UBS, une hypothèque sur l’image de la Suisse
La presse suisse tire à boulets rouges contre UBS, condamnée à une amende de 1,4 milliard de francs pour avoir manipulé le fameux taux Libor. Les commentaires dénoncent une fois de plus la prise de risque insensée et les contrôles défaillants.
«Encore UBS», «Le scandale de trop», «Les péchés pas mignons d’UBS», «Affaires cyniques», «Ça suffit avec ce casino!»: les titres des journaux donnent le ton de la réprobation générale.
«Aucune autre banque suisse ne se trouve autant qu’UBS dans le collimateur de la justice et des autorités de surveillance, rappellent d’entrée le Tages-Anzeiger de Zurich et le Bund de Berne. Aide à la fraude fiscale, pertes par milliards dues à un trader fraudeur à Londres, manipulation du Libor, taux de référence d’importance mondiale… Ces scandales tuent l’image de la banque et en font une machine à détruire l’argent de ses actionnaires».
«Toutes ces affaires mettent clairement en évidence des manques effrayants dans les procédures de contrôle internes de la banque, dont la direction ne voulait rien savoir. Et c’est une constante dans toutes les affaires UBS», ajoutent les deux quotidiens.
Dans le scandale Libor, UBS devra verser près de 1,4 milliard de francs. Soit 1,1 milliard aux autorités américaines et près de 238 millions à l’instance britannique de surveillance des marchés. En Suisse, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA), faute de pouvoir prononcer des amendes, a confisqué 59 millions de francs, qui iront aux caisses de la Confédération.
Entre 2006 et 2010, des collaborateurs d’UBS ont manipulé des taux de référence, en vue de profiter des positions de négoce. Certains ont agi en connivence avec les employés d’autres banques ou des courtiers. En outre, en 2007 et 2008, en pleine crise financière, des cadres d’UBS ont donné des instructions faussées aux soumissionnaires des taux d’intérêt afin d’améliorer la perception de la solvabilité d’UBS.
En conséquence, le numéro un bancaire helvétique a annoncé mercredi s’attendre à une perte nette de 2 à 2,5 milliards de francs au quatrième trimestre 2012. Le patron d’UBS, Sergio Ermotti a précisé que suite aux mesures disciplinaires internes, quelque 30 à 40 collaborateurs quitteront la banque.
Marre!
«Connerie», «péché mortel», «scandale» écrit le tabloïd romand Le Matin, rapportant des paroles de députés fédéraux qui «après avoir sauvé la banque en 2008, n’en peuvent plus des déboires judiciaires et financiers d’UBS».
«A chaque fois qu’UBS glisse dans le caniveau, c’est l’image de la Suisse et sa crédibilité qui sont ternies, rappelle le quotidien. Et nos voisins français en profitent pour dérouler leur litanie de ‘nous pauvres, vous riches’. Et nos voisins allemands pour acheter des CD de données bancaires».
Pour Le Matin, «les mondes financier et politique devraient aussi se poser quelques questions: jusqu’où la farce peut-elle aller? Quel est le point de non-retour? UBS a-t-elle encore un impact positif pour l’économie? »
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Guère plus tendre, le tabloïd alémanique Blick en a lui aussi marre de ce «casino». Et rappelle que, contrairement à l’affaire du trader Adoboli, celle-ci implique «des douzaines de collaborateurs, dont les bonus pouvaient atteindre 200 à 500% de leur salaire fixe».
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«UBS, sauvée par l’Etat au début de la crise financière, va encore afficher des pertes par millions cette année, poursuit le journal. Elle ne payera aucun impôt sur le bénéfice, licenciera des collaborateurs et chargera ainsi le système social. Ça ne peut plus continuer ainsi».
«D’autant que d’autres squelettes ne vont pas manquer de sortir des placards de la banque. Alors, si UBS veut vraiment prouver qu’elle est sortie du casino, il faudra plus que de belles paroles. La direction doit instaurer la tolérance zéro et commencer par montrer l’exemple. Ce n’est qu’à ce prix que le changement de culture radical dont la banque a urgemment besoin sera possible», conclut le Blick.
Cynisme
Pour la Basler Zeitung, le rôle d’UBS dans ce scandale du Libor «donne une image impressionnante du cynisme avec lequel la banque a conduit ses affaires jusqu’à l’éclatement de la crise financière et par la suite». Et le quotidien bâlois juge «difficile à avaler que seule une poignée de traders aient à répondre d’un cynisme à une telle échelle».
Sur cette question de la responsabilité des plus hautes sphères de l’entreprise, La Liberté donne la parole à l’Association suisse des employés de banque, qui dénonce les 30 à 40 licenciements annoncés et se dit «outrée de voir la direction essuyer le couteau du crime sur le costume de ses salariés». «C’est un petit peu facile de mettre en place un système à produire des catastrophes, puis de remettre la faute sur les employés qu’on a incités à prendre des risques, à frauder», déclare au quotidien fribourgeois Christophe Schwaab, président romand du syndicat.
Et quels risques, quelles fraudes! Comme le rappelle la Neue Luzerner Zeitung, «manipuler le Libor, c’est manipuler les fondements même du système financier. D’un point de vue moral, c’est pire que quand un seul trader joue plus de 2 milliards. Parce que le Libor détermine la valeur des prêts hypothécaires, des crédits et des obligations. Les banquiers qui ont falsifié ce taux ont triché avec les propriétaires détenteurs d’une hypothèque alignée sur le Libor. Et rien qu’aux Etats-Unis, ils sont près de 900’000».
«Capitaine Chaos»
Pour le Sankt-Galler Tagblatt, la cause est entendue: «ces affaires montrent à quel point l’énergie criminelle de quelques banquiers est élevée et les contrôles défaillants. Tout une partie d’une branche est malade, la culture d’entreprise n’y est qu’un manque de culture et le fait d’y récompenser les soi-disant meilleurs talents avec des bonus ne fait que donner les fausses incitations».
Et pour rendre la chose un peu plus concrète, 24 heures cite quelques extraits du dossier compilé par la Financial Services Authority, le régulateur de la City de Londres. Par exemple: «Si tu maintiens le 6 mois [le taux à six mois du Libor japonais] inchangé aujourd’hui, je fais un p… de deal monstrueux avec toi! Si tu le fais, je te paie 50’000, 100’000 dollars, ce que tu veux, je suis ton homme».
«Dans ce dossier, qui montre comment UBS – parmi d’autres banques – corrompait des courtiers par dizaines, on apprend les petits noms que se donnaient ces cracks de la finance, qui s’essuyaient chaque jour ouvrable les pieds sur la déontologie de leur profession pour faire gonfler leurs gains personnels: ‘Les Trois Mousquetaires’, ‘Superman’ ou encore ‘Capitaine Chaos’», relève le quotidien vaudois.
Et de s’interroger: «Combien de temps encore ‘Capitaine Chaos’ et ses tristes camarades vont-ils pouvoir sévir et enfoncer dans la fange la maison mère de leur groupe, ses employés honnêtes, et avec eux toute la place financière suisse? A l’image de Wegelin, UBS Suisse ferait peut-être bien de couper le cordon, et de changer de nom».
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