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Sanctions: les autorités helvétiques ont la conscience tranquille

Illustration: Helen James / SWI swissinfo.ch

Au Secrétariat d’État à l’économie (Seco), l’ambassadeur Erwin Bollinger réfute les critiques du G7. Selon lui, la Suisse applique les sanctions contre la Russie de manière exemplaire et agit mieux que d’autres nations à bien des égards.

swissinfo.ch: La Suisse est sévèrement critiquée au niveau international pour sa mise en œuvre des sanctions contre la Russie. La Confédération conteste ces reproches, mais a néanmoins créé de nouveaux postes de travail. Que signifient ces moyens supplémentaires pour le Seco?

Erwin Bollinger: Jusqu’à présent, nous avons pris en charge dix paquets de sanctions. Nous avons reçu plus de 8000 demandes par e-mail, plus de 10’000 appels téléphoniques, sans compter les dialogues sur les sanctions avec l’Union européenne (UE), le Royaume-Uni, les États-Unis et les interventions parlementaires. Cela représente une quantité de travail incroyable. Nos ressources se sont avérées insuffisantes l’année dernière. C’est pourquoi nous avons obtenu cinq postes temporaires supplémentaires en 2022 déjà, et maintenant cinq autres.

La critique selon laquelle la Suisse n’en fait pas assez est-elle donc fondée? Après tout, ces postes auraient pu être créés il y a un an déjà.

Avant la guerre en Ukraine, nous avions huit personnes pour la mise en œuvre de 24 régimes de sanctions. Maintenant, nous en avons un peu plus de 20. Environ deux tiers travaillent sur les sanctions contre la Russie. Il ne s’agit pas seulement de renseignements juridiques et de clarifications. Les cas où les avoirs sont bloqués représentent également des tâches. Si une entreprise appartient à une personne sanctionnée, les loyers et les salaires doivent continuer à être payés. Il faut alors une autorisation exceptionnelle du Seco pour effectuer tous ces paiements.

Votre administration compte à elle seule 800 personnes, l’ensemble de l’administration fédérale emploie plus de 40000 salariés. Dans ce contexte, quatorze collaborateurs travaillant sur les sanctions contre la Russie ne semblent pas être du luxe.

Il ne faut pas comparer des pommes et des poires. Le Seco a d’autres missions, tout aussi importantes, qui dans d’autres nations sont assumées par d’autres instances dans les ministères. Par ailleurs, il n’y a pas que le nombre de personnes, mais aussi leurs compétences. Il faut des spécialistes de la conformité. Certains pays, comme l’Angleterre, ont également du mal à trouver suffisamment de personnes compétentes.

Portrait von Erwin Bollinger
L’ambassadeur Erwin Bollinger est chef du centre de prestations Relations économiques bilatérales du Secrétariat d’État à l’économie Seco depuis le 1er juin 2018. / Merlin Photography Ltd.

Là encore, vous confirmez indirectement les accusations selon lesquelles l’autorité manque de force de frappe.

Nous voyons les choses différemment. Les moyens ont pratiquement triplé, comme dans d’autres pays. Au sein de la Commission européenne, environ 25 personnes sont chargées des sanctions. En outre, nous ne sommes pas seuls à appliquer les sanctions, nous avons le soutien de nos autorités partenaires: le Secrétariat d’État aux questions financières internationales, le Département des affaires étrangères, l’Autorité de surveillance des marchés financiers, le Ministère public de la Confédération, le Secrétariat d’État aux migrations et d’autres encore.

D’une part, ces bureaux manquent de personnel, d’autre part, d’autres autorités les aident. Une task force ne serait-elle pas plus agile? 

Une task force améliorerait-elle l’efficacité? Nous sommes d’avis que non. Cela ne ferait que changer l’étiquette. Les personnes impliquées seraient les mêmes. 

Les nouvelles sanctions préoccupent les Suisses à différents niveaux. D’énormes sommes d’argent russes se trouvent ici et une grande partie des matières premières russes sont négociées à Genève. Quel est le problème le plus important?

Dans ces deux domaines, nous devons mettre en œuvre les mesures. Il y a beaucoup de spéculations sur l’ampleur des fortunes en Suisse. Il est important de faire la distinction entre les avoirs non sanctionnés et les avoirs gelés. Nous avons été presque les premiers au monde à pouvoir donner des chiffres. Les banques ont une obligation de blocage, elles doivent bloquer les avoirs et ensuite faire une déclaration au Seco.

La place bancaire suisse a connu une grande transformation dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent. Diriez-vous que les banques helvétiques sont propres?

C’est ce que je dirais, même si je ne peux évidemment pas mettre la main au feu qu’il n’y a pas de mouton noir. Mais oui, les banques suisses sont aujourd’hui très prudentes.

Où va et où se trouve aujourd’hui l’argent des personnes sanctionnées? Aux États-Unis, dans les pays arabes, à Hong Kong, en Chine?

Les banques le savent, mais nous n’avons pas cette visibilité. Ce que je constate, c’est qu’il y a une focalisation sur les personnes et les fonds sanctionnés dans la couverture médiatique. D’autres mesures figurent dans l’ordonnance de 30 pages, telles que des interdictions de technologies et de services ou des restrictions à l’exportation de biens. Ces mesures fonctionnent bien et sont peut-être plus efficaces pour affaiblir les capacités militaires de la Russie et soutenir l’Ukraine.

