«La volonté d’investir doit augmenter»
David Ruetz voulait devenir diplomate. Le Suisse a presque atteint cet objectif en devenant directeur de l’ITB de Berlin, la plus grande foire du tourisme du monde, à laquelle participent 186 pays, et qui s'ouvre ce mercredi 8 mars. La Suisse est aussi présente avec ses propres défis.
Pour les visiteurs, un jour à l’ITBLien externe s’apparente à un «tour du monde passionnant», affirme David Ruetz. Toutefois, pour le public de spécialistes du domaine, la foire rime avec travail acharné: sur les stands, les voyagistes signent des contrats, réservent des hôtels ou des billets d’avion et s’informent sur les nouvelles destinations que pourraient découvrir leurs clients.
La représentation turque à Berlin s’étend cette année sur une surface de la taille de presque deux terrains de football. Le pays déploie tous ses efforts pour regagner les touristes perdus en raison des attaques terroristes. Les pays d’Afrique du Nord, comme l’Egypte et la Tunisie, aussi ont connu un effondrement douloureux du nombre de vacanciers. «Le monde a changé. Plus aucun pays ne peut garantir une sécurité absolue», note David Ruetz. Les experts discuteront notamment à Berlin de solutions pour améliorer le sentiment de sécurité des touristes. Pour de nombreux pays, il en va de la survie du secteur le plus important de leur économie.
Portier dans un grand hôtel
A la tête de l’ITB, David Ruetz est aussi responsable de la planification parfaite de la foire et de son bon déroulement. Cela implique qu’il voyage pendant une grande partie de l’année à travers le monde pour nouer des contacts et identifier les nouveaux marchés et les tendances. La politique ne joue quasiment aucun rôle à la foire. Ici, des stands d’Etats démocratiques côtoient ceux de régimes répressifs. Même la Corée du Nord a jadis fait sa publicité à l’ITB.
Pour coordonner les besoins des 186 nations qui participent à l’exposition, David Ruetz doit faire preuve de diplomatie. Sa carrière dans le tourisme n’était pas toute tracée. Certes, lorsqu’il avait 16 ans, il a travaillé comme groom au grand hôtel Victoria Jungfrau à Interlaken. Par la suite, il a toutefois déménagé à Berlin, où il a étudié les sciences humaines et la musique. Après quelques années dans la communication d’entreprise et l’événementiel, il a rejoint l’équipe de l’ITB, en 2001. Trois ans plus tard, il a été promu au poste de directeur.
ITB Berlin, 8 au 12 mars 2017
L’ITB de Berlin est la foire la plus importante de l’industrie du voyage dans le monde. Elle vit cette année sa 51e édition. En 1966, elle avait commencé avec 9 exposants, alors qu’ils étaient 10’000 en provenance de 187 pays différents en 2016. Environ 180’000 visiteurs, dont 120’000 spécialistes, étaient venus à la dernière édition. L’ITB n’est pas seulement le marché du secteur touristique: parallèlement se déroule un congrès qui réunit les plus grands spécialistes de la branche.
Pendant l’ITB, les adversaires politiques mettent leurs différends de côté. Les stands d’Israël et de la Palestine se trouvent notamment depuis des années dans la même halle, seulement séparés par un corridor. La Russie et les Etats-Unis aussi sont côte à côte.
Le Botswana est le pays partenaire de l’ITB 2017.
«Au début, j’étais responsable du protocole. J’ai ainsi déroulé le tapis rouge au président de la Confédération», se souvient-il. A ce moment-là, il vivait déjà depuis 12 ans à Berlin, où il est resté «par amour pour une femme ou pour la ville», précise-t-il. Entre temps, le couple a eu quatre enfants, et la famille visite la Suisse au moins une fois par année. Leur camping-car y est stationné pour leur permettre de parcourir le pays.
Les hôtels suisses sont à la traîne
Le directeur de l’ITB ne met pas de côté son regard d’experts au cours de ses voyages privés. «Je ne peux pas aller dans un hôtel, sans l’évaluer intérieurement.» Il connaît évidemment bien les défis auxquels est confrontée sa patrie pour attirer des hôtes. Les prix élevés et les hivers avec peu de neige ont fait plonger les nuitées des touristes allemands de 40% entre 2007 et 2016. L’intérêt des Néerlandais et des Japonais a également chuté dans le même ordre de grandeur.
La Suisse a-t-elle seulement encore une chance sur le marché concurrentiel du tourisme? Les conditions cadre sont indiscutablement difficiles dans la branche: «Le franc fort et le changement ne peuvent pas être influencés», commente David Ruetz. Le secteur du tourisme suisse a toutefois plus de marge de manœuvre en ce qui concerne la conception et l’image de son offre.
Lorsqu’il voyage en Suisse le chef de l’IBT constate que l’aménagement des hôtels entre Bâle et le Tessin est de haute qualité mais aussi en retard sur leur temps. Alors qu’ailleurs en Europe on vend aux touristes des hôtels design aux concepts personnalisés, en Suisse les charmes du passé sont souvent rois. «Ils sont parfaitement entretenus mais ont par exemple toujours le même tapis ou la même salle de bain depuis 1970, remarque David Ruetz, c’est là que la volonté d’investir doit augmenter.» A l’ère des applications de voyage et des plateformes d’évaluation, les lacunes et les attentes non satisfaites se propagent facilement. Celui qui cherche la «swissness», la trouvera rarement dans l’hôtellerie, étant donné que le personnel de service vient souvent de l’étranger, souligne David Ruetz.
La sécurité à la place du luxe
L’époque des robinets en or est révolue, et la Suisse peut tirer son épingle du jeu. Les riches voyageurs cherchent désormais l’authenticité et le confort, ils ne cherchent plus le luxe et le faste ou une froide impartialité, analyse David Ruetz. Désormais, le luxe c’est le temps, la tranquillité et la solitude, le sentiment de sécurité dans de petites maisons individuelles avec un concept durable. La Suisse est une destination sûre et facilement atteignable, située au cœur de l’Europe. Ce sont aussi des avantages dans une période d’incertitudes politiques, où l’on préfère voyager en empruntant des moyens de transports terrestres au lieu de prendre l’avion.
Toutefois, il n’y a pas non plus de règle d’or dans le domaine du tourisme: les clients chinois apprécient encore le confort des grands hôtels de luxe traditionnels, «dans la mesure où ils ne découvrent pas la Suisse en bus sans dormir à l’hôtel», précise David Ruetz. Partout dans le monde, de nombreux hébergements cinq étoiles sont actuellement achetés par des investisseurs chinois, qui comptent sur la volonté croissante de voyager des Asiatiques. David Ruetz doute toutefois du fait que les visiteurs chinois puissent compenser l’effondrement du tourisme suisse. «Ils ne restent pas assez longtemps dans le pays pour cela.»
Pour le directeur de la foire, qui a déjà voyagé dans d’innombrables pays, visiter sa patrie est toujours quelque chose de très spécial: «Nulle part ailleurs le Rivella et l’Ovomaltine ne sont aussi bons.» L’an dernier, il est retourné au grand hôtel Victoria, où s’est éveillé son intérêt pour le tourisme. «C’est toujours magnifique mais il y a désormais incontestablement plus de Chinois qu’il y a 30 ans», dit-il en riant.
(Adaptation de l’allemand: Katy Romy)
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