Neon incarne un défi nouveau pour la place financière suisse
Elles proposent cartes de crédit et services bancaires numérisés, plus innovants, transparents et moins chers: sans même de succursales, les néo-banques prennent pied sur le marché bancaire helvétique. La zurichoise Neon s’est offert 30'000 clients en un an.
Son siège n’est pas à Paradeplatz – la fameuse place du centre de Zurich qui sert encore d’emblème au secteur bancaire suisse. C’est une rue passante de la périphérie de la ville qui abrite NeonLien externe. Pas de marbre ici, pas d’œuvres d’art ou de mobilier de luxe, seulement un vaste bureau minimaliste et fonctionnel, typique d’une start-up en pleine croissance, concentrée sur le développement d’un produit nouveau, en évolution constante.
Typiquement, la néo-banque ne requiert ni filiale ni guichets. Elle s’adresse à un public qui communique par les canaux numériques. Une clientèle en quête de systèmes rapides et simples pour gérer son argent et qui souhaite réduire ses coûts de transaction, lesquels ont explosé ces dix ou vingt dernières années dans les banques traditionnelles. Un smartphone suffit pour ouvrir un compte et pour effectuer toutes les opérations financières en ligne.
« Nous avons réalisé qu’il existait encore une lacune sur ce marché en Suisse. Nous avons donc décidé de quitter nos emplois et de créer notre propre entreprise», explique Jörg Sandrock, CEO et cofondateur de Neon. Ils s’y sont mis à quatre jeunes ex-consultants financiers pour la modeler. Après une phase de test initiale a suivi en mars 2019 le lancement officiel de leur application bancaire. En un peu plus d’un an, plus de 30’000 clients les ont suivis.
Des frais réduits à néant
L’ouverture du compte se fait en quelques minutes: le client est invité à présenter une photo d’identité officielle puis ses données sont vérifiées au moyen d’un appel vidéo ou d’une procédure d’identification numérisée autorisée par la FINMA (Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers). Il obtient ensuite une carte de débit pour ses achats en Suisse ou à l’étranger et dispose d’un compte bancaire semblable aux comptes courants habituels, qui servent à canaliser les salaires et à effectuer paiements nationaux ou transferts internationaux.
Les néo-banques du genre de Neon gagnent d’importantes parts de marché dans le secteur bancaire, car elles proposent souvent des solutions plus fonctionnelles et innovantes que les banques traditionnelles pour le trafic des paiements en ligne. Ces nouvelles venues intègrent aussi plus facilement dans leurs applications d’autres services de paiement tels que Google Pay ou Samsung Pay.
Et surtout, elles éliminent ou réduisent de manière radicale les frais frappant comptes courants, cartes de crédit/débit ou retraits à l’étranger. En plus des frais annuels de l’ordre de cinquante à cent francs pour une carte de crédit standard, la plupart des banques traditionnelles facturent entre 1,5% et 2,5% pour chaque paiement et une majoration sur le taux de change en cas d’utilisation à l’étranger. Retirer de l’argent à un distributeur automatique implique aussi des frais d’au moins dix francs par retrait le plus souvent.
Changement structurel
Une offre de services plus transparente et moins chère en matière de frais explique le succès rapide du secteur des néo-banques dans nombre de pays européens et, ces dernières années, en Suisse également. L’an dernier, la britannique Revolut a secoué le secteur bancaire suisse lorsqu’elle a annoncé compter désormais 250’000 clients en Suisse, sans quasiment dépenser le moindre centime en publicité. Entre-temps, elle a enregistré 300’000 téléchargements de son application, un chiffre à rendre jaloux de nombreux établissements helvétiques.
Le succès de ces néo-banques – aussi qualifiées de banques «mobiles», «smartphone» ou «challengers» – souligne le changement structurel en cours dans le monde bancaire. Pour de nombreux services financiers, la banque de proximité et le rapport direct entre banquier et client perdent de leur intérêt. Les achats sur Internet se sont multipliés ces dernières années et ont même explosé avec la crise du coronavirus. Des acteurs tout neufs sont apparus dans ce nouveau trafic des paiements, à commencer par les géants du web, de plus en plus intéressés par le développement des services financiers récents.
