Bâtisseurs de l’identité helvétique
Témoins du passé ou empreintes du présent, les bâtiments des Chemins de fer fédéraux (CFF) leur valent cette année de recevoir le Prix Wakker.
Pour son 100e anniversaire, Patrimoine suisse décerne ainsi pour la première fois le prix à une entreprise, qui se veut aussi respectueuse de son histoire qu’innovante.
«De notre point de vue, les CFF constituent un excellent lauréat, commente Karin Artho, collaboratrice à Patrimoine suisse. Leurs constructions sont à la fois des monuments que l’on admire et des lieux publics auxquels chacun peut accéder.»
Pour l’historienne de l’art, c’est l’assainissement de la gare principale de Zurich dans les années 70 qui a marqué le tournant décisif dans la politique architecturale de l’entreprise. Au départ, les CFF voulaient tout démolir et reconstruire du neuf. Mais ils ont finalement choisi d’assainir.
Sous la direction d’Uli Huber, architecte en chef de l’époque, l’entreprise développe alors une politique cohérente en la matière. «L’objectif était – et est encore – de mettre en valeur une identité bien définie des bâtiments» explique Toni Häfliger, chef du service du patrimoine culturel aux CFF.
Les gares ne sont pas des «non-lieux»
Aujourd’hui, la gare de la métropole des bords de la Limmat est un peu le «vaisseau amiral» de l’ancienne régie fédérale. Quiconque y débarque sait tout de suite qu’il n’est ni à Lucerne, ni à Coire, ni à Bâle.
Comme celle d’autres villes, la gare centrale de Zurich a une identité spécifique marquée, en rapport avec l’urbanisme local. Ainsi, les gares ne sont pas des «non-lieux», au contraire de nombre de centres commerciaux ou de restoroutes, par exemple.
Les CFF ont d’ailleurs souvent fait appel à des ingénieurs et à des architectes du monde entier, distingués à maintes reprises par la suite. La gare de Zurich-Stadelhofen (1983), par exemple, est due à Santiago Calatrava.
Autre cas: à Bâle, entre la fin des années 80 et le début des années 90, un dépôt de locomotives et deux postes d’aiguillage ont été réalisés par Herzog & de Meuron. Et cela bien avant la reconnaissance internationale dont bénéficient aujourd’hui les concepteurs de la «Tate Modern» à Londres.
Marketing et attractivité
Aux CFF, les concours d’architecture font partie de la culture d’entreprise. «La plupart des nouvelles constructions sont architecturalement à la pointe du progrès, elles ont valeur d’exemple. Et cette architecture contemporaine est discutée sur la place publique», se réjouit Karin Artho.
Le prix Wakker décerné aujourd’hui à l’entreprise récompense donc des décennies de travail sous le signe de la qualité. «Nous sommes une entreprise d’ingénierie et n’avons pas seulement de ‘beaux esprits’, souligne Toni Häfliger. Depuis plusieurs années, nos ingénieurs et le management font preuve d’une sensibilité croissante pour l’architecture et la protection des biens.»
Des gares esthétiques et des réalisations résolument hi-tech sont à la fois un instrument de marketing et un moyen de rendre le rail plus attractif. «Il n’y a pas de raison que des qualificatifs comme ‘dynamique’ ou ‘élancé’ ne soient réservés qu’aux voitures», fait remarquer Toni Häfliger.
Question d’équilibre
Malgré cela, les CFF ne peuvent pas toujours réaliser des constructions aussi abouties qu’ils le souhaiteraient. «Il est évident qu’ils ne sont pas soumis aux seules contraintes de la préservation du patrimoine, convient Karin Artho. Mais dans la plupart des cas, ils parviennent à combiner les différents impératifs.»
L’entreprise doit tenir compte à la fois du respect du patrimoine et de celui de l’environnement, mais également des principes de rentabilité. «Nous réalisons malgré tout de belles constructions depuis plusieurs années, se réjouit Toni Häfliger. La preuve: un grand nombre d’entre elles sont désormais protégées.»
«Il y a toujours un équilibre à trouver, en tenant compte de la valeur des constructions, ajoute le responsable du patrimoine des CFF. Il s’agit de déterminer pour chaque cas s’il faut tout détruire, ou seulement une partie, et assainir le reste.»
Des vieilles pierres aux hangars
Depuis sa création en 1972, le Prix Wakker n’avait couronné jusqu’ici que des communes. Première lauréate, la localité de Stein am Rhein se voyait alors récompensée pour la mise en valeur de sa vieille ville.
En 2005, année de son centenaire, Patrimoine suisse innove en désignant une entreprise qui construit ou rénove aussi des halles industrielles, des postes d’aiguillage, des centrales électriques, des tunnels et des ponts…
«En cette année de jubilé, nous voulons démontrer que la protection du patrimoine peut aussi conjuguer préservation et création», note Karin Artho.
swissinfo, Andreas Keiser
(Traduction et adaptation de l’allemand: Raphael Donzel)
Le Prix Wakker est décerné chaque année depuis 1972, année de la mort de son donateur l’homme d’affaires genevois Henri-Louis Wakker.
Chargé de la gestion du Prix, Patrimoine suisse l’a jusqu’ici toujours remis à des communes pour des réalisations exceptionnelles en matière d’architecture.
Pour cette année de son 100e anniversaire, l’institution a choisi pour la première fois de récompenser une entreprise.
Les CFF recevront donc le 20 août 2005 un chèque de 20’000 francs, dans le cadre d’une fête à la gare de Zurich.
L’ancienne régie fédérale des chemins de fer possède environ 6000 bâtiments et 7000 ponts. Elle investit chaque année 170 millions de francs dans l’entretien, la rénovation ou la construction de son patrimoine immobilier.
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