Assouplissement en matière de secret bancaire
La Suisse souhaite faire des concessions sur l’entraide administrative en matière de fiscalité, afin de ne pas être placée sur la liste grise ou noire de l’OCDE. Et d’éviter ainsi des mesures de rétorsion envers l’industrie.
Le gouvernement souhaite assouplir ses conditions d’assistance administrative auprès d’autres Etats en cas de délits fiscaux. Jusqu’à maintenant la Suisse exigeait dans une demande d’assistance le nom et l’adresse du contribuable. A l’avenir, ces données ne devraient plus être une condition sine qua non pour l’obtention d’une assistance.
Dans des cas exceptionnels, une demande d’assistance pourra être effectuée via un numéro IBAN (numéro de compte en banque international) ou sur la base «d’informations qui permettent une identification suffisante». Mais, «un numéro de compte en banque seul ne suffit pas», a souligné Eveline Widmer-Schlumpf. Et d’ajouter que «la pêche aux renseignements (fishing expedition) et l’échange automatique d’information, restent exclus.»
Réactions explosives
Etant donné que cette question touche directement au secret bancaire, les premières réactions des partis étaient prévisibles. Cette annonce, politiquement explosive a été vivement débattue, même s’il s’agit uniquement d’une adaptation technique.
C’est une «action clandestine» a critiqué le Parti libéral-radical (PLR/droite). L’Union démocrate du centre (UDC/droite conservatrice) a quant à elle qualifié cette volonté de «tactique du salami, qui vise à affaiblir la place financière suisse». Elle a souligné qu’elle rejetait ce «geste d’intimidation de la part de l’étranger».
Le Parti socialiste (PS/gauche) par contre, salue la volonté du gouvernement qui participe selon lui à une politique économique adéquate. La ministre des Finances, Eveline Widmer-Schlumpf espère quant à elle que «cela ne deviendra pas un nouveau thème de campagne électorale».
Pêche aux renseignements interdite
Pour Urs Behnisch, expert en droit fiscal de l’université de Bâle, la décision du Conseil fédéral est de faible importance: «La décision de fond est tombée le 13 mars 2009, lorsque le gouvernement a choisi de mettre en œuvre la nouvelle politique suisse d’assistance administrative. La question est désormais de savoir combien d’informations nous voulons exiger de la part des Etats demandeurs, afin que le Suisse puisse répondre à la requête, sans tomber dans une ‘fishing expedition’.»
L’expert souligne qu’une fishing expedition est une recherche sur des fraudeurs du fisc qui ne se base pas sur des soupçons concrets. Et que la norme de l’OCDE bannit également ce type de pratique. «Mais selon moi, cette adaptation ne conduira pas à la pêche au renseignement. Avec un numéro IBAN, on peut très précisément identifier une personne, car ce numéro est individuel.»
En outre, Urs Behnisch ne perçoit pas l’adaptation technique voulue par le gouvernement comme un pas vers l’échange automatique d’informations. «L’échange automatique d’informations signifierait que les banques mettent automatiquement à disposition des informations concernant les contribuables de l’étranger. Ce qui n’est pas le cas avec cette modification.»
Sous la pression de l’OCDE
Si le Conseil fédéral souhaite assouplir les règles de l’entraide administrative en matière de double imposition, c’est que la Suisse est, depuis l’automne dernier, placée sous la loupe du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements. Dans le cadre de l’examen des pairs, ce dernier vérifie si elle répond au standard prévu par l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE.
Comme les normes de l’OCDE ont continué à évoluer ces derniers mois, les accords de double imposition (CDI) approuvés par le Parlement ne répondent «plus au standard dans tous les domaines», indique Eveline Widmer-Schlumpf.
En clair, des mesures de rétorsion contre des entreprises suisses ou le retour de la Suisse sur une «liste d’une couleur quelconque» de l’OCDE est à craindre, juge la ministre des Finances. «Ce serait dommageable pour l’industrie et la place financière suisse.»
Pour l’expert Urs Behnisch, «la question reste ouverte de savoir jusqu’où les pays étrangers sont prêts à aller avec les listes noires et les pressions sur la Suisse. Mais il est clair qu’une certaine pression est exercée. Jusqu’où faut-il la prendre au sérieux? Difficile à dire».