La politique monétaire des banques centrales, qui repose sur des taux d’intérêt nuls ou minimes, a drastiquement réduit les marges bénéficiaires de la banque traditionnelle – marges autrefois suffisantes pour proposer gratuitement ou à prix forfaitaires comptes et services de paiements. Depuis une vingtaine d’années, le secteur a ainsi commencé à imposer frais et commissions toujours plus élevés sur les transactions, incitant de nombreux clients à rechercher des solutions alternatives.
Une pression absente
Récemment, l’Association suisse des banquiers relevait l’importance de la numérisation des services financiers, soulignant les progrès déjà réalisés dans ce domaine par les banques suisses. Lesquelles ferment de nombreuses succursales ou alors les transforment en stricts centres de conseil. Mais jusqu’ici, l’essentiel de l’offre en ligne des institutions classiques – à commencer par les applications – ne semblent guère à même de séduire une clientèle coutumière du monde numérique. Et seul un institut traditionnel, la banque Cler, a développé une application comparable à celles des néo-banques.
Les banques suisses auraient-elles piqué du nez face à cette évolution? «Je ne pense pas qu’elles aient dormi, juge Jörg Sandrock. Mais elles se sont peut-être retrouvées quelque peu paralysées du fait de leur structure organisationnelle assez pesante. Peut-être aussi qu’il leur a manqué une forme de pression, comme cela a été le cas dans d’autres pays. En Espagne, par exemple, après la crise financière de 2008, certaines banques ont dû revoir leur stratégie pour survivre. En Angleterre, la concurrence est si forte qu’elles poussent certains instituts à chercher de nouvelles solutions.»
Les néo-banques sont encore loin de faire de l’ombre aux banques suisses traditionnelles. Les nouveaux opérateurs étrangers comme Revolut ou Transferwise sont quasiment cantonnés aux services de cartes de crédit et de versements internationaux. Des secteurs dont la rentabilité n’est en rien comparable à celle de la gestion de fortune, qui a fait la fortune de la place financière suisse. Mais les banques «challengers» commencent à susciter une certaine inquiétude du fait de leur croissance rapide sur un marché toujours plus ouvert et concurrentiel.
Partenaires pour collaborer
Un marché où les responsables de Neon sont convaincus de pouvoir faire leur place. Selon une étude publiée l’an dernier par le portail de comparaison en ligne Moneyland, la néo-banque zurichoise était la plus avantageuse face à ses concurrents étrangers et aux banques suisses traditionnelles. Le comparatif portait sur les services, fonctions, commissions, taux de change et coûts totaux de l’utilisation d’une carte de crédit.
«Par rapport aux néo-banques étrangères, nous avons aussi l’avantage de pouvoir offrir à nos clients un compte bancaire suisse qui leur permet de recevoir leur salaire et d’effectuer leurs paiements habituels via les factures QR, électroniques et ainsi de suite. Nous offrons aussi une plus grande sécurité, sachant que toutes les données bancaires restent en Suisse et que nous sommes soumis à la législation nationale qui garantit une couverture des comptes jusqu’à 100’000 francs», plaide Jörg Sandrock.
Cette start-up de la fintech n’a pas de licence bancaire, mais collabore avec l’Hypothekarbank Lenzburg, qui assure la gestion des comptes. Gestion de titres, crédits hypothécaires et autres services bancaires de ce genre sont en outre exclut de son portefeuille.
«Ce qui nous différencie d’une banque, c’est que nous ne voulons pas développer et proposer tous les produits financiers, explique le CEO de Neon. Nous préférons travailler avec des partenaires spécialisés dans les domaines que nous ne couvrons pas. Je pense que l’avenir de l’industrie bancaire se situe probablement là, car il devient de plus en plus difficile de dégager valeur ajoutée et rentabilité en développant seul une grande variété de produits.»
(Traduction de l’italien: Pierre-François Besson)
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