Le discours anti-frontaliers ne fait plus recette
La vague verte qui a déferlé sur le parlement suisse ce dimanche a également eu des répercussions sur les partis anti-frontaliers. Le Mouvement citoyen genevois (MCG) perd son unique siège au Conseil national, tandis que la Lega dei Ticinesi devra se passer d’un député sur deux à Berne au cours de la prochaine législature.
Fondé en 2005, le MCGLien externe a marqué de son empreinte la vie politique genevoise au cours des 15 dernières années. Au début des années 2010, le parti séduisait près d’un électeur sur cinq à Genève et s’affichait comme la deuxième force politique du canton. Avec une seule idée fixe: le rejet des travailleurs frontaliers français, chaque année plus nombreux à venir chercher meilleure fortune sur sol genevois.
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En 2011, le MCG avait même réussi l’exploit de s’exporter jusqu’à Berne: l’un de ses représentants, Roger GolayLien externe, était élu au Conseil national, la Chambre basse du Parlement suisse. Deux ans plus tard, une autre figure du parti, Mauro PoggiaLien externe, faisait son entrée au gouvernement cantonal.
Or ce dimanche, la formation populiste a subi une importante défaite en ne récoltant que 5,4% des voix lors de l’élection au Conseil national à Genève. Insuffisant pour maintenir son représentant sous la Coupole fédérale: Roger Golay doit s’en aller après deux législatures.
Absence de leader
Un revers qui s’ajoute à celui, plus cinglant encore, subi lors des élections cantonales de l’an dernier. Le MCG perdait alors neuf sièges au parlement genevois, divisant son score électoral de 2013 par deux, pour passer sous la barre des 10%.
Les querelles intestines qui ont miné le parti ces dernières années ont porté un coup dur au MCG. Les difficultés à conclure des apparentements avec d’autres partis, l’UDC notamment, qui chasse sur les mêmes terres électorales, ont également pesé sur le résultat de dimanche.
«Le MCG est dans une phase critique. Aujourd’hui, on ne sait plus trop quelle est sa ligne idéologique. D’abord clairement marqué à droite, le parti se positionne désormais à gauche sur les questions de politique sociale. Il pâtit par ailleurs grandement de l’absence d’une figure charismatique depuis le départ de son fondateur Eric Stauffer», souligne Pascal SciariniLien externe, politologue à l’Université de Genève.
«La thématique des frontaliers n’a pas disparu, mais elle est devenue secondaire dans l’agenda politique» Pascal Sciarini, politologue
Un parti en chute libre
Reste que la chute du MCG est peut-être aussi révélatrice d’un phénomène plus profond: le rejet des frontaliers ne fait plus autant recette que par le passé à Genève. «Quand les thèmes d’actualité étaient les migrants et la sécurité, les électeurs cherchaient la sécurité et se réfugiaient chez les partis conservateurs. Aujourd’hui, les Verts séduisent car la croissance a augmenté», a estimé Roger Golay à la suite de sa non-réélection, interrogé par le quotidien 20 minutes.
«La thématique des frontaliers n’a pas disparu, mais elle est devenue secondaire dans l’agenda politique, avance de son côté Pascal Sciarini. Par ailleurs, le MCG n’a plus le monopole sur cette question, qui est désormais prise au sérieux par tous les partis.»
Des mesures ont en outre été prises pour faire face aux effets négatifs engendrés par l’afflux de plus de 100’000 travailleurs frontaliers sur sol genevois. C’est le cas notamment de la préférence cantonale à l’emploi dans l’administration cantonale, mise en place en 2013 par le ministre MCG Mauro Poggio.
Aux yeux de Pascal Sciarini, il n’est pas exclu que le MCG subisse in fine le même sort que VigilanceLien externe, cette formation d’extrême-droite qui était également parvenue à devenir le deuxième parti du canton en 1985 avant de disparaître purement et simplement quelques années plus tard.
«C’est un phénomène typiquement genevois: une partie de l’électorat manifeste à intervalles régulières sa mauvaise humeur en votant pour des formations anti-système avant de revenir vers des partis plus traditionnels», analyse Pascal Sciarini.