Si, comme le Conseil fédéral et les banques l’annoncent, la Suisse veut réellement poursuivre une stratégie de l’argent blanc, elle doit avoir un intérêt à enquêter sur les délits fiscaux, juge l’expert.
«Assumer cette stratégie de l’argent blanc devrait impliquer que cette adaptation ne provoque pas un tollé», poursuit-il.
95% comportent un nom
Afin d’éviter que la Suisse ne se retrouve sur une liste grise ou noire de l’OCDE, le Conseil fédéral a décidé d’agir. Selon Eveline Widmer-Schlumpf, il souhaite expliquer au forum mondial fin février que «nous travaillons», que la Suisse introduira aussi une approche moins formaliste de l’entraide administrative.
Cela ne concerne que 5% des cas environ, souligne la ministre, «95% des demandes d’assistance incluant le noms des fraudeurs du fisc suspectés.
Concrètement, la Suisse doit ajouter, à toutes les conventions de double imposition revues ces deux dernières années, la nouvelle interprétation proposée par le Conseil fédéral. Au final, la compétence de dire oui ou non reviendra au Parlement.
«Nous présenterons sans doute trois textes au Parlement, explique Eveline Widmer-Schlumpf. Un texte pour les dix nouveaux accords qu’il n’a pas encore approuvé, un pour les dix qui sont déjà en vigueur et un pour l’accord avec les Etats-Unis et avec Singapour.»
Ces trois textes seront soumis au référendum facultatif. Une votation populaire sera donc en théorie possible.
Déjà conforme avec les USA
L’accusation selon laquelle il s’agit une fois de plus d’un contrefeu opposé à une pression extérieure identifiée avec retard et sur lequel le Parlement n’a d’autre choix que d’acquiescer en ronchonnant, cette accusation, Eveline Widmer-Schlumpf la rejette.
Selon elle, lors des négociations des CDI, le Conseil fédéral a agi «en toute bonne foi». Le nouveau standard n’a été développé qu’après, et «finalement, les autres Etats ont aussi signé les CDI. Ils doivent également effectuer ce réglage.»
Strictement parlant, la Suisse ne doit pas compléter toutes ses CDI. Celle signée avec les USA contient déjà l’adaptation proposée par la Conseil fédéral. «Nous avons différentes CDI, explique Eveline Widmer-Schlumpf. Au cours des négociations, les Etats-Unis ont formulé des exigences dans ce sens.»
Jusqu’ici, la Suisse a négocié plus de trente CDI selon l’article 26 du standard de l’OCDE. Dix sont en vigueur et l’accord avec les USA doit encore être approuvé par la Parlement américain. Dix autres accords devraient encore passer devant la Chambre du peuple en avril et celle des cantons en juin. Dix de plus sont signés ou paraphés.
Parapher. La convention de double imposition (CDI) doit d’abord être paraphée, c’est-à-dire ratifiées provisoirement par les responsables des négociations. Le contenu de la CDI est ensuite communiqué aux cantons et au milieux économiques intéressés sous la forme d’un rapport.
Approuver. Ensuite, le Conseil fédéral doit donner l’autorisation de signer la CDI. Puis, celle-ci doit alors être approuvée par les deux Chambres fédérales.
Ratifier. Si elle est approuvée par le Parlement et l’Etat partenaire, elle peut alors être ratifiée et entrer en vigueur à la date convenue entre les deux partie.
Conventions de double imposition internationales
selon l’article 26 de l’OCDE.
En vigueur
Danemark
Finlande
Norvège
France
Grande-Bretagne
Qatar
Luxembourg
Mexique
Autriche (depuis le 1er mars 2011)
Espagne
Canada
USA (pas encore entré en vigueur, doit être approuvé par le Parlement américain)
A approuver par le Parlement
Pays-Bas
Turquie
Japon
Pologne
Inde
Allemagne
Kasakhstan
Uruguay
Grèce
Signées
Hong Kong
Corée du Sud
Slovaquie
Paraphées
Irlande
Malte
Oman
Roumanie
Suède
Singapour
Emirats arabes unis
Traduction de l’allemand: Laureline Duvillard et Pierre-François Besson
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