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Duel Macron – Le Pen en France: «Un second tour de tous les dangers»

Emmanuel Macron et Marine Le Pen
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La presse suisse analyse les raisons du succès de la candidate d'extrême droite Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle en France, et juge qu'Emmanuel Macron devra faire plus s'il veut être réélu.

Sans grande surprise, l’affiche du second tour de l’élection présidentielle en France, le 24 avril prochain, sera la même qu’en 2017. Dimanche, le président sortant Emmanuel Macron est arrivé en tête avec près de 28% des voix, devant la candidate d’extrême droite Marine Le Pen (plus de 23%).

Ce lundi, la presse suisse souligne le bon score du locataire de l’Élysée, à la fois meilleur que prévu par les sondages et meilleur qu’il y a cinq ans – une performance que seul le socialiste François Mitterrand avait réussi à accomplir en 1988. Mais c’est aussi un résultat en demi-teinte pour celui qui avait promis, lors de son élection, de tout faire pour qu’il n’y ait plus de «raison de voter pour les extrêmes» en France.

Certes, les premiers sondages pour le second tour le donnent victorieux. Mais la partie est loin d’être jouée, préviennent la plupart des journaux. Une des enquêtes d’opinion annonce d’ailleurs un duel très serré, à 51% pour Emmanuel Macron contre 49% pour Marine Le Pen.

«Gare aux excès de confiance», écrivent les titres régionaux La LibertéLien externe et ses partenaires ArcInfo et Le Nouvelliste. «Il ne conviendrait pas que le président sortant commette la même erreur que l’équipe de France face à la Suisse lors du dernier euro», piquent-ils dans une métaphore footballistique, rappelant que l’écart entre les deux candidat-es est plus faible qu’en 2017. Pour Le TempsLien externe, Emmanuel Macron n’a réussi que «la moitié de son pari». L’éditorialiste de La Liberté parle même d’«un second tour de tous les dangers».

Un «campagne de rentier» face à une Marine Le Pen dédiabolisée

Plusieurs journaux critiquent le fait qu’Emmanuel Macron n’a jusqu’ici fait que le «service minimum», comme l’écrit La Liberté. «Il s’est permis de rester en surplomb, capitalisant sur un bilan plutôt solide et son statut de chef de la nation durant la crise du Covid et la guerre en Ukraine. Longtemps posté au-dessus de la mêlée, jugé hautain et arrogant, il a fait campagne comme un rentier», juge le journal fribourgeois. L’«effet drapeau», dont il a bénéficié aux premiers jours de la guerre en Ukraine, «s’est depuis évanoui», ajoute le Tages-AnzeigerLien externe.

D’ici le second tour il devra se retrousser les manches, car son adversaire, elle, a mené une campagne efficace, selon la presse. D’une part, elle a lissé son image en jouant la carte de la proximité et a réussi «l’exploit» de «ne plus faire peur», relèvent les journaux romands de Tamedia La Tribune de Genève et 24 HeuresLien externe.

D’autre part, elle a abordé très en amont «la question de la baisse du pouvoir d’achat», une préoccupation majeure de la population française en pleine flambée des prix de l’énergie, tandis que le candidat-président est accusé «d’ignorer les problèmes internes de la France», développe le Tages-Anzeiger.

Dans un éditorial, le quotidien alémanique Neue Zürcher ZeitungLien externe (NZZ) estime qu’il reste encore à la candidate de droite nationaliste deux atouts pour le second tour: «pour la première fois, elle dispose d’un réservoir de voix supplémentaire» avec l’électorat d’Eric Zemmour, qui a appelé à voter pour elle, et une partie de celui de Jean-Luc Mélenchon (gauche radicale, qui obtient la 3e place avec plus de 20% des suffrages).

«De plus, le front de défense interpartis contre Le Pen et son parti s’effrite depuis des années. On ne peut plus compter sur l’électorat de gauche pour se ranger résolument derrière Macron au second tour afin d’éviter une victoire de la nationaliste de droite».

«Tous ces éléments font que l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République, totalement improbable il y a cinq ans, est devenue aujourd’hui possible», abonde 24 Heures.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, «la proximité de Marine Le Pen avec le Kremlin semble lui faire moins de mal qu’on aurait pu le penser», s’étonne par ailleurs le Tages-Anzeiger, pour qui une victoire de la candidate «serait un choc aux conséquences multiples pour l’Europe» pouvant faire craindre «un effondrement du front pro-ukrainien».

Une recomposition politique totale

Pour Le Temps, «les surprises de cette élection ne sont pas où on les attendait»: ni «la poussée du vote ‘vert’» ni «la flambée nationaliste et anti-islam d’Eric Zemmour» ne se sont produites.

En revanche, la presse helvétique retient la totale recomposition du paysage politique français. Pour La Liberté, «l’ancien monde» est ainsi le «grand battu de cette élection», qui a vu l’écroulement des traditionnels partis présidentiels comme le Parti socialiste (représenté par Anne Hidalgo, moins de 2% des voix) et le parti de droite les Républicains, dont la figure de proue était Valérie Pécresse (moins de 5% des suffrages).

Pour la NZZ, ce premier tour montre surtout le «grave malaise» du paysage politique français et confirme le renforcement de deux tendances: la première, une «tendance à aller vers les extrêmes». Le quotidien retient que plus de la moitié des personnes qui ont voté ont donné leur voix à un-e candidat-e des extrêmes.

La deuxième est le fait que «de moins en moins de Français-es s’intéressent à la politique». L’abstention a atteint un niveau record, avec un peu plus d’un quart de l’électorat qui ne s’est pas rendu dans les bureaux de vote. Il s’agit du taux le plus élevé depuis vingt ans. «Mobiliser les électeurs et les électrices pour le second tour constituera un défi aussi bien pour Macron que pour Le Pen», juge le journal alémanique.

Le TempsLien externe voit finalement dans ce duel du second tour l’opposition de «deux France» «très éloignées l’une de l’autre». «Elles ne sont pas irréconciliables», prophétise le correspondant du journal mais, s’il veut l’emporter, le président sortant «devra être le pont entre ces deux pays divisés par un ressenti terrible: celui de la dépossession, celui des frustrations, celui des colères».

Les Français et les Françaises «lancent un appel au secours», poursuit-il. «L’ignorer, ou ne pas en tenir compte, serait une porte ouverte vers un second mandat en forme de blessure.»

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