Les visiteurs chinois se mettent à bouder la Suisse
Les nouveaux visas biométriques introduits en novembre dernier découragent les voyageurs chinois de se rendre en Suisse. Déjà à la peine, le secteur touristique cherche des solutions pour contourner cet écueil.
Les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS) le montrent: la composition des touristes visitant la Suisse a connu un changement structurel. Le nombre de voyageurs européens, traditionnellement les plus nombreux, a fortement baissé. A l’inverse, celui des visiteurs en provenance de Chine, des pays du Golfe et d’Asie du Sud-Est a crû ces dernières années.
Mais cet hiver, pour la première fois, la Suisse a enregistré une diminution des arrivées en provenance de Chine. L’obligation de fournir des empreintes digitales biométriques pour obtenir un visa est l’une des principales causes de ce déclin, selon Suisse Tourisme, l’organe national de promotion du tourisme.
Les autres touristes extra-européens
Les Russes: La forte dépréciation du rouble et l’instabilité qui règne dans ce pays ont provoqué une baisse des visiteurs russes. Moscou encourage en outre ses citoyens à privilégier les destinations domestiques ou asiatiques. Le nouveau visa biométrique n’a en revanche pas joué un rôle déterminant.
Les Brésiliens: Les Brésiliens n’ont pas besoin de visa Schengen mais la faiblesse de l’économie helvétique et leurs craintes face aux troubles en Europe les ont dissuadés de se rendre en Suisse. Leur nombre a toutefois augmenté légèrement (+1,4%) l’an dernier.
Les Emiratis: Les citoyens de ce pays sont exemptés de visa pour se rendre en Suisse depuis mai 2015. Les ressortissants des autres pays du Golfe doivent se rendre dans l’un des centres délivrant des visas répartis un peu partout sur leurs territoires. Ces mesures ont permis d’éviter une baisse des touristes en provenance de ces Etats, malgré l’introduction de nouvelles exigences pour obtenir un visa il y a deux ans.
Les Indiens: Tout comme les Chinois, les Indiens doivent désormais fournir leurs empreintes digitales sous forme biométrique pour obtenir un visa. De façon surprenante, cela n’a pas affecté leur nombre, qui a même crû en 2015.
(Source: André Aschwanden, responsable de la communication auprès de Suisse Tourisme)
Depuis novembre 2015, toute personne souhaitant obtenir un visa pour pénétrer dans l’espace Schengen – dont la Suisse fait partie – doit se livrer à cet exercice, ce qui implique de se rendre dans une ambassade en personne.
La peur des attentats
Le nombre de nuitées chinoises n’a pas chuté en chiffres absolus, même s’il y a eu une légère baisse en janvier, mais leur croissance a ralenti, a expliqué à swissinfo.ch Simon Bosshart, le responsable du secteur Asie-Pacifique auprès de Suisse Tourisme.
Il y a trois raisons derrière ce phénomène. La fragilité de l’économie helvétique et le ralentissement de la croissance chinoise, tout comme la faiblesse du renminbi face au franc suisse, ont découragé les voyageurs chinois de se rendre en Suisse, selon le département chinois en charge du tourisme.
De nombreux visiteurs potentiels ont également été effarouchés par les récentes attaques terroristes, ainsi que par la crise des réfugiés en Europe. Même si les effets de ces troubles temporaires ne se font en général pas sentir sur le long terme, la hausse du nombre d’attentats et leur imprévisibilité pourraient contribuer à faire baisser le nombre d’arrivées en provenance de Chine.
A cela s’ajoutent les nouvelles exigence biométriques, qui compliquent le processus d’obtention d’un visa pour certains touristes. Tous les membres de l’espace Schengen sont à la recherche d’une solution à ce problème.
Stations biométriques mobiles
La Suisse, qui ne fait pas partie de l’Union européenne, tente pour sa part de régler cette question sur le plan bilatéral. « Les touristes chinois doivent parfois traverser la moitié de leur vaste pays pour soumettre leurs empreintes digitales sous forme biométrique, a souligné Jürg Schmid, le chef de Suisse Tourisme, dans une interview à la chaîne de télévision alémanique SRF. Cela représente un obstacle supplémentaire à leur venue. »
Suisse Tourisme est en discussion avec les autorités fédérales pour simplifier le processus d’obtention des visas, par exemple en mettant sur pied des stations biométriques mobiles et en ouvrant des points de collecte temporaires pour enregistrer leurs empreintes digitales, précise Simon Bosshart.
Une autre option serait d’autoriser l’utilisation de ces données lors des demandes de visa ultérieures. Elles pourraient par exemple rester valables durant une période de cinq ans.
