Supraconducteurs à température ambiante: l’emballement médiatique est-il porteur d’espoir?
Les matériaux supraconducteurs à température ambiante pourraient révolutionner notre accès à l’énergie. Mais de nombreuses découvertes supposées se sont révélées fausses. Le physicien suisse Dirk van der Marel fait le point sur l’avancement des recherches. Interview.
Le conflit au cœur du film Avatar, sorti en 2009, est centré sur les montagnes flottantes de Pandora, qui recèlent d’«unobtanium», un supraconducteur à température ambiante de grande valeur.
Bien que fictif, le film dépeint la recherche par les physiciennes et physiciens d’un matériau pouvant agir comme un supraconducteur à température ambiante et qui, en théorie, fournirait une source d’énergie inépuisable.
Ce supraconducteur permettrait des percées dans les domaines de l’imagerie médicale, des trains en lévitation, des véhicules électriques et de l’informatique quantique, parmi de nombreuses autres applications.
Contrairement aux matériaux traditionnels tels que l’or ou le platine, les supraconducteurs peuvent transporter des courants électriques avec une résistance nulle, ce qui signifie qu’aucune énergie n’est perdue sous forme de chaleur. Jusqu’ici, tous les matériaux supraconducteurs identifiés par les scientifiques n’ont présenté ces propriétés qu’à des températures extrêmement froides et à des pressions très élevées. Ce qui limite considérablement leurs applications.
En juillet, l’affirmation de chercheurs coréensLien externe selon laquelle ils avaient créé un supraconducteur à température ambiante appelé LK-99 a attiré l’attention du monde entier. Le LK-99 est un matériau polycristallin composé de cuivre, de plomb, d’oxygène et de phosphore. Mais, à la mi-août, la revue Nature a annoncéLien externe que les scientifiques avaient réfuté l’hypothèse selon laquelle le LK-99 était un supraconducteur à température ambiante. Le 7 novembre dernier, Nature a également rétracté un article faisant état de la découverte d’un supraconducteur à température ambiante, après une rétractation similaire en 2022.
Dirk van der Marel, professeur émérite de physique à l’Université de Genève, a été l’un des principaux scientifiques à remettre en question les recherches à l’origine de l’article rétracté par Nature en 2022. Le physicien genevois explique comment faire la différence entre l’emballement médiatique et l’espoir dans la course à la découverte d’un supraconducteur à température ambiante.
Les découvertes les plus célèbres de l’histoire de la supraconductivité à température ambiante n’ayant pas été prouvées
Année | Autrices-teurs | Résultats |
1987 | Oguishi et al. Japon | Non confirmés |
2003 | Johan Prins, États-Unis | Non confirmés |
2012 | Scheike et al. Allemagne | Non confirmés |
2018 | Kumar et al. Inde | Données remises en question |
2020 | Dias et al. États-Unis | Rétractés |
2023 | Dias et al. États-Unis | Rétractés |
2023 | Équipe coréenne | Non confirmés |
swissinfo.ch: Pourquoi le LK-99 a-t-il fait la une des médias et suscité tant d’enthousiasme?
Dirk van der Marel: Les affirmations extraordinaires des scientifiques sud-coréens ont répondu aux attentes du public, qui souhaite une nouvelle technologie après ChatGPT.
Comment la communauté suisse des physiciennes et physiciens a-t-elle réagi à la découverte du LK-99?
Nous avons immédiatement mis en doute leur découverte dès que nous en avons entendu parler. Il y a même eu un consensus tacite dans la communauté des physiciennes et physiciens suisses pour ne pas perdre de temps à examiner les détails ou à essayer de reproduire le LK-99, malgré plusieurs tentatives dans le monde entier. Les explications théoriques des mécanismes possibles de la supraconductivité dans le LK-99 étaient incomplètes dans la publication scientifique. Je suis désolé de le dire, mais on ne peut même pas appeler cela un article.