Retrouver «l’âme de l’opposition»
Si à Genève le MCG pleure, au Tessin, la LegaLien externe ne rit certainement pas. Le premier avis de tempête est tombé en avril, à l’occasion des élections cantonales: le mouvement fondé par Giuliano Bignasca perdait quatre sièges au parlement cantonal, passant de 20,6 à 16,3% des voix.
Cette tendance s’est également confirmée lors des élections fédérales du 20 octobre. La Lega a perdu cinq points de pourcentage par rapport au scrutin précédent (20,9 à 15,9%) et l’un de ses deux sièges à la Chambre du peuple. Au cours des quatre prochaines années, seul Lorenzo Quadri Lien externesiégera à Berne, tandis que Roberta Pantani devra quitter la capitale après deux législatures.
«La Lega doit redevenir plus dynamique et moins partisane, a commenté Lorenzo Quadri, cité par le Corriere del Ticino. Nous devons récupérer l’âme de la place publique, l’âme de l’opposition. La Lega ne doit pas seulement être un parti de soutien aux personnes qui ont des charges exécutives. Ceux qui siègent au Parlement doivent faire plus, soulever davantage de questions». Bref, ces dernières années, la Lega serait devenue un parti comme les autres, trop impliqué dans les fonctions institutionnelles.
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«Depuis quelques années, la Lega a laissé de côté certaines thématiques protestataires, les estimant moins en phase avec la position du parti au sein des institutions» Oscar Mazzoleni, politologue
L’analyse du conseiller national léguiste est en partie partagée par d’autres acteurs importants du mouvement, comme le fils du fondateur, Boris Bignasca: «Ca fait trop longtemps que nous ne descendons plus sur la place publique», a-t-il déclaré. Quant à Norman Gobi, membre du gouvernement cantonal, il estime que les chevaux de bataille de la Ligue, ses thèmes préférés, «sont moins forts qu’avant».
Un thème moins central
Comme à Genève, la question des frontaliers – volontiers montée en épingle par la Lega – porterait-elle également moins au sud des Alpes? «Je pense plutôt que la visibilité publique et politique de cette question a diminué et a été reléguée au second plan par une autre urgence, le climat», note le politologue tessinois Oscar MazzoleniLien externe.
Cela ne signifie pas que la problématique des frontaliers a disparu, mais elle ne figure plus tout en haut de l’agenda politique. «Depuis quelque temps déjà, la Lega, mais aussi l’UDC, donnent moins d’importance à cette question. On en a peu parlé lors des élections cantonales d’avril et ce fut encore le cas à l’occasion des élections fédérales», affirme le politologue
Pas de trace cette année au Tessin d’affiches provocatrices et agressives, comme celle placardée en 2010 par l’UDC et qui comparait les travailleurs frontaliers à des rats mangeant le fromage des Suisses. «Depuis quelques années, la Lega a laissé de côté certaines thématiques protestataires, les estimant moins en phase avec la position du parti au sein des institutions», relève Oscar Mazzoleni.
Le mouvement fondé en 1991 compte deux conseillers d’Etat (ministres) sur cinq au gouvernement cantonal et fait figure de deuxième formation la mieux représentée au parlement cantonal.
La Lega se porte mieux que le MCG
Enfin, le choix de la Lega, mais aussi du MCG à Genève, de suivre dans une large mesure l’agenda de l’UDC, soit de faire campagne sur la question des relations entre la Suisse et l’Union européenne, n’a pas été payant. «A Genève ou au Tessin, si cette question n’est pas liée à celle des frontaliers, elle perd de son intensité», note Oscar Mazzoleni.
Toujours est-il qu’aux yeux de Pascal Sciarini, la Lega, contrairement au MCG, n’est pas aujourd’hui menacée dans son existence: «Le MCG est en moins bonne posture que la Lega, qui est implantée depuis plus longtemps au Tessin et qui a jusqu’à présent très bien résisté malgré quelques revers électoraux.»
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