Boum sur les bunkers suisses
En déshérence depuis la fin de la guerre froide, les bunkers militaires font peau neuve. Des particuliers ou des entreprises les transforment en hôtels ou en salles de réception. Creusés souvent au cœur des Alpes, ils protègent aussi des banques de données et des trésors.
Vingt ans après la fin de la guerre froide, entourée d’Etats amis, la Suisse se retrouve avec un problème: que faire des fortifications cachées dans les montagnes? La plupart sont connues et celles qui sont censées restées secretes ne le seront plus longtemps, curiosité médiatique oblige.
Le bunker qui devait servir de centrale de commandement au gouvernement suisse en temps de guerre vient ainsi de céder à la pression médiatique. Les coordonnées exactes de la «Centrale de commandement K20» ont été publiées sur internet fin août, à l’étranger et en Suisse.
«Ce qui est visible à l’extérieur peut être photographié et faire l’objet de discussions publiques, explique Hansruedi Moser, chef d’information de la Chancellerie fédérale. Mais ce qui se passe à l’intérieur reste invisible et doit rester secret.»
Depuis longtemps, de nombreux sites internet et de nombreuses publications ne respectent plus cette distinction concernant les bunkers fédéraux. On a par exemple appris dans quel bunker se trouvait la centrale de commandement du Forum Economique Mondial (WEF).
Idée commerciale
Entretemps, l’idée a germé que les bunkers emmurés pouvaient se révéler intéressants, d’un point de vue commercial. Les bunkers comme lieu de séminaires ou de réception? Ou comme entrepôts pour des banques de données? Les assurances, les banques et, comme de juste, les entreprises de sécurité en sont très friandes.
Les informations personnelles de la clientèle, les secrets d’affaires, des valeurs matérielles mais aussi des trésors sont désormais enterrés dans la montagne. L’entreprise Siag de Zurich gère par exemple, dans d’anciens bunkers de l’armée sécurisés, plusieurs centres informatiques pour des clients exigeant une très grande discrétion.
L’entreprise Siag conserve les informations digitales de façon hautement sécurisée. «Nous louons des bunkers à l’armée sur une longue période ou en sommes co-propriétaires», explique Christoph Oschwald, de Siag, interrogé par swissinfo.
Les responsables de la gestion des informations «bunkérisées» connaissent-ils leurs clients? «Pour ne pas tomber sur des gens peu recommandables et en cas de doute, nous leur rendons visite, où qu’ils soient dans le monde», indique Christoph Oschwald.
Pour toutes les circonstances
Le nombre de raisons poussant des particuliers ou des entreprises à entreposer des banques de données dans les montagnes semble illimité. Les bunkers se prêtent en effet très bien à la conservation de listes d’adresses irremplaçables, d’images de valeur, de listes de biens de valeurs patrimoniales ou de données comptables.
Des données concernant des fusions d’entreprise ou des rachats peuvent aussi trouver une place très discrète au fin fond des montagnes. Et cela pour une longue période.
Les bunkers viennent aussi en aide au citoyen lambda à son insu: en cas de perte de passeport par exemple, les autorités peuvent en retrouver la source. Les nouveaux passeports sont en effet scannés, et les images sont conservées dans un bunker, permettant l’émission rapide d’un nouveau document en cas de besoin.
Rocher et «roche ancestrale»
Le principe selon lequel l’imagination n’a pas de limites lorsqu’il s’agit de sécurité se vérifie bien avec les bunkers. L’entreprise «Swiss Data Safe» (SDS) vend ainsi ses prestations sous le slogan «protection dans le rocher et la pierre ancestrale.» Elle gère un ancien bunker du Conseil fédéral à Amsteg (UR).
La SDS propose des systèmes de haute sécurité et des mesures de protection contre les attaques physiques et électroniques, les catastrophes naturelles, les troubles, les catastrophes et les attaques terroristes. Elle assure les données, les documents, les archives, les valeurs et les œuvres d’art ou biens culturels.
Mais comment devient-on propriétaire d’un ancien bunker du Conseil fédéral? La réponse du patron de SDS, Dolf Wipfli, n’apporte pas de précision: «Nous l’avons acheté», se contente-t-il de répondre.
Les entreprises faisant commerce grâce aux bunkers ne sont pas l’objet d’une surveillance spéciale. «Nous sommes tenus de respecter les lois, explique Dolf Wipfli. Les autorités n’ont fixé aucun contrôle supplémentaire.»
Couvents et lieux de rencontres
Mais les bunkers ont aussi, manifestement, un potentiel touristique, voire poétique. L’hôtel «La Claustra» s’est ainsi ouvert dans une ancienne base d’artillerie armée du massif du Gothard.
A l’origine de l’idée, l’artiste et sociologue Jean Odermatt avait déjà depuis des années le projet de créer un lieu de réflexion au cœur des montagnes. C’est devenu un hôtel avec salles de conférences, chambres luxueuses et restauration de haut vol à 2500 mètres d’altitude.
«Notre hôtel attire beaucoup de marcheurs, explique Jenny Hutter, de La Claustra. Mais des cours de formation continue sont aussi organisés, tout comme des réunions de cadres qui développent de nouvelles stratégies.»
Le Réduit national dans les montagnes suisses a accouché d’un couvent, lieu de réflexion et de connaissance. C’est en tout cas ce que promet la publicité de «La Claustra».
swissinfo, Erwin Dettling
(Traduction et adaptation Ariane Gigon)
Le Réduit national. Les premiers bunkers importants ont été construits en Suisse à partir de 1886, peu après l’ouverture de la ligne ferroviaire du Gothard. Avant la deuxième guerre mondiale, le besoin de fortifications a donné un coup d’accélérateur aux constructions. C’est à cette époque que le général Guisan décide de la réalisation d’une zone fortifiée dans les Alpes. Ce sera le «Réduit national.»
Les responsables de l’armée voulaient ainsi avoir un retranchement ultime en cas de catastrophe pour garantir la souveraineté du pays.
Des millions. Jusqu’à la fin de l’année 1945, près de 700 millions de francs ont été dépensés pour la réalisation du Réduit, soit, aujourd’hui, quelque 8 milliards de francs.
A partir de 1995, les différentes réformes de l’armée ont abandonné, au fur et à mesure, les bunkers et le secret entourant leur localisation a été levé. Quelques-uns uns restent en activité.
Les bunkers civils, les «abris de protection civile», existent en Suisse dans les écoles, les hôpitaux et d’autres bâtiments publics.
On compte quelque 300’000 abris pour 7,5 millions d’habitants. C’est la plus grande proportion par habitant au monde
Le «bunker des bunkers», celui réservé au Conseil fédéral (gouvernement suisse) a le nom de Centre de commandement «K20».
En cas de crise, et particulièrement en cas d’agression nucléaire, les sept membres du Conseil fédéral doivent prendre leurs quartiers dans le K20 avec leurs équipes d’états-majors, leurs conseillers et des parlementaires.
D’un coût de 259 millions de francs, la centrale a la grandeur d’un immeuble moyen. En cas de menaces atomiques, biologiques ou chimique, plusieurs centaines de personnes pourraient y trouver refuge pendant six mois.
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