L’équipe de recherche sud-coréenne a mis en ligne sa découverte sur le site web arXiv, qui sert de dépôt en libre accès. Or, ce n’est pas bon signe lorsqu’une prépublication qui n’a pas fait l’objet d’une évaluation par les pairs reçoit une attention aussi enthousiaste de la part de la communauté universitaire et du public. L’évaluation par les pairs est une sorte de «gardien» intellectuel: un processus très important de validation des travaux universitaires, qui élimine les articles non valides ou de mauvaise qualité. Malgré ses défauts et ses critiques, il est toujours considéré comme l’étalon-or de la crédibilité scientifique.
Supposons qu’une réelle découverte soit faite. À quoi ressemblerait notre vie avec des supraconducteurs à température ambiante?
Prenons des exemples découlant de ma vie quotidienne. Je suis venu jusqu’ici aujourd’hui avec une voiture électrique, qui est déjà très économe en énergie. Mais les supraconducteurs à température ambiante pourraient ouvrir une nouvelle ère pour les véhicules électriques, avec des temps de charge plus rapides, une plus grande autonomie, des moteurs plus puissants et la possibilité d’un changement sociétal plus large vers des transports plus propres.
Au vu de la récente augmentation importante des prix de l’énergie en Suisse, les factures d’électricité que je paie seraient moins élevées grâce à un réseau électrique plus efficace et à la réduction des pertes d’électricité dans le transport et la distribution.
En ce qui concerne mes travaux de recherche, la découverte d’un supraconducteur permettrait d’utiliser des accélérateurs de particules plus puissants et de faire progresser les expériences de fusion nucléaire.
Quels sont les principaux obstacles à surmonter pour généraliser l’utilisation des supraconducteurs à température ambiante?
Il est très important de noter que la réalisation d’un avenir prometteur dépend de notre capacité à résoudre les problèmes associés en termes de contraintes dans le domaine de l’ingénierie des matériaux ou en matière d’applicabilité.
Contrairement à l’or ou à l’argent, un matériau supraconducteur à température ambiante est extrêmement fragile. L’une des applications les plus évidentes concerne le réseau énergétique. Pour être utile, un matériau supraconducteur utilisé dans ce réseau devrait être produit en masse et capable de résister aux intempéries et à la corrosion, étant donné que la plupart des lignes de transmission se trouvent à l’air libre et sont exposées aux conditions météorologiques.
Une autre condition préalable essentielle est de savoir si le matériau supraconducteur à température ambiante peut être produit en masse de manière économique. Car nous n’allons pas fabriquer une voiture en or, n’est-ce pas? Une chose est sure, le chemin à parcourir reste encore long.
Dans la course mondiale à la découverte de matériaux présentant une supraconductivité à température ambiante, nous n’avons pas entendu parler de progrès significatifs à ce sujet en Suisse. Pourquoi?
Pour les scientifiques, être discret ne signifie pas ne rien faire. À ma connaissance, au moins trois groupes de recherche suisses travaillent au développement de matériaux supraconducteurs. Toutefois, ils ne parlent pas constamment aux médias et ne créent pas d’attentes irréalistes.
Ce qui est véritablement intéressant dans le monde scientifique, c’est de créer quelque chose de complètement différent de ce que la communauté scientifique attend.
En ce sens, la découverte la plus importante dans le domaine de la supraconductivité a été faite en Suisse. En 1986, le physicien suisse Karl Alexander Müller et son collègue du laboratoire de recherche IBM à Zurich, le physicien allemand Georg Bednorz, ont découvert pour la première fois la supraconductivité à haute température dans les céramiques. Ils ont eu une idée extrêmement originale qui allait complètement à l’encontre de la théorie établie. Ils ont créé leur propre approche théorique, formulée à leur manière, en passant systématiquement en revue différents matériaux dont personne n’estimait qu’ils pourraient un jour devenir supraconducteurs. Ce fut le début d’un développement explosif qui a vu, depuis, des centaines de laboratoires dans le monde entier travailler sur des matériaux similaires.
Texte relu et vérifié par Sabrina Weiss/Veronica DeVore, traduit de l’anglais par Zélie Schaller
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