Trois ministres au chevet du secret bancaire
Les Grands Argentiers suisse, autrichien et luxembourgeois se retrouvent dimanche pour un «mini-sommet du secret bancaire» afin d'élaborer une stratégie commune face aux tentatives de mettre à bas cette particularité de moins en moins tolérée en ces temps de crise.
Coïncidence ou non? Mercredi, jour où les soldats du secret bancaire annonçaient leur intention de se réunir, dimanche au Luxembourg, pour mettre au point leur ligne de défense sur le secret bancaire, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, mettait ses troupes au service de la France et de l’Allemagne, fers de lance de la lutte contre les paradis fiscaux.
«Nous voulons que l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) prépare une liste des pays non coopératifs, notamment pour ce qui est de l’échange d’informations sur le plan fiscal, afin de pouvoir prendre collectivement des sanctions envers ceux qui persistent sur cette ligne», affirme José Manuel Barroso, par ailleurs «pas au courant» de la réunion de dimanche.
Une éventuelle liste noire
Hans-Rudolf Merz et le ministre des finances autrichien Josef Prölli seront reçus par leur homologue luxembourgeois, Luc Frieden, pour faire le point sur les dossiers actuellement en discussion au sein du G20, de l’OCDE et de l’Union européenne (UE) concernant les places financières internationales. «Il sera notamment question du débat sur une éventuelle liste noire de paradis fiscaux», indique le Département fédéral des finances.
Car jamais les pressions pour fendre l’armure du secret bancaire n’ont été aussi fortes en Europe. Début février, la Commission européenne a présenté un projet de directive pour abolir le secret bancaire dans l’Union en cas de soupçon d’évasion fiscale.
Il y a une semaine, plusieurs leaders européens qui siègent au G20 jouaient avec la possibilité que la Suisse soit inscrite sur la liste noire de l’OCDE.
Angela Merkel indiquait que cette éventualité dépendrait de la qualité du dialogue avec le G20: «Plus il y aura d’échanges, moins il y aura besoin de placer la Suisse sur la liste». Gordon Brown saluait l’annonce faite par Hans-Rudolf Merz de possibles «concessions» sur le secret bancaire.
«Il est temps d’agir sur la régulation de l’épargne sans cibler un pays en particulier», a déclaré le ministre suisse. Langage plus offensif pour Nicolas Sarkozy: «Il n’est pas admissible qu’on garde des paradis fiscaux. En l’état actuel des choses, la Suisse en fait partie».
Tous les moyens
La saillie du président français est à l’opposé de ses propos à peine vieux de quelques mois, lorsqu’il affirmait que la Suisse n’était pas un paradis fiscal. Mais la violente crise économique et financière est passée par là. Les Etats européens qui injectent par brouettes les milliards d’euros pour soutenir leurs économies, cherchent l’argent partout. Celui qui échappe à l’impôt doit absolument être récupéré. Par tous les moyens.
Paris et Berlin ont leur idée sur la question. A l’issue d’un conseil des ministres franco-allemands des Finances, Christine Lagarde et Peer Steinbrück ont proposé que soient dénoncées les conventions fiscales bilatérales avec les Etats qui seront sur la liste actualisée de l’OCDE.
Explication dans l’entourage de la ministre française: «Pour l’instant, seuls Monaco, Andorre et le Liechtenstein sont inscrits sur la liste. Mais cela s’est fait sur des critères purement juridiques. Ils font l’impasse sur la pratique. Une fois qu’on aura la nouvelle liste, on demandera aux pays concernés de renégocier ces conventions pour y intégrer les meilleures pratiques de l’OCDE. Comprenez, l’échange d’informations. Si on n’arrive pas à un accord, on dénoncera les conventions».
Se préparer le 14 mars
Paris et Berlin veulent proposer cette stratégie à leurs partenaires de l’Union Européenne lors d’une réunion spéciale prévue le 14 mars pour préparer leur position commune avant le Sommet du G20 début avril à Londres.
C’est dans ce cadre que se tient dimanche le mini-sommet du secret bancaire. «Nous avons beaucoup discuté au téléphone ces derniers jours. Il sera utile de se rencontrer», dit-on dans l’entourage de Luc Frieden.
La Suisse, le Luxembourg et l’Autriche ont un intérêt commun. Mais auront-ils une stratégie commune, alors que le Luxembourg semble prêt à se résigner à ce que soit instauré dans l’Union européenne un système d’échange d’informations sur de simples cas d’évasion fiscale, à condition toutefois de ne pas instaurer un processus «automatique» d’échange, mais de le limiter «à la demande»?
Fin connaisseur des arcanes de l’UE et des pensées de Merkel et de Sarkozy, Jean-Claude Juncker, Premier ministre luxembourgeois espère qu’une telle concession serait un moindre mal qui permettrait de sauvegarder une grande partie du secret bancaire. Concessions… le mot sera sans doute souvent prononcé dimanche à Luxembourg.
swissinfo, Alain Franco, Bruxelles
Avril. La question des paradis fiscaux s’annonce comme un sujet du prochain G20, à Londres le 2 avril.
Le Groupe des 20 (G20) est un forum économique, créé en 1990 après une succession de crises financières et destiné à favoriser la concertation internationale, en intégrant le principe d’un dialogue élargi tenant compte du poids économique croissant pris par un certain nombre de pays.
19 Pays + l’UE. Les membres du G20 sont représentés par les ministres des finances et les directeurs des banques centrales des 19 pays suivants: Allemagne, Afrique du Sud, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud. Etats-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie. L’Union européenne y est représentée par le Président du conseil et celui de la Banque centrale européenne.
25 mars. Après le Sénat américain, c’est au tour du parlement allemand de demander des explications à UBS. Sa commission financière veut entendre les responsables de la première banque suisse lors d’une audition sur la fiscalité le 25 mars.
Trois autres établissements sont concernés: la Deutsche Bank, la Commerzbank et la banque LGT du Liechtenstein. L’audition est prévue dans le contexte d’une proposition de loi formulée par le ministre des Finances allemand, Peer Steinbrück.
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