«Le plus idiot serait un ultimatum de Trump à Kim»
Le dernier essai nucléaire nord-coréen a fait encore monter la tension d’un cran et nourrit les craintes d’une escalade militaire. Le politologue Dieter Ruloff a analysé la façon dont les guerres commencent. La radio-télévision suisse alémanique SRF lui a demandé comment il jugeait le danger.
SRF: Vous avez analysé les différentes formes de guerre sur la base de 165 cas réels depuis 1972. Comment les guerres commencent-elles le plus souvent?
Dieter Ruloff: Le plus fréquent, c’est l’escalade. Les parties glissent progressivement vers un conflit de plus en plus dur. L’exemple type, c’est la guerre du Vietnam. Au début, on avait là ce que l’on peut nommer une guerre non conventionnelle. Dans la lutte contre le Vietcong, les Américains n’ont d’abord envoyé que des conseillers militaires. Puis on est passé à une grande guerre conventionnelle, avec des blindés, des bombardiers. Au début, personne ne voulait cela. Les Américains se sont enfoncés dans cette guerre.
SRF: Vous décrivez aussi la «guerre limitée». Les militaires et les politiciens sont-ils conscients de toutes les conséquences quand ils lancent ainsi une guerre «limitée»?
D.R.: Souvent, les guerres limitées le restent, notamment géographiquement. C’est le cas quand les deux parties sont trop faibles pour une escalade, comme le montrent les guerres civiles en Afrique. Ou que l’on est conscient des risques des deux côtés. Mais quand une des parties n’a pas de retenue, cela devient très dangereux. Cependant, cette forme de début de conflit ne correspond pas à la situation actuelle avec la Corée du Nord.
SRF: Dans quel cas la tension avec Pyongyang pourrait-elle dégénérer en conflit nucléaire?
D.R.: Dans un cas que j’ai décrit comme une «guerre des nerfs au bord de l’abîme». Quand on commence à jouer avec le feu, dans un concours à celui qui prendra le plus de risques. Un exemple nous est donné par la deuxième guerre du Golfe en 2003. George W. Bush a posé un ultimatum à Saddam Hussein, lui donnant 48 heures pour quitter le Koweït. Mais cela n’a pas fonctionné, parce que Saddam ne calculait pas de manière rationnelle.
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SRF: Quels sont les parallèles avec aujourd’hui?
D.R.: Il y a actuellement aussi un concours à celui qui prendra le plus de risques. Kim Jong un l’a dit: nous sommes prêts, nous pouvons détruire Guam. Il prend ainsi le risque de ce que l’on nomme une frappe de décapitation de la part des Américains. Dans un tel cas, il s’agit de bombarder la tête du pouvoir. C’est à cela que s’est entraînée l’armée sud-coréenne dans ses manœuvres d’hier. Mais cela pourrait mener à une grande guerre conventionnelle, avec des milliers de morts dans la péninsule coréenne.
SRF: Le grand père de Kim, Kim Il sung a mené une guerre…
D.R.: La guerre de Corée a été déclenchée par le grand père de Kim en 1950. C’était une agression. Kim Il sung pensait qu’il pouvait conquérir le Sud. Il croyait à tort que les Américains n’interviendraient pas.
SRF: Vous avez analysé le début de 165 guerres. Quels sont les risques d’une nouvelle guerre de Corée?
D.R.: Je ne pense pas vraiment qu’il y en ait. Kim Jong un cherche la reconnaissance des Etats-Unis. Il veut l’ouverture des marchés mondiaux et pas la guerre. En outre, il veut la garantie que les Américains ne veulent pas un changement de régime, contrairement à ce qu’il s’est passé en Irak avec Saddam Hussein. On pourrait donc arriver à un accord avec la Corée du Nord. Pour ce faire, il faudrait miser sur la diplomatie secrète et engager des discussions comme l’a fait dans les années 70 Henry Kissinger, secrétaire d’Etat du président Nixon, avec la Chine communiste. A la fin, on a établi des relations diplomatiques avec la Chine. Et du côté des Etats-Unis aussi, une guerre contre la Corée du Nord serait aussi en contradiction avec le slogan «America First» de Donald Trump.
SRF: Quand la situation pourrait-elle devenir dangereuse?
D.R.: Le plus idiot, ce serait une sorte d’ultimatum de Trump à Kim, comme Bush l’avait lancé à Saddam en 2003. Ça ne fonctionnerait pas et pourrait avoir des conséquences imprévisibles. Avec un ultimatum, on donne le contrôle à l’adversaire. Et si l’on menace d’une guerre, on doit la faire, sinon, les dégâts d’image sont énormes.
(Interview: Christian Schürer)
Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez
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