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Swissmetal: «un combat hors du commun»

Mercredi soir, 5000 persones sont venues soutenir les grévistes. Keystone

Le député socialiste jurassien Jean-Claude Rennwald explique l'enjeu de ce combat pour toute une région et son importance symbolique pour la Suisse.

Depuis mercredi soir, la grève des ouvriers a pris une dimension extraordinaire par la solidarité qu’elle engendre au-delà des frontières régionales et politiques.

Le personnel de Swissmetal à Reconvilier, dans le Jura bernois, est en grève depuis le 25 janvier, pour la deuxième fois en un peu plus d’un an. Il s’oppose aux restructurations prévues par la direction.

Mercredi soir, la grève à «La Boillat», comme on l’appelle encore aujourd’hui dans la région, a pris une nouvelle ampleur. 5’000 personnes sont allées rejoindre les ouvriers et les cadres de l’usine dans un mouvement de solidarité.

swissinfo: Une première grève de dix jours, une seconde un peu plus d’un an après seulement, 5’000 personnes à la manifestation de soutien mercredi: on peut désormais parler d’un combat hors du commun?

Jean-Claude Rennwald: Oui, on peut clairement dire que c’est un combat hors du commun. La manifestation de mercredi l’a démontré.

Tout d’abord, on a rarement vu une telle foule dans les régions jurassiennes pour défendre une entreprise et ses employés.

Ensuite, ce n’est plus un conflit classique entre patron et employés, mais cela déborde largement dans toute une région. Du côté politique, il y avait des gens issus de tous les partis pour défendre cette entreprise, mais aussi l’ensemble du tissu industriel de la région jurassienne.

swissinfo: Autre phénomène rare, à l’interne, les cadres se sont associés aux ouvriers dans ce mouvement…

J.-C.R.: C’est un autre aspect original de ce conflit. Effectivement, ce ne sont pas seulement les salariés qui défendent leurs places de travail, mais aussi les cadres.

Cela montre bien que ce dont il est question, c’est la défense d’un site industriel extrêmement important pour la région et aussi dans son domaine, celui des alliages.

swissinfo: Quel impact la fermeture de Swissmetal pourrait-elle avoir sur la région?

J.-C.R.: Ce qu’il faut savoir à ce propos c’est qu’il y a beaucoup de petites et moyennes entreprises qui sont des sous-traitants de Swissmetal. Par ailleurs, cette usine a aussi passablement de clients, notamment dans le domaine du décolletage, dans toutes les régions de l’Arc jurassien.

Si cette entreprise devait être fermée, ce serait un drame pour ces sous-traitants, mais aussi pour beaucoup de clients qui expliquent aujourd’hui qu’ils n’ont pas vraiment de possibilités de trouver ailleurs les matières dont ils ont besoin.

Une fermeture ne menacerait donc pas seulement les 350 emplois de «La Boillat», mais certainement d’autres centaines voire des milliers d’emplois dans tout l’Arc jurassien.

swissinfo: Et c’est une région qui a déjà beaucoup perdu…

J.-C.R.: L’Arc jurassien a déjà subi la crise horlogère du milieu des années 70 et d’autres difficultés encore par la suite, notamment dans le secteur de l’industrie des machines.

En fait, l’enjeu dans cette affaire de «La Boillat» va au-delà de la défense de l’emploi, il s’agit aussi de préserver la dignité de cette région.

swissinfo: Est-ce qu’un tel mouvement, hors du commun, aurait pu être envisagé ailleurs que dans cette région qui a l’habitude des combats politiques?

J.-C.R.: C’est difficile à dire. Le Jura bernois n’est pas une région de gauchistes, mais c’est vrai qu’il y a une tradition syndicale importante.

La tradition industrielle est aussi restée très vive. Beaucoup de gens ici sont nés dans ce bain industriel et c’est aussi ce qu’ils défendent aujourd’hui: ce savoir-faire, qui est énorme et peut encore se développer à l’avenir.

swissinfo: Est-ce qu’aujourd’hui le combat de Reconvilier n’a pas pris une ampleur qui dépasse la région?

J.-C.R.: C’est clair que, depuis quelques jours, cette affaire a pris une ampleur nationale. On le voit notamment à travers l’intérêt que lui portent les médias nationaux.

Et je pense aussi que quelle que soit la tournure des événements, elle aura des répercussions au-delà de la région.

Si les employés perdent, cela pourrait peut-être encourager d’autres patrons à se comporter de la même façon. A l’inverse, si les employés parviennent à faire entendre leur voix, ça pourrait aussi consolider les rangs des salariés dans ce pays.

swissinfo: Cette lutte semble aussi avoir pris une tournure symbolique. Récemment, par exemple, le Forum social a organisé l’une de ses manifestations à Reconvilier…

J.-C.R.: La venue du Forum social montre en effet que le débat a une portée régionale, évidemment, mais aussi nationale. Et je dirais que ça va même au-delà.

D’aucuns considèrent – en bonne partie, à juste titre – que cette affaire est liée aux conséquences néfastes de la mondialisation.

Par ailleurs, de plus en plus d’entreprises du secteur industriel ne sont plus tenues par des industriels, au sens propre de ce mot, mais par des financiers qui ne voient que la rentabilité à court terme et non pas la défense de l’emploi et le maintien d’un savoir-faire à long terme.

swissinfo: Cette extraordinaire solidarité qu’on a pu observer à Reconvilier n’est-elle pas aussi liée au fait que la Suisse traverse une période d’insécurité professionnelle?

J.-C.R.: C’est sûr que les gens se sentent solidaires, surtout dans cette région où il y a beaucoup d’autres difficultés. Le groupe Vonroll ne va pas très bien. Le fabricant de couteaux suisses Wenger a été repris par Victorinox. Et on pourrait citer d’autres exemples encore.

Alors oui, les gens se disent: «si les salariés de ‘La Boillat’ se font entendre, peut-être que ça va me servir à moi aussi dans mon emploi».

Interview swissinfo, Alexandra Richard

Martin Hellweg est engagé en juin 2003 pour redresser l’entreprise surendettée.
Le 16 novembre 2004, les 400 employés, ouvriers et cadres, de Swissmetal à Reconvilier débraient pour protester contre le licenciement du directeur du site. La grève dure 10 jours.
Le 25 janvier 2006, les ouvriers de l’usine Swissmetal reprennent la grève. Ils s’opposent aux restructurations annoncées fin 2005 par la direction.

– Le Jura bernois est considéré comme le centre international de l’industrie de précision. Plusieurs entreprises de renommée mondiale y sont installées: Longines, Precimed, Tornos, Swissmetal Boillat, etc.

– Spécialisée dans les produits dérivés à base de cuivre, l’usine Boillat a été fondée en 1855 à Reconvilier. En 1986, elle a fusionné avec Dornach et Selve pour former le holding Swissmetal, dont le siège est à Berne.

– La stratégie de la nouvelle direction prévoit le transfert de la fonderie de Reconvilier à Dornach dans le canton de Soleure. Quatre-vingts licenciements sont prévus à Reconvilier.

– Appuyés par leurs cadres, les milieux politiques et toute une région, les ouvriers accusent la direction de mettre en danger un fleuron industriel.

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