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Une arrestation qui fait trembler les banquiers suisses

Les nuages noirs s'amoncellent sur les employés de banque suisses. Keystone

Les banquiers suisses qui ont participé des années durant au juteux marché de l’évasion fiscale aux Etats-Unis n’auront de répit nulle part hors de leur pays. C’est le message fort délivré par l’arrestation le week-end dernier en Italie de Raoul Weil, ancien chef de la gestion de fortune d’UBS.

Raoul Weil fait figure de «gros poisson» dans le cercle des banquiers et des avocats helvétiques inculpés par les tribunaux américains. Selon l’acte d’accusation publié en novembre 2008, l’ancien numéro 3 d’UBS aurait aidé, avec d’autres banquiers non identifiés, quelque 20’000 Américains fortunés à dissimuler environ 20 milliards de dollars au fisc américain.

A la suite de cette arrestation, d’aucuns craignent que la liste des banquiers helvétiques faisant l’objet de poursuites ne s’allonge encore. Et ceci en dépit d’un accord intervenu au mois d’août entre la Suisse et les Etats-Unis pour résoudre le conflit fiscal qui empoisonne les relations entre la Suisse et les Etats-Unis.

Conclu après des mois d’âpres négociations, l’arrangement autorise les banques suisses à livrer un grand nombre d’informations au fisc américain. Ces données incluent les noms des employés de banque en contact avec la clientèle étatsunienne ainsi que les noms d’autres banques auxquelles ces clients ont transféré leurs avoirs.

La police italienne a annoncé dimanche 20 octobre avoir arrêté à Bologne l’ancien chef de la gestion de fortune d’UBS, Raoul Weil. La justice américaine l’accuse d’avoir organisé une fraude fiscale de 20 milliards de dollars et réclame son extradition.

Raoul Weil, basé à Zurich, était directeur de la division Global Wealth Management & Business Banking et membre de la direction générale de la grande banque. Selon les accusations américaines, il aurait donné instruction à des responsables suisses de la banque d’accroître les activités du département étranger, en sachant que cela violait la législation américaine.

A la suite de la publication de l’acte d’accusation en 2008, Raoul Weil avait décidé de renoncer temporairement aux fonctions qu’il occupait depuis 2007. La banque suisse s’est séparée de lui en avril 2009. Il s’est soustrait à la justice et a été déclaré fugitif.

Les limiers italiens ont trouvé sa trace alors qu’il venait de prendre une chambre dans un grand hôtel de Bologne. Comme Raoul Weil fait l’objet d’un mandat d’arrêt international, il a été automatiquement signalé à la police, ont indiqué les enquêteurs transalpins.

Raoul Weil, aujourd’hui âgé de 54 ans, a toujours nié les accusations portées contre lui, les jugeant «totalement injustifiées et dénuées de tout fondement factuel». En 2009, après la conclusion de l’accord entre la Suisse et les Etats-Unis, son avocat avait affirmé que l’ancien banquier «est une innocente victime d’une dispute politique entre la Suisse et les Etats-Unis concernant la confidentialité des données de clients au sens de la loi suisse».

Source: ATS

Meilleure protection exigée

Plus révélateur encore, les Etats-Unis n’ont pas satisfait la demande suisse de préserver l’immunité des personnes citées dans ces fichiers. Peter-René Wyder, de l’Association suisse des employés de banque (ASEB), estime que la position des banquiers impliqués dans des relations d’affaire avec les Etats-Unis pourrait devenir de plus en plus inconfortable.

«Environ 25 personnes sont probablement déjà inculpées par les autorités américaines. Nous ne savons pas combien vont encore s’ajouter à cette liste. Mais il s’agit d’une situation très fâcheuse car il n’existe aucune immunité contre ces poursuites», a-t-il déclaré à la chaîne de télévision publique SRF.

Peter-René Wyder a également indiqué «que les personnes occupant des postes avec un certain niveau de responsabilité et celles figurant sur les listes transmises aux autorités américaines devront réévaluer leur situation, et, dans le pire des cas, ne plus quitter la Suisse». La Suisse va peut-être se transformer en «prison dorée» pour tous les banquiers ayant eu affaire à des clients américains et risquant des poursuites aux Etats-Unis, écrit ainsi le Tages-Anzeiger de Zurich.

Le Groupement suisse des conseils en gestion indépendants (GSCGI) a accusé pour sa part le gouvernement suisse d’avoir cédé aux intimidations américaines en acceptant l’accord du mois d’août. Il demande dès lors avec insistance une meilleure protection juridique pour ses membres.

La tactique de la peur

L’avocat genevois Douglas Hornung, qui représente des employés de banque refusant que leur nom soit transmis aux autorités américaines, affirme qu’il est impossible de savoir quel ligne les procureurs américains vont tracer au moment de cibler des individus pour leur participation supposée à des pratiques d’évasion fiscale.

