«La Tunisie a parcouru une bonne partie du chemin»
Béji Caïd Essebsi est en Suisse pour une visite d’Etat de deux jours. Dans une interview accordée à swissinfo.ch, le président tunisien affirme que la coopération étroite entre les deux pays sera d’une aide précieuse pour achever la transition démocratique de l’après-Ben Ali.
Béji Caïd Essebsi a atterri jeudi matin à l’aéroport de Zurich, où le président de la Confédération Johann Schneider-Ammann l’a accueilli avec les honneurs militaires. Au centre des discussions, la transition démocratique depuis 2011 en Tunisie et les relations économiques bilatérales. L’épineuse question des avoirs de l’ancien président Ben Ali et de son entourage, toujours gelés en Suisse, sera également abordée.
swissinfo.ch: Vous êtes le premier président tunisien élu démocratiquement au suffrage universel qui accomplit une visite d’état en Suisse. Qu’est-ce que cela signifie pour vous et pour les relations de votre pays avec une démocratie ancienne comme la Suisse?
«Le bâtiment de l’ambassade de Suisse se trouve au cœur du palais présidentiel, ce qui constitue une preuve forte des relations entre nos deux Etats»
Béji Caid Essebsi: La Suisse occupe une position particulière dans le monde car elle tient à la neutralité, dans le sens positif du terme. Nos relations ont toujours été positives et elles le restent. La Suisse fut d’ailleurs l’un des premiers Etats à reconnaître l’indépendance de notre pays. Le bâtiment de l’ambassade de Suisse se trouve au cœur du palais présidentiel, ce qui constitue une preuve forte des relations entre nos deux Etats. C’est la seule ambassade qui est située dans l’espace destiné à la présidence de la république.
La coopération non négligeable qui existe entre nos deux pays est très appréciée par la Tunisie en raison précisément de la neutralité de l’Etat suisse, qui n’impose pas des conditions préalables aux autres. De notre côté, nous sommes bien décidés à développer cette coopération. Nous sommes convaincus que la coopération avec la Suisse nous aidera beaucoup dans l’achèvement de notre transition démocratique.
La Tunisie a entamé sa transition démocratique mais la démocratie tunisienne ne s’est pas encore enracinée de manière définitive. En effet, la démocratie ne s’impose pas mais se pratique. Malgré les difficultés et même si le processus de démocratisation n’est pas simple, nous pouvons affirmer que nous avons parcouru une bonne partie du chemin.
«La Tunisie a entamé sa transition démocratique mais la démocratie tunisienne ne s’est pas encore enracinée de manière définitive»
swissinfo.ch: Le monde a salué l’adoption par la Tunisie d’une Constitution consensuelle. Mais le ralentissement enregistré dans la mise en place des nouvelles institutions, à l’instar de la Cour constitutionnelle, et le retard dans la fixation d’une date pour la tenue d’élections municipales et régionales soulève une certaine inquiétude. Quels sont les principaux défis auxquels se heurte encore la démocratie naissante dans votre pays?
BCE: C’est vrai, il est nécessaire de rappeler les défis auxquels la Tunisie est confrontée. En premier lieu celui du terrorisme, tant en raison de sa dimension que de sa complexité. Nous avons obtenu des succès relatifs dans notre lutte contre le terrorisme, mais le problème est que ce phénomène a pris une dimension internationale. Et il sera difficile pour un petit pays comme la Tunisie de surmonter à lui seul le dilemme posé par le terrorisme.
Par ailleurs, la Tunisie est confrontée à un défi social et économique. Il faut rappeler que les causes de la révolution tunisienne sont essentiellement d’ordre social. Pour y remédier, il est essentiel d’améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. Enfin, nous avons un parlement démocratique pluraliste sans précédent dans l’histoire politique de la Tunisie et pour la première fois une coalition gouvernementale, ce qui explique la lenteur des prises de décisions.
La Tunisie est bien consciente des réformes structurelles qu’il reste à réaliser au niveau constitutionnel et économique. Celles-ci ont été achevées au niveau gouvernemental et nous attendons désormais l’accord du parlement, ce qui demande un certain temps.
swissinfo.ch: La Suisse a été l’un des premiers pays à lancer un programme d’aide au développement avec la Tunisie après la chute du régime de Ben Ali. Ces cinq dernières années, près de 12’000 postes de travail ont été notamment créés grâce à l’aide de la Suisse. En revanche, le dossier des fonds Ben Ali et de ses proches gelés en Suisse depuis janvier 2011 (environ 60 millions de francs) est au point mort. Qu’est ce qui empêche des avancées dans ce dossier?
«La Suisse a fait des efforts pour aider la Tunisie à récupérer les fonds Ben Ali»
BCE: En fait, ce ne sont pas uniquement les fonds bloqués en Suisse qui n’ont pas été récupérés, mais ceux de tous les autres pays. Ce qu’il faut souligner dans ce contexte, c’est que la Suisse a fait des efforts pour aider la Tunisie. Au cours de cette visite, nous allons signer un accord sur la façon de coopérer pour traiter le dossier des fonds gelés en Suisse.
Nous savons que l’Etat suisse a été confronté à des difficultés pour nous aider à résoudre ce problème, en raison de la particularité juridique des banques suisses. D’autre part, l’Etat qui demande à récupérer ses fonds spoliés est invité à fournir les preuves qui confirment ses dires. Dans ce cas précis, la loi sur la confiscation élaborée par la Tunisie s’est avérée insuffisante, car il faudrait que des jugements définitifs soient prononcés confirmant le transfert à l’Etat des avoirs et des biens confisqués aux individus poursuivis. Cela nécessite de porter ces affaires devant les tribunaux, ce qui demande un temps assez long.
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