Suisse de l’étranger au Qatar: «Un tsunami de personnes va déferler»
14 jours avant le coup d'envoi de la Coupe du monde de football au Qatar. Comment vit-on en tant que Suisse dans un pays qui restreint la liberté d’expression et qui a été si fortement critiqué avant la Coupe du monde? Le chef de cuisine Simon Wipf raconte sa vie à Doha.
«Quand on vit ici, c’est clair: il faut respecter la culture et la religion. S’embrasser, s’enlacer, se tenir la main – tout cela n’est pas bien vu en public. Les règles sont strictes ici, mais elles l’étaient davantage auparavant. En contrepartie, le niveau de sécurité est élevé.
Tout est bien contrôlé, des caméras sont installées à chaque coin de rue. Si on fait une bêtise, si on roule trop vite par exemple, on se fait vite prendre. Non pas que cela me soit déjà arrivé. Mais j’ai déjà entendu parler de tels cas.
Je vis à Doha, la capitale du Qatar, depuis quatre ans. Cela fait plus de 19 ans que je ne vis plus en Suisse, mais je pense quand même à y retourner de temps en temps. Après mon apprentissage de cuisinier, je suis parti à la découverte du vaste monde: j’ai travaillé au Canada, aux États-Unis, en Malaisie, à Brunei, à Paris, à Hong Kong, à Istanbul, sur des bateaux de croisière, à l’aéroport. En dernier lieu, j’ai été chef de cuisine à Dubaï – dans un restaurant au 68e étage d’une tour.
J’ai dû travailler dur avant d’arriver là où je suis aujourd’hui. Ce n’est que depuis quelques années que j’ai du succès en tant que cuisinier. Tout au long de ma carrière, j’ai toujours été le seul Suisse en cuisine.
Ici, à Doha, je travaillais jusqu’à il y a quelques mois à l’hôtel Intercontinental. Mais j’ai récemment commencé un nouveau travail en tant que chef exécutif – dans un nouvel hôtel cinq étoiles qui est sur le point d’ouvrir.
Mais malheureusement, l’hôtel ne sera pas prêt avant le coup d’envoi de la Coupe du monde. Certains hôtels n’arriveront pas à ouvrir à temps. C’est pourquoi je vais aider dans la cuisine d’un autre hôtel de mon employeur pendant le tournoi. Ce seront certainement des semaines difficiles, mais je me réjouis.
Pour le secteur de la restauration, la Coupe du monde sera un grand défi, qui nécessitera une planification incroyable. Un tsunami de personnes va déferler, toutes voulant manger et boire. Durant l’été, diverses prévisions ont été établies concernant la consommation alimentaire pendant la Coupe du monde. Presque tout devra être importé – bien que l’on trouve désormais des légumes et des produits laitiers ‘made in Qatar’.
Les services de restauration dans les fans zones et les stades doivent préparer des dizaines de milliers de repas. C’est surtout la logistique qui pose un problème. Comment livrer ces quantités de nourriture? Il faudrait organiser des dizaines de camions supplémentaires. Et comment se rendre d’un point A à un point B lorsque de nombreuses rues de la ville sont fermées?
Notre hôtel a également reçu des demandes de catering, mais il a décliné. Nous avons décidé d’aménager une zone réservée aux supporters directement dans l’hôtel.
A cela s’ajoutent les frais de personnel. En ce moment, chaque hôtel de Doha a besoin de plus de collaborateurs et collaboratrices, qui ne sont pas disponibles. Nous avons engagé près de 40 cuisiniers supplémentaires, la plupart sont des stagiaires d’Indonésie.
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Heureusement, il y a eu des matchs tests. Les organisateurs ont ainsi pu tirer des enseignements. Une fois, il n’y avait plus d’eau dans le stade. Une autre fois, j’ai failli mourir de froid parce qu’ils avaient trop refroidi les sièges climatisés. Et lors du même match, j’ai dû attendre une heure et demie avant de pouvoir monter dans un bus qui m’a ramené à la maison.
Je ne peux et ne veux rien dire publiquement à propos des critiques qui entourent la Coupe du monde de football au Qatar et des conditions de vie et de travail des travailleurs migrants. Il y a certainement toujours des choses qui ne se passent pas très bien, mais je n’ai personnellement rien remarqué et je ne veux pas y être mêlé.
J’ai une bonne vie ici. Le soleil brille tous les jours et cela donne une bonne énergie. Même si pendant les mois d’été, il fait beaucoup trop chaud. La nature suisse et l’air frais me manquent alors. Chez moi, je cueillerais des champignons ou ferais du jogging.
Mais au Qatar je peux aussi m’adonner à mon hobby, le hockey sur glace. J’y ai d’ailleurs fait la connaissance de quelques Qataris. Les connaissances restent toutefois superficielles, les autochtones sont un peu réservés, mais aimables et serviables. Ils sont très intéressés par la Suisse et j’ai déjà fait quelques apparitions à la télévision qatarie.
Je ne connais pas beaucoup de Suisses à Doha. Il y a certes toujours des manifestations où l’on se rencontre, mais mon travail et mon quotidien m’empêchent souvent d’y participer.
J’irai voir les matchs de l’équipe suisse au stade. Bien que les prix soient très élevés pour venir à Doha, j’espère que les supporters suisses seront nombreux».
Depuis l’attribution de la Coupe du monde, le Qatar est confronté à de vives critiques. Certes, les conditions des travailleurs migrants se sont améliorées depuis la décision de la Fédération internationale de football (FIFA) d’organiser l’événement. Mais les critiques ne s’arrêtent pas là.
Un mois avant le coup d’envoi de la Coupe du monde de football, Amnesty International a publié un nouveau rapportLien externe (en allemand) dans lequel l’ONG exige des améliorations drastiques de la part du Qatar et de la FIFA avant même le début de la Coupe du monde. Selon Amnesty International, les abus sont loin d’être corrigés: lois homophobes, restrictions de la liberté de la presse et lacunes dans le droit du travail.
Le pays du Golfe persique compte près de 2,9 millions d’habitants, dont seulement 15% sont des Qataris. La majorité de la population est constituée de travailleurs immigrés qui n’ont pas la nationalité qatarie. Le pays a l’un des taux d’étrangers les plus élevés au monde.
Traduit de l’allemand par Emilie Ridard
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