Le peuple suisse coule la grande réforme des retraites
La vaste réforme du système de retraite suisse subit un échec retentissant devant le peuple. Près de 53% des citoyens ont glissé un «non» dans les urnes ce dimanche. Il s'agit d'une défaite amère pour le gouvernement et en particulier pour le ministre des Affaires sociales Alain Berset, qui a porté le projet à bout de bras ces derniers mois.
Le suspense a finalement duré moins longtemps que prévu dimanche. Une majorité confortable (52,7%) des citoyens suisses a rejeté la réforme de la Prévoyance vieillesse 2020, alors que les sondages prédisaient un résultat très serré avec un léger avantage pour le camp du «oui». Le référendum avait été lancé par une partie de la gauche et des syndicats, qui s’opposaient notamment à la baisse des rentes et à la hausse du départ à la retraite des femmes de 64 à 65 ans.
En parallèle, les citoyens suisses votaient également sur le financement supplémentaire de l’Assurance vieillesse et survivants (AVS) via l’augmentation de la TVA. Ce projet devait être obligatoirement soumis au peuple, étant donné qu’il nécessitait une modification de la Constitution fédérale. Une courte majorité du peuple (50%) et des cantons a également dit «non» à cette augmentation, enterrant ainsi sans ambiguïté l’entier de la réforme du système des retraites.
Cette défaite sera difficile à digérer pour le gouvernement helvétique et notamment pour Alain Berset. Le ministre socialiste en charge de la Santé et des Affaires sociales a sillonné toute la Suisse ces derniers mois pour tenter de convaincre les indécis d’accepter une réforme qu’il jugeait indispensable, juste et équilibrée. Jamais auparavant un conseiller fédéral ne s’était autait impliqué dans une campagne de votation.
Coalition hétéroclite contre la réforme
Les enjeux étaient en effet importants, et pas seulement pour la crédibilité politique d’Alain Berset: il s’agissait de l’un des plus vastes projets de réforme soumis à votation depuis plusieurs années. Son objectif était de garantir le financement des retraites des Helvètes, menacées par le vieillissement de la population, le tassement de la croissance économique et des taux d’intérêts bas.
Pour tenter de répartir le plus possible les sacrifices et de recueillir une majorité, le gouvernement a présenté un projet de réforme globale du système de prévoyance qui, pour la première fois, concernait à la fois l’AVS (premier pilier) et la prévoyance professionnelle (deuxième pilier). Au Parlement, ce paquet de mesures avait été approuvé à une très courte majorité du centre et de gauche en mars dernier.
La Prévoyance vieillesse 2020 a toutefois rassemblé une coalition très hétéroclite contre elle. Les partis de droite – Union démocratique du centre et Parti libéral-radical – s’y opposaient en raison notamment de la hausse généralisée de 70 francs des rentes AVS que prévoyait la réforme. Quant à la gauche de la gauche et à certains petits syndicats, ils rejettaient ce paquet car ils l’estimaient anti-social et injuste pour les femmes.
Fracture à gauche
«Ce résultat est une victoire pour les femmes, qui ne devront pas travailler une année de plus, et une victoire pour tous les travailleurs, qui ne verront pas leurs prestations de la prévoyance professionnelle diminuer», s’est ainsi réjoui Alessandro Pelizzari, porte-parole du comité référendaire de gauche opposé au projet, sitôt les résultats connus.
Reste que le vote de dimanche devrait laisser de profondes cicatrices au sein de la gauche helvétique. Jacques-André Maire, député socialiste et vice-président de la faîtière syndicale Travail.Suisse, parle d’un «triste autogoal» pour son camp politique.
Le «non» de ce dimanche repousse «l’indispensable réforme des retraites» à 4 ou 5 ans minimum, estime Jacques-André Maire, interrogé par l’Agence télégraphique suisse (ATS). «Durant ces années, la situation de l’AVS va encore s’aggraver», ce qui par ricochet va «nourrir les arguments de nos adversaires allant dans le sens d’une réforme drastique», craint le socialiste, qui s’attend par ailleurs à un travail parlementaire «très délicat».
Une «réforme fictive»
Pas de quoi décontenancer Alessandro Pelizzari, pour qui le combat ne se gagnera pas uniquement au Parlement. «Nous continuerons de lutter contre toute mauvaise réforme, a-t-il indiqué. La lutte se fera également dans la rue, comme nous l’avons démontré en recueillant les 50’000 signatures nécessaires à l’aboutissement de ce référendum».
A droite également, on avait le sourire à l’issue de ce dimanche de votations fédérales. «Le peuple a reconnu qu’il s’agissait d’une réforme fictive, a relevé Hans-Ulrich Bigler, député du Parti libéral-radical (PLR / droite) et directeur de l’Union suisse des arts et métiers (USAM). Il faut dès à présent élaborer une véritable réforme qui soit en mesure de garantir le financement à long terme du système de retraite, en séparant totalement les modifications et les compensations à apporter aux deux piliers.»
Le gouvernement une nouvelle fois mis en échec
L’échec de la Prévoyance vieillesse 2020 constitue pour le Conseil fédéral la seconde gifle en votation cette année. C’est une des défaites les plus douloureuses depuis longtemps, en particulier pour Alain Berset, un ministre habitué aux succès. Le «non» à la 3e réforme de l’imposition des entreprises en février dernier avait mis un terme brutal à une série de succès sans précédent des autorités en votations.
Après le «crash» des avions de combat Gripen et l’acceptation de l’initiative sur les pédophiles en mai 2014, le Conseil fédéral et le Parlement n’avaient pas perdu une seule votation en presque deux ans et demi.
«Il est encore trop tôt pour tirer une conclusion de ce vote», a indiqué Alain Berset devant la presse. Il s’agit à ses yeux d’un résultat clair, mais pas écrasant, car «nous n’étions pas loin d’une majorité». «Après ce scrutin, le problème du financement et de la stabilité du système de prévoyance demeure. C’est pourquoi je souhaiterais que tous les acteurs se réunissent le plus tôt possible pour évaluer les prochains pas à entreprendre», a déclaré le ministre en charge des assurances sociales. Et de souligner que sans réforme, les déficits de l’AVS vont inéluctablement se creuser dans les années à venir.
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