«Les Etats-Unis veulent donner une grande leçon à tout le monde et ils utilisent pour cela la tactique de la peur. Certes, de simples secrétaires ne seront certainement pas inquiétées, mais les Etats-Unis ont démontré qu’ils étaient déterminés à poursuivre leur chasse aux acteurs plus importants».

Pour Douglas Hornung, ce ne sont pas uniquement les cadres chargés de mettre en place la politique de gestion de fortune de leur banque qui pourraient être concernés, «mais également les personnes qui géraient les comptes». Par crainte d’une arrestation, les banques suisses conseillent depuis plusieurs années à leurs collaborateurs et à leurs ex-employés qui sont en relation avec des clients étatsuniens de ne plus voyager aux Etats-Unis.

Si Raoul Weil était extradé vers les Etats-Unis, il pourrait choisir de vendre la mèche sur les activités passées d’UBS afin de réduire sa sanction, estime Douglas Hornung. C’est en tout cas la voie choisie par plusieurs autres dirigeants de banques suisses arrêtés précédemment Outre-Atlantique.

L’ancien banquier d’UBS Bradley Birkenfeld a été le premier à dénoncer les pratiques illégales de la banque aux Etats-Unis. En 2009, UBS a été contrainte de payer une amende de 780 millions de dollars et à fournir des informations détaillés sur ses clients étatsuniens.

En 2008, le banquier d’UBS Martin Liechti a été arrêté en Floride et placé aux arrêts domiciliaires jusqu’à son témoignage contre la banque. Il a ensuite été relâché et autorisé à retourner en Suisse.

Les aveux de Martin Liechti ont certainement conduit à l’acte d’accusation contre son patron Raoul Weil, publié en novembre 2008. Raoul Weil risque cinq ans de prison s’il est extradé puis déclaré coupable.  

Un employé d’UBS, Renzo Gadola, a été condamné à une peine de cinq ans de prison avec sursis en 2011 après avoir coopéré avec les Etats-Unis.

Christos Bagios, un autre banquier d’UBS, qui a par la suite rejoint le Credit Suisse, a également bénéficié de la clémence des juges US en 2012 après une coopération similaire.

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Qui sera le prochain?

A l’instar de la Neue Zürcher Zeitung, quotidien proche des milieux d’affaires, les médias suisses se demandent dans quelle mesure de possibles aveux de Raoul Weil pourraient avoir une répercussion sur les hauts dirigeants d’UBS de l’époque. En sa qualité d’ex-chef de la gestion de fortune de la première banque helvétique, Raoul Weil pourrait devoir rendre des comptes à la fois pour avoir formulé la politique de la banque et pour l’avoir implémentée sur le terrain. Les hauts dirigeants d’UBS actifs à l’époque ont toujours nié avoir eu connaissance des détails des activités transfrontalières menées aux Etats-Unis.

Les médias suisses soulignent que l’acte d’accusation à l’encontre de Raoul Weil fait suite au témoignage d’un employé subalterne de la banque, Martin Liechti, qui a été arrêté en 2008 en Floride. «Durant des décennies, pratiquement toute la Suisse était au courant que la gestion d’avoirs non déclarés faisait partie intégrante du modèle d’affaire des banques indigènes», écrit l’éditorialiste de la NZZ.

«La simple acceptation d’argent non déclaré n’est toujours pas illégale en Suisse, et n’est même pas considérée comme un crime dans de nombreux autres pays. Mais une fois que des mesures spéciales de dissimulation sont mises en place, le tableau commence à changer», ajoute la NZZ. Le quotidien zurichois lance également une pique à l’encontre des autorités suisses, qui ont longtemps fermé un œil sur ces pratiques généralisées en matière d’évasion fiscale.

Deux banques ont déjà fermé

Deux petites banques helvétiques ont déjà payé le prix fort pour leurs agissements Outre-Atlantique. La semaine dernière, la banque Frey annonçait ainsi la fin de ses activités. La banque Wegelin a quant à elle été contrainte de fermer définitivement ses portes au début de l’année.

Mais alors que les partenaires de Wegelin ont déjà fait le voyage aux Etats-Unis pour se voir infliger leur sentence, les dirigeants de la banque Frey ne se sont pas encore présentés devant les juges. On estime que 13 banques suisses ou filiales de banques ayant des activités en Suisse font actuellement l’objet d’enquêtes pour fraude fiscale de la part du fisc américain.

Le mois dernier, la banque privée Rahn & Bodmer déclarait faire également partie de la liste, mais il n’existe à l’heure actuelle aucune indication sur des accusations formelles portées contre la banque ou des particuliers.

(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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