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La Suisse ne veut pas interdire la spéculation alimentaire

La spéculation sur les denrées alimentaires pourra continuer en Suisse. Keystone

Les traders pourront continuer à spéculer sur les denrées alimentaires en Suisse. L’initiative «Pas de spéculation sur les denrées alimentaires» est balayée par la majorité des cantons et 59,9% des votants. Les opposants sont soulagés pour l’économie helvétique, alors que les partisans se satisfont d’un «succès d’estime».

Lutter contre la faim

L’initiativeLien externe «Pas de spéculation sur les denrées alimentaires» demandait que les instituts financiers ayant un siège ou une succursale en Suisse ne puissent plus «investir ni pour eux-mêmes ni pour leur clientèle et ni directement ni indirectement dans des instruments financiers se rapportant à des matières premières agricoles et à des denrées alimentaires.»

La Jeunesse socialiste suisse (JSS), qui a lancé le texte, estime que la spéculation est en grande partie responsable du problème des prix excessifs des produits alimentaires. L’objectif de son initiative était de lutter contre la volatilité des prix et contre la faim dans le monde.

La spéculation sur les denrées alimentaires ne sera pas interdite en Suisse. L’initiative de la Jeunesse socialiste a été rejetée par la majorité des cantons, qui s’est prononcée contre le texte. Le peuple a dit «non» à près de 59,9%.

Malgré le rejet assez net de l’initiative, le camp des perdants évoque un «succès d’estime». «Un tel score, pour une initiative de gauche avec un contenu idéaliste, est un bon résultat», s’est réjoui le vice-président des Verts, Josef Lang. Cette question était soumise pour la première fois, et la première fois, c’est toujours difficile, souligne l’écologiste.

A ses yeux, le bon résultat s’explique aussi par la mobilisation de la jeunesse critique envers l’initiative de l’UDC pour le renvoi des étrangers criminels. Il ne compte pas baisser les bras, et estime que la lutte doit continuer concernant les denrées alimentaires. Joseph Lang mise surtout sur l’initiative «Pour des multinationales responsables »: moins radicale, elle a le potentiel, selon lui, de dépasser les 50%.

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Au Conseil fédéral d’agir

Fabian Molina, président des Jeunes socialistes, exige désormais du Conseil fédéral qu’il ne réduise pas l’aide au développement. «Une réduction serait une marque de mépris». Il demande aussi au gouvernement de prendre des mesures pour éviter que des acteurs indésirables contournent des réglementations étrangères en passant par la Suisse.

«En outre, l’Agenda 2030 de l’ONU doit être appliqué», affirme Fabian Molina. Ce texte en faveur du développement durable exige expressément des mesures visant à réduire l’extrême volatilité des prix des denrées alimentaires.

Une initiative «louable», mais qui rate sa cible

A droite de l’échiquier politique, les opposants se disent soulagés pour l’économie, qui aurait pâti des conséquences du texte. Le Parti libéral-radical (PLR) et le Parti démocrate-chrétien (PDC) sont très satisfaits du net rejet de l’initiative. Les deux partis ont souligné que le texte des Jeunes socialistes ne permettait pas d’atteindre l’objectif visé.

Le vice-président du PDC Dominique de Buman a relevé: «L’objectif était louable, soit éviter la hausse des prix des denrées, un bien qui doit être accessible à tous dans le monde.» Mais l’augmentation des prix a d’autres causes, telles que la météorologie, les conflits ou la situation politique. Un argument qui a plaidé en faveur du rejet, selon le conseiller national, est la présence de nombreuses sociétés de négoce («trading») ayant leur siège en Suisse.

Même son de cloche de la part du PLR Philippe Nantermod, qui parle d’un texte qui était «plein de bonnes intentions», mais qui était mauvais pour la Suisse et inutile pour l’objectif recherché, soit la lutte contre la faim dans le monde. Selon le député valaisan, l’initiative aurait eu des effets collatéraux pour les producteurs, grands et petits, et pour la place économique suisse. «C’est la victoire du pragmatisme contre l’idéologie», résume le libéral-radical.

«Quelque peu suicidaire»

L’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice), qui craignait les conséquences d’un «oui» pour l’économie suisse, est aussi très contente du rejet. Le député UDC Jean-Pierre Grin estime que la Suisse en fait déjà beaucoup pour aller vers davantage d’éthique, et qu’aller plus loin aurait été «quelque peu suicidaire pour notre économie». Faire cavalier seul n’allait pas dans le bon sens, selon lui.

Pour la Fédération des industries alimentaires suisses (fial), il n’était pas clair si l’initiative aurait eu une influence sur la faim dans le monde. «Elle aurait en revanche apporté beaucoup de frais et d’incertitudes aux entreprises», estime son coprésident Urs Reinhard. GastroSuisse et l’Association suisse des banquiers craignaient également que ce texte nuise à l’économie.

De son côté, le ministre de l’économie Johann Schneider-Ammann s’est réjoui du rejet du texte. La faim dans le monde reste un sujet de préoccupation, mais le texte de la Jeunesse socialiste n’aurait pas, selon lui, permis de résoudre le problème. Il aurait surtout conduit à davantage de coûts et de bureaucratie pour l’économie.

Des alliés à gauche, des opposants à droite

La campagne s’est articulée autour du clivage gauche-droite. L’ensemble des formations politiques de gauche et des organisations actives dans l’entraide humanitaire et l’aide au développement ont soutenu le texte. Elles estiment que la spéculation joue un grand rôle dans l’envolée des prix.

De leur côté, la droite et les milieux économiques ont combattu l’initiative. Les opposants considèrent que l’envolée des prix s’explique surtout par d’autres phénomènes, notamment «les aléas climatiques, l’insécurité dans des zones de production, les changements d’habitudes alimentaires, l’augmentation considérable de la population à nourrir dans les pays émergents, sans oublier la raréfaction des terres cultivables.»

Le Conseil fédéral et le Parlement ont également rejeté le texte, jugeant qu’il n’aiderait pas à lutter contre la faim et la pauvreté dans le monde, mais pénaliserait la place économique. Dans son message, le gouvernement dit partager l’objectif du texte, mais estime que l’initiative manque sa cible.

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