Comme tous les offices en charge d’attribuer des visas pour l’espace Schengen ont accès à ces données, seuls les touristes chinois qui ne se sont encore jamais rendus en Europe devraient se rendre en personne dans un consulat. A l’expiration de la période cinq ans, ils pourraient actualiser leurs donnés par courrier.
Clash culturel
Le responsable de Suisse Tourisme se montre malgré tout optimiste face à l’introduction de ces nouvelles exigences biométriques. Si les mesures énoncées ci-dessus sont mises en oeuvre, leur impact sur le tourisme sera à peu près nul, juge-t-il.
Le visa Schengen
Le 15 décembre 2008, la Suisse a rejoint l’espace Schengen et s’est mis à délivrer des visas donnant accès à cet ensemble composé de 26 pays. Le détenteur de l’un de ces sésames peut se rendre en Suisse mais aussi se déplacer librement dans tous les autres Etats de l’espace Schengen.
Les citoyens américains, canadiens, néo-zélandais, australiens, israéliens, singapouriens, des autres Etats Schengen et des pays appartenant à l’Union européenne ou à l’Association européenne de libre-échange (AELE) n’ont pas besoin de visa pour se rendre en Suisse pour autant que leur séjour n’excède pas 90 jours.
Cela n’a pas empêché l’organe de promotion du tourisme d’accroître ses dépenses en marketing et en personnel pour attirer davantage de visiteurs hivernaux, en ciblant en priorité les voyageurs domestiques et ceux provenance des pays en développement comme la Chine, l’Inde ou le Brésil.
Mais les touristes asiatiques connaissent mal la Suisse et les vacanciers en provenance de ces pays sont très différents de leurs homologues européens. Les médias helvétiques sont remplis d’histoires relatant le comportement peu civilisé de certains voyageurs chinois. Ils s’empressent toutefois de préciser que ce pays est devenu crucial pour l’industrie du tourisme suisse et les communautés locales qui en dépendent.
« La situation est intolérable »
Les visiteurs chinois sont réputés pour leur attitude grossière: ils crachent par terre, parlent trop fort et laissent tout en désordre lorsqu’ils utilisent les toilettes ou mangent dans un restaurant. Un crime de lèse-majesté aux yeux de nombreux Suisse.
« La situation est intolérableLien externe« , titrait le Blick, un quotidien alémanique, en août 2015. « Le China Town de Ebikon génère de la colèreLien externe« , renchérissait la Neue Luzerner Zeitung. « Trop bruyants, trop malpolis: la Suisse introduit des trains séparés pour les ChinoisLien externe« , constatait pour sa part Heute.
Les Suisses parviendront-ils à surmonter la relation d’amour-haine qu’ils entretiennent avec la Chine? Le tourisme représente l’un des piliers de l’économie suisse. Si le pays veut devenir un aimant pour les voyageurs chinois, il devra développer une stratégie pour résister à la volatilité des marchés et s’adapter aux envies des touristes chinois.
Moins d’Européens, plus d’Asiatiques
En 2015, les hôtels suisses ont enregistré 35,6 millions de nuitées. Parmi celles-ci, 19,6 millions ont été réservées par des visiteurs étrangers, dont 11,8 millions par des Européens. Ces trois chiffres ont chuté, respectivement, de 0,8%, 1,7% et 1,2% par rapport à l’année précédente.
Le nombre de visiteurs européens a atteint son plus bas niveau depuis 1958. Les pays les plus touchés sont l’Allemagne (-12,3% à 541’000), les Pays-Bas (/-14,4%), la France (-6,2%), l’Italie (-7,6%) et la Belgique (-9,5%). Les arrivées en provenance de Russie ont pout leur part diminué de 30,7% et celles depuis le Royaume-Uni de 1,6%.
Cette baisse a mis en péril de nombreux emplois dans le domaine du tourisme et les industries qui lui sont liées. Ce phénomène a cependant été en partie compensé par la hausse des touristes asiatiques, qui a atteint 18,6%. Leur nombre s’est élevé à plus de quatre millions en 2015, un record historique.
En 2014, plus d’un million de visiteurs chinois (hors Hong Kong) ont choisi de séjourner en Suisse. L’année suivante, leur nombre a crû de 33,3%, ce qui correspond à 344’000 nuitées supplémentaires et a porté leur total à 1,378 million. Cela en a fait le pays de provenance avec la plus forte croissance et la quatrième plus importante source de touristes pour la Suisse, après l’Allemagne, les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
Les pays du Golfe ont eux aussi enregistré une forte croissance en 2015, de l’ordre de 20,6%. Les touristes indiens et coréens (+20,5%), japonais (+10,3%), américains (+4,7%) et africains (+7,5%) ont également connu une hausse importante.
Traduit du chinois par Yi Dong
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