Ce qui reste en Suisse, c’est le reproche de complicité. Le secteur des avocats et des fiduciaires qui tissent des réseaux financiers est peu réglementé.

Les fiduciaires et les avocats sont déjà soumis à une obligation de déclaration en cas de sanction. Seuls les soupçons de blanchiment d’argent ne sont pas soumis à une obligation de déclaration. Des efforts sont en cours pour étendre la loi à ces groupes professionnels. Il est également question d’introduire un registre des ayants droit économiques. Cela devrait aider, si cela se fait, mais ce ne sera pas une solution magique pour tous les problèmes.

La mise en œuvre des sanctions a donné lieu à des cas qui ont fait mauvaise presse à la Suisse. Le magnat des matières premières Andrey Melnichenko, qui vit à Saint-Moritz, a «renoncé à ses biens en Suisse» avant d’être sanctionné, selon les termes de ses avocats. Sa femme a ensuite bénéficié de ces avoirs. Les autorités suisses ont-elles été trompées?

C’est un mythe. Il a été sanctionné, par l’UE comme par la Suisse. Sa femme aussi, d’abord par l’UE, puis par nous. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, c’est lui qui a été sanctionné, pas elle.

L’année dernière, de nouvelles entreprises soupçonnées de contourner les sanctions, concrètement le plafonnement des prix du pétrole russe, ont vu le jour à Genève. Il s’agit de Paramount SA et de Sunrise Trade SA. Quelle est la position du Seco sur ces sociétés?

Nous connaissons ces entreprises et nous avons demandé des informations. Il est important de comprendre l’idée de l’oil-cap. Il ne s’agit pas d’une interdiction de commerce, mais d’un price-cap. L’objectif est de maintenir l’approvisionnement énergétique mondial sans que la Russie ne finance la guerre avec les bénéfices.

Un système qui invite aux abus.

L’idée vient du G7.

Pour les entreprises mentionnées, il y a des doutes quant au respect des règles du jeu et on soupçonne des propriétaires d’être russes. Comment procédez-vous dans un tel cas?

Nous disposons d’un certain nombre de possibilités, dont l’obligation de fournir des informations et l’assistance administrative, c’est-à-dire l’échange d’informations avec d’autres pays.

Les entreprises du secteur des matières premières doivent-elles leur fournir activement des informations?

Elles ont la même obligation de déclaration des actifs que les banques, par exemple, mais aucune autre obligation de déclaration. Dans l’UE, la réglementation est exactement la même. Il existe également une recommandation de l’UE sur la documentation des transactions, sans obligation légale, à laquelle nous renvoyons également.

Comment procédez-vous pour débusquer les moutons noirs?

Nous suivons les indications données par des pays partenaires ou par les médias par exemple. Ensuite, il y a un processus complexe.

Vous ne citez que des sources externes. C’est précisément ce que l’on reproche à la Suisse et au Seco, de ne faire que réagir et non d’agir.

Cela aussi, c’est un mythe. Nous suivons des indications ciblées provenant de différentes sources. D’autres pays procèdent de la même manière. Nous intervenons en fonction des risques. Cela n’a pas beaucoup de sens de vouloir vérifier toutes les communications ou, par exemple, tous les intermédiaires financiers. Personne ne le fait.

Les médias parlent avec les initiés de la branche, évaluent publiquement les informations, par exemple les routes maritimes. Le Seco ne travaille pas à ce niveau?

Nous sommes en contact avec des entreprises, nous avons des statistiques douanières et des communications qui parviennent au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent. Les intermédiaires financiers sont tenus de faire ces déclarations, y compris en cas de violation de sanctions, qui peuvent constituer une infraction préalable au blanchiment d’argent. 

Pourquoi la Suisse ne s’associe-t-elle pas à une autorité d’enquête internationale?

Nous échangeons aujourd’hui des chiffres et des documents sur une base hebdomadaire, surtout avec l’UE. Ce procédé fonctionne bien aussi avec les États-Unis. Quant à savoir si la Suisse doit aussi faire officiellement partie d’une task force internationale, c’est plutôt une question de signal politique.

L’expert américain en matière de sanctions Juan Zarate plaide en faveur d’un soupçon généralisé sur toutes les fortunes russes en tant que nouvelle norme. Une telle approche est-elle compatible avec le système juridique suisse?

Il s’agirait d’une atteinte massive aux droits fondamentaux. C’est difficilement concevable dans un État de droit. Ce sera aussi le débat lorsqu’il s’agira de confisquer éventuellement les avoirs gelés. Je ne dis pas que ça deviendrait absolument impossible pour la Suisse, mais il faudrait pour cela une base légale concertée au niveau international. Au cas par cas, les personnes concernées devraient se voir accorder le droit de se défendre juridiquement.

L’ambassadeur Erwin Bollinger est chef du centre de prestations Relations économiques bilatérales du Secrétariat d’État à l’économie Seco depuis le 1er juin 2018.

Traduit de l’allemand par Mary Vacharidis

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