«Une revendication profondément libérale, et non pas de gauche»
Soulager la classe moyenne, renforcer l’AVS et créer une plus grande équité: c’est ce que vise la réforme de la fiscalité successorale. Hans Kissling, membre du comité d’initiative, s’engage en première ligne pour cette réforme, car la Suisse «a perdu le sens de la mesure».
Partout en Suisse, ces dernières années, le capital a bénéficié d’allégements fiscaux, par exemple grâce à des baisses de l’impôt sur le capital et des droits de mutation, ou d’une imposition allégée des revenus de capitaux. En ont profité surtout les grands groupes et ceux qui possèdent des capitaux importants. Les grosses fortunes sont devenues toujours plus grosses. Aujourd’hui, les plus riches du pays possèdent 10’000 fois plus que 90% de tous les contribuables.
Point de vue
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Selon l’initiative, la somme des héritages et legs serait taxée à hauteur de 20% à partir de 2 millions de francs. Les donations jusqu’à 20’000 francs par an et par donataire seraient exonérées de l’impôt. Les partis du PEV, PS, des Verts et du PCS, de même que l’Union syndicale suisse (USS) et l’organisation chrétienne ChristNet sont à l’origine de cette initiative.
L’initiative ne crée pas de nouvel impôt, c’est une réforme de la fiscalité. Il y a un besoin urgent de réviser l’imposition des successions. Les 26 ordonnances cantonales existantes sont comme des débris d’une concurrence fiscale désastreuse. Alors que presque partout, les descendants ne doivent plus payer d’impôts même en cas de très gros héritages, les héritiers éloignés ou non-parents se voient enlever jusqu’à la moitié de leur héritage par le biais des taxes. Avec l’initiative, l’imposition des successions serait réglée selon des critères clairs et limitée aux gros héritages.
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2 milliards pour l’AVS
Un tiers des recettes fiscales iraient aux cantons pour compenser le manque à gagner qu’entraînerait la suppression des impôts cantonaux. Deux tiers alimenteraient le fonds de l’AVS, ce qui constituerait un renforcement bienvenu de cette importante assurance sociale.
L’AVS a besoin de moyens supplémentaires en raison de l’évolution démographique. Grâce à l’impôt sur les successions, on pourra renoncer, jusqu’en 2021, à une hausse des cotisations des salariés et des employeurs, ou de la taxe sur la valeur ajoutée. Cela permet de réduire les coûts de la main-d’œuvre ou de renforcer la masse salariale à disposition. L’impôt sur les successions n’augmente donc pas la quote-part de l’Etat.
L’initiative n’amène pas de nouvel impôt, mais une réforme de la fiscalité. De tous temps, la plupart des cantons ont prélevé une taxe sur les successions. Sous la pression de la concurrence fiscale, presque tous en ont exonéré les descendants, maintenant toutefois des impôts parfois élevés, à caractère confiscatoire, pour les héritiers éloignés ou non-parents. Ainsi, un filleul ou une filleule paie jusqu’à 49% de taxe sur son héritage à Bâle-Ville. L’initiative corrige ce déséquilibre avec une imposition modérée des successions élevées. La taxation actuelle des petits héritages est supprimée.
Seule la part de l’héritage dépassant 2 millions de francs est imposée. Chaque conjoint d’un couple pouvant faire valoir la franchise (de 2 millions), les parents peuvent léguer à leurs enfants jusqu’à 4 millions de francs nets d’impôt. Les propriétaires de maisons familiales n’ont donc rien à craindre de l’impôt sur les successions. Même une villa valant 5 millions de francs, sur laquelle pèse une hypothèque de 1 million, peut être léguée sans être taxée. La réglementation de l’imposition sur les donations est également généreuse. Les legs inférieurs à 20’000 francs par an et par donataire ne sont pas imposés. Cette disposition permet aux parents de léguer à leurs enfants des sommes substantielles, par exemple pour leur formation continue.
Entreprises familiales pas touchées
L’impôt sur les successions ménage aussi le commerce. Selon le texte de l’initiative, le Parlement devra introduire des allègements pour les entreprises familiales, afin de ne pas mettre en danger leur existence et leurs places de travail. Les initiants ont pensé à une franchise de 50 millions de francs et un taux d’imposition de 5%. Les partis bourgeois se rallieront sans aucun doute à des réductions généreuses, si bien que la solution proposée trouvera facilement une majorité confortable au sein du Parlement. La succession de toutes les petites et moyennes entreprises familiales restera donc exonérée d’impôt.
Il est par ailleurs très improbable que les grosses fortunes quittent la Suisse à cause de l’impôt sur les successions, comme l’affirment les opposants. La Suisse offre aux personnes riches la sécurité, des infrastructures excellentes et un système de santé de haute qualité, une imposition basse des revenus et des entreprises, un Etat de droit qui fonctionne bien, de belles zones résidentielles et un environnement intact, autant d’avantages auxquels il n’est pas facile de renoncer.
Une revendication libérale
L’impôt sur les successions n’est pas un projet de la gauche, mais une revendication profondément libérale. Car en fin de compte, la performance personnelle doit être déterminante pour le succès économique. Si des fortunes toujours plus grosses sont léguées, l’origine devient le facteur décisif; on porte ainsi atteinte au principe de la proportionnalité aux performances et on remet en question l’économie de marché. C’est pourquoi les milieux libéraux ont régulièrement réclamé une imposition sur les successions qui soit efficace. Ainsi, en 1971, lors de son assemblée nationale, le Parti libéral-démocrate allemand a préconisé dans les «Thèses de Fribourg» une taxe sur l’héritage avec des taux atteignant 75%. En Suisse aussi, des personnalités libérales comme par exemple Vreni Spoerry et Kaspar Villiger se sont prononcées en faveur de l’impôt sur les successions.
Mais les pionniers de l’impôt sur les successions proviennent des Etats-Unis. Là-bas, des penseurs libéraux s’engagèrent pour son introduction dès le début du 19e siècle. L’un de ses défenseurs le plus renommé fut le président républicain Theodore Roosevelt. En 1916, sous son impulsion, le Congrès décida d’introduire une taxe substantielle sur l’héritage.
Lorsqu’il y a huit ans, le président George W. Bush a tenté de supprimer l’impôt sur les successions aux Etats-Unis, quelques dizaines de personnes très fortunées ont financé des annonces d’une page entière pour dénoncer son abolition en la qualifiant d’inéquitable. Selon elles, sans un tel impôt, la démocratie dégénérerait en une ploutocratie, dans laquelle le pouvoir est aux seules mains des riches.
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