acheteurs potentiels de chalets: le recul du nombre de skieurs. Depuis la saison 2012-2013, il s’observe partout dans les bastions des sports d’hiver que sont la Suisse, l’Autriche, la France, l’Italie, les Etats-Unis et le Canada, comme le relève Laurent VanatLien externe, consultant spécialisé basé à Genève.
La tendance à long terme est inquiétante. En Suisse, les chiffresLien externe de la branche des remontées mécaniques montrent qu’entre 2003 et 2015, les stations ont enregistré une baisse de 24% du nombre des journées-skieurs, avec une baisse régulière depuis la saison 2008-2009.
Le problème est en partie dû à la démographie. Entre 2001 et 2011, le pourcentage des adultes de 20 à 29 ans en Suisse qui pratiquent le ski est tombé de 25 à 18%, selon l’Association des remontées mécaniques. Suisse Tourisme explique que dans notre société de plus en plus multiculturelle et urbaine, les parents ne skient pas et les écoles sont moins nombreuses à organiser des camps de ski pour les élèves.
«Par la passé, nous étions obligés d’aller skier. Aujourd’hui, les gens ont de multiples choix. Et skier reste cher. Une journée en famille à Verbier peut revenir à plusieurs centaines de francs», note Daniel Guinnard.
Stephanie Melly, quant à elle, est convaincue que les jeunes s’intéressent toujours aux sports d’hiver. Mais elle croit que la génération européenne du baby-boom – les parents qui paient – commence à préférer les vagues de l’océan aux bosses des pistes. «Il y a dix ans, c’était plein en avril à Pâques. Maintenant, les affaires sont beaucoup plus dures. Vers la fin de la saison, nous sommes en concurrence avec des offres vraiment incroyables des stations balnéaires», remarque-t-elle.
Lex Weber – les petits caractères
La Suisse compte approximativement 500’000 résidences secondaires. La plupart sont regroupées dans 5 des 26 cantons du pays: Berne, Grisons, Tessin, Valais et Vaud. Dans les régions touristiques, celles qui ne sont pas exploitées commercialement ne sont occupées que 30 à 40 jours par an en moyenne.
Selon les modifications législatives entrées en vigueur le 1er janvier 2016, la construction de nouvelles résidences secondaires n’est possible que jusqu’à ce que 20% des zones résidentielles d’une commune soit occupées par ce type d’habitation.
Mais il y a des exceptions. Là où la limite de 20% est déjà dépassée, on peut construire de nouveaux appartement ou de nouveaux chalets pour autant qu’ils soient inclus dans des complexes de type hôtelier durables, avec des services comme une réception.
Les résidences secondaires qui ont été construites avant l’approbation de l’initiative Weber en mars 2012 peuvent être agrandies jusqu’à 30%. Mais elles ne doivent pas être transformées en vue de créer un nouveau studio ou un nouvel appartement séparé.
Les hôtels vétustes et non rentables (de plus de 25 ans) peuvent être transformés en résidences secondaires – mais seulement sur la moitié de la surface de plancher existante. Le reste doit continuer à être exploité comme hôtel ou être converti en résidence principale. On peut également construire de nouvelles maisons à partir de vieilles granges ou de bâtiments traditionnels.
(Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